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L'Algérie veut-elle la défaite d'Emmanuel Macron?

L'escalade des tensions entre les deux pays et la rude précampagne électorale française mettent le président sortant dans une posture délicate.

Le président Emmanuel Macron, aux Invalides, à Paris, le 15 octobre 2021. | Ludovic Marin/ Pool / AFP
Le président Emmanuel Macron, aux Invalides, à Paris, le 15 octobre 2021. | Ludovic Marin/ Pool / AFP

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Près de deux semaines après la déclaration d'Emmanuel Macron, dans laquelle il portait l'estocade au pouvoir algérien qu'il décrivait comme «fatigué» et parlait du président Abdelmadjid Tebboune comme l'otage d'un système politico-militaire «dur», la tension entre les deux pays est loin de s'estomper.

Au contraire, à en juger par la dernière sortie du chef de l'État algérien et des sorties synchronisées, et au ton survolté, du ministère de la Communication, de celui des Moudjahidines (anciens combattants) et du président du Parlement algériens, à l'occasion de la commémoration des événements du 17 octobre 1961, le statu quo risque de perdurer au moins jusqu'à la fin de l'élection présidentielle française, en avril 2022. Car il apparaît clair que, pour Emmanuel Macron, c'est une question de cap qu'il doit maintenir envers son électorat potentiel, le temps d'une campagne. Une fois réélu, il sera plus aisé pour lui de revenir à de meilleurs sentiments.

Le président français s'est limité à dénoncer en ce 17 octobre des «crimes inexcusables», ce qui semblait être un premier pas de sa part pour dégeler la crispation avec Alger, et a été apprécié comme tel par la presse pro-gouvernementale algéroise. Mais cela semble loin de persuader le pouvoir algérien de passer l'éponge ou de rétablir les relations.

 

 

Sur cette question du contentieux algéro-français, Soufiane Djilali, président du Parti Jil Jadid, estime que «l'Algérie veut consolider sa souveraineté, affirmer son identité et s'affranchir aux plans politique et économique de toute influence extérieure, pour s'offrir des opportunités de développement en collaboration avec de nouveaux partenaires. Elle est tentée par une plus grande ouverture linguistique et pense à jouer un rôle, légitime, dans l'espace géopolitique à la confluence du Maghreb, de l'Afrique, du monde arabe et de la Méditerranée». Pour lui, «il y a donc comme un télescopage entre la peur de la France du déclin et le désir de l'Algérie de prendre du poids».

 

L'improbable retour de l'ambassadeur d'Algérie

Preuve aussi que l'ambassadeur algérien ne retournera pas de sitôt à son poste: lors sa première apparition après avoir été rappelé le 2 octobre, il n'hésita pas à conseiller, lors d'un forum organisé par le journal El-Moudjahid consacré à cette journée si chargée du 17 octobre, aux membres de la communauté algérienne installés dans l'Hexagone à investir «dans leur pays d'origine». C'est sans doute la première fois depuis des décennies que l'escalade entre les deux pays dure aussi longtemps sans qu'on ait vu aucun signe de désescalade sérieux, en dehors peut-être du message d'apaisement adressé par Jean-Yves Le Drian.

Le durcissement était venu cette fois-ci d'Alger. Le président Tebboune, dans sa rencontre avec la presse du 10 octobre, avait maintenu une position étonnamment ferme contre Paris, usant, pour la première fois, d'un langage belliciste, tout en continuant à présenter son pays dans une posture de victime. Sur le retour de l'ambassadeur d'Algérie, par exemple, il dit clairement que celui-ci ne pourra reprendre son poste que si les dirigeants français exprimaient «un respect total à l'État algérien», autrement dit, des excuses.

Ce que le gouvernement algérien exige, ce sont des excuses publiques et personnelles de Macron.

Premier et seul, jusqu'ici, à répondre à la condition formulée par Abdelmadjid Tebboune, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a tenté de jouer l'apaisement en assurant son «respect fondamental de la souveraineté algérienne», prenant ainsi au mot le président algérien. Alger n'a pour l'instant fait aucun commentaire mais il est établi que le gouvernement algérien ne se contentera pas d'une profession de foi qui n'engage pas personnellement le président français.

Ce qu'il exige, ce sont des excuses publiques et personnelles de Macron. Chose qui semble difficile, voire impossible, à obtenir dans le contexte politique actuel, dominé par une rude précampagne électorale. Emmanuel Macron, de plus en plus challengé dans les sondages, mais aussi dans les forums de débat, ne se hasarderait pas à entamer son image de rempart sûr contre les périls venant du Sud par des retournements qui risquent d'être perçus par ses adversaires –qui l'attendent au virage de l'identité et de l'immigration notamment– comme autant de reniements ou de renoncements.

Un rôle passé et actuel

Vu également sous cet angle, le choix de confier au chef de la diplomatie la tâche d'amorcer un processus de réchauffement des relations entre les deux rives, viserait à mieux confiner la tension dans son cadre purement politicien, où le problème sera désormais entre le pouvoir algérien, dans son acception bien définie, et un homme, Emmanuel Macron, qui aura seul à assumer les propos qu'il a tenus et les conséquences qui en découlent, pas seulement en tant que chef d'État, mais aussi et surtout en tant que candidat à sa propre succession.

La première question que l'on ne s'empêche pas de poser, dès lors, c'est de se demander si la poursuite de cette tension n'est pas en train d'affaiblir Emmanuel Macron, que l'on a vu, dans ses rencontres et débats politiques, questionné par des publics d'origine maghrébine ou africaine. Les thèmes de la colonisation et du rôle, passé et actuel, de la France dans les pays du Sud y reviennent tel un leitmotiv, souvent dans des termes rappelant, par leur véhémence, la contre-offensive algérienne au sermon de Macron face à des étudiants franco-algériens.

Et l'on y voit bien le président français acquiescer, gêné mais courtois, à de violentes semonces, sans jamais se dédire, à aucun moment, sur ce qu'il avait déclaré à propos de l'Algérie. Sujet qui deviendra, au fil des jours, pour lui, comme un véritable tabou. Il avait, certes, dit avoir confiance dans le président Tebboune et respecter le peuple algérien, mais rien pour le reste: l'écriture de l'histoire, l'existence d'une nation algérienne, la nature du système algérien, etc.

Le pire scénario pour l'Algérie

Il y eut aussi les rappels malaisés d'un Benjamin Stora, auteur du rapport sur les questions mémorielles commandé par Emmanuel Macron. Celles-ci n'auront servi, comme tous les autres tirs amis, qu'à faire se dresser contre lui certains milieux politiques et intellectuels, potentiellement acquis à la candidature de l'actuel président face à la déferlante de l'extrême droite.

Interrogé sur l'effet de cette polémique sur l'avenir politique d'Emmanuel Macron, Soufiane Djilali déclare: «Je ne saurais vous dire ce que nous réservent la campagne électorale et son résultat au printemps prochain. Surtout que pour le moment, l'Algérie, à travers la question de l'immigration, se retrouve au cœur des polémiques entre une extrême droite revigorée et un courant jusqu'ici majoritaire européiste et même mondialiste.»

 

Les exigences de la realpolitik n'incombent, à l'évidence, qu'au président sortant.

 

Autre question que soulève cette polémique: comment les concurrents de Macron, Le Pen et Zemmour notamment, peuvent-ils en tirer profit? Les deux s'y étaient aussitôt mêlés, la première en appelant le chef de l'État à joindre l'acte à la parole, par la suppression des visas et de tous les avantagés accordés aux Algériens. Le second se réjouit d'avoir inspiré Macron, en l'invitant indirectement, comme il l'a fait à la veille de ce 17 octobre à Nîmes, à «ne pas présenter d'excuses à l'Algérie», comme l'exigeait Alger.

Une façon sans doute à lui de mettre la barre toujours plus haut, et de ne laisser personne surenchérir sur ses propres mots d'ordre. Mais que faire des différents accords, dont ceux d'Évian et de 1968 paraphés avec l'Algérie, si, d'aventure, l'un des deux outsiders de l'extrême droite arrivait au pouvoir?

La question ne semble intéresser ni l'un, ni l'autre. Les exigences de la realpolitik n'incombent, à l'évidence, qu'au président sortant. Un piège pour Emmanuel Macron, qui peut, a priori, tout dire contre l'Algérie, mais ne peut rien faire qui puisse nuire gravement aux relations franco-algériennes. Cela peut aussi être un piège pour le pouvoir algérien qui, en rêvant de voir Macron sanctionné par les électeurs français, doit se préparer au pire scénario: la victoire d'un candidat ou d'une candidate de l'extrême droite.

Dans une autre conjoncture, Alger œuvrerait plutôt à celle, par exemple, d'un Xavier Bertrand, candidat au profil plus rassurant. Or, celui-ci peine à déclasser les deux prétendants «anti-Algériens» dans les sondages. Ce qui expliquerait, en somme, cette attente entretenue par le gouvernement d'Alger pour ordonner à son ambassadeur à Paris de regagner son poste.


 
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