"Cette personne va perdre sa lèvre" : alerte sur les dangers des injections clandestines d’acide hyaluronique

par Audrey LE GUELLEC | Reportage TF1 Ignacio Bornacin, Marie Belot
Publié le 30 mars 2023 à 14h54, mis à jour le 30 mars 2023 à 15h00

Source : JT 20h WE

200 chirurgiens esthétiques réclament l'arrêt de la vente libre de l'acide hyaluronique.
Ce produit utilisé pour gonfler les lèvres peut aujourd'hui être délivré en pharmacie sans ordonnance.
Or, les injections illégales pouvant causer des complications parfois irréversibles se multiplient.

"Arrêtons la vente libre d’acide hyaluronique". Dans une tribune publiée mercredi soir sur le site du Parisien, 200 chirurgiens esthétiques demandent aux autorités d'interdire la délivrance des produits destinés à gonfler les lèvres, disponibles sans ordonnance en pharmacie.

"Depuis trois ans, nous constatons la croissance alarmante d'injections illégales au travers de complications, parfois gravissimes, que nous prenons en charge dans nos cabinets de chirurgie plastique et aux urgences des services hospitaliers", écrivent ces médecins. "Actuellement, des centaines d'injecteurs, non-médecins, pratiquent des actes illégaux sur la population, en particulier la plus jeune et la plus vulnérable, à grand renfort de publicité sur les réseaux sociaux", ajoutent-ils.

"Des boules, des creux, des asymétries"

Signataire de cette tribune, le docteur Adel Louafi, chirurgien plastique reconstructrice et esthétique à Paris, président du syndicat des chirurgiens esthétiques, évoquait ce véritable fléau dans un reportage diffusé en septembre 2022 dans le 20H de TF1. "Ces injections sont faites par des personnes qui n’ont aucune connaissance de l’anatomie, qui ne savent absolument pas où sont situés les vaisseaux, les nerfs et on est obligés d’enlever chirurgicalement parfois un morceau de lèvre, parfois un morceau de nez parce que les tissus sont gangrénés, infectés, nécrosés, morts", déplore le plasticien, qui a regroupé des dizaines de témoignages de patientes victimes de tels charlatans, dans cette vidéo à retrouver en tête de notre article.  "Cette personne va perdre une partie de sa lèvre malheureusement", illustre-t-il en présentant une photo illustrant les conséquences de ces actes illégaux, souvent irréversibles.

Sophia, qui témoigne dans le même reportage, fait partie de ces nombreux patients ayant été trompés par un injecteur non-médecin. La jeune femme, âgée de 19 ans à l'époque, faisait régulièrement des injections dans ses lèvres en cabinet de chirurgie lorsqu'elle a succombé fin 2021 à une annonce sur les réseaux sociaux promettant les mêmes prestations à domicile et à moitié prix. 

"Sur le coup, je n’avais pas conscience qu’il y avait un risque", témoigne-t-elle auprès de TF1, évoquant des tarifs deux fois moins élevés qu'en cabinet esthétique habilité. Mais très rapidement après l’injection d’acide hyaluronique, effectuée par une personne qui n’était pas médecin, ses lèvres ont commencé anormalement à se déformer. "Au bout de trois jours, j’avais des boules, des creux, j’avais des asymétries", poursuit celle dont le chirurgien esthétique habituel a ensuite réussi à corriger les anomalies. 

Dans les cas les plus graves, ces injections illégales "ont pu conduire à des septicémies, des gangrènes et des hospitalisations en réanimation, engageant le pronostic vital de jeunes patients", insistent les signataires de la Tribune. "Les victimes sont parfois défigurées à vie et brisées psychologiquement" et "elles n'osent porter plainte, car souvent victimes de menaces physiques", alertent-ils. Pour les signataires, le problème vient du fait que des médecins frauduleux injectent de l’acide hyaluronique qui peut aujourd'hui s'acheter "librement en pharmacie ou chez des distributeurs en ligne" sous forme de solution injectable.

Une molécule hydratante phare

De fait, en cosmétique comme en médecine esthétique, il s'agit de la molécule phare pour défroisser une peau déshydratée et froissée par les signes de l'âge. Si cet actif de la famille des glycosaminoglycanes est naturellement présent dans beaucoup de tissus et liquides de l'organisme, la peau en est le réservoir le plus important. Malheureusement, sa quantité et sa qualité dans le derme diminuent dès la vingtaine, et plus brutalement à partir de 40 ans. C'est alors que la peau se dessèche, se fragilise, et bien souvent que les premières rides apparaissent, avant que progressivement, les tissus ne se relâchent et que le visage se creuse. 

Découverte en 1934 dans l’humeur vitrée de l’œil de bœuf, l’acide hyaluronique, ou hyaluronane, est donc utilisé aujourd'hui comme produit de synthèse obtenu par biotechnologie. Tel une "éponge" capable de retenir 1000 fois son poids en eau, il hydrate même les couches profondes de la peau, améliore sa texture tout en renforçant la barrière cutanée, ce qui en fait la molécule hydratante la plus puissante dont on dispose à ce jour. D'où son succès en soins visage, en compléments alimentaires ou sous forme d'injection. "Les acides hyaluroniques injectables à visée esthétique sont résorbables sur une durée plus ou moins longue selon leur nature et leur concentration", rappelle sur son site l'ANSM qui a lancé une alerte cet été.  "Leur utilisation est réglementée et réservée aux médecins", rappelle-t-elle.

Or, certaines personnes, "y compris des mineures", (...) "s'injectent elles-mêmes ces produits, par exemple pour augmenter le volume des lèvres, en suivant des pseudo-modes d'emploi disponibles sur des vidéos en ligne", dénoncent les signatures de la tribune. "Devant la gravité de cette pratique illégale, nous, chirurgiens plasticiens, demandons que la vente d'acide hyaluronique et des autres produits de comblement injectables soit contrôlée, et que leur délivrance ne soit faite qu’aux médecins habilités à la pratique de ces actes", concluent-ils. 

À titre de rappel, soulignons que l'acide hyaluronique en application topique, c'est-à-dire sur la peau, en crème ou en sérum, ou en compléments alimentaires, fabriqués en synthétisant la molécule, est sans danger et exclu de ce débat. De leur côté, les imposteurs risquent deux ans de prison et 30.000 euros d’amende pour exercice illégale de la médecine. 


Audrey LE GUELLEC | Reportage TF1 Ignacio Bornacin, Marie Belot

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