Coup d'État militaire au Gabon : la dynastie Bongo, plus de 50 ans de pouvoir contesté

par Maëlane LOAËC (avec AFP)
Publié le 30 août 2023 à 19h26

Source : JT 13h Semaine

Dans la foulée de l'annonce de la réélection du président Ali Bongo, au Gabon, des militaires putschistes ont affirmé mettre "fin au régime en place".
Le chef de l'État, déjà au pouvoir depuis 14 ans, est placé en résidence surveillée.
Depuis plus de 50 ans, le clan Bongo s'est imposé au pouvoir, un monopole décrié au fil des décennies, mais qui s'était maintenu coûte que coûte jusqu'alors.

Après plus d'un demi-siècle passé à la tête du Gabon, la famille Bongo pourrait finalement vaciller. La réélection du président Ali Bongo Ondimba, déjà au pouvoir depuis 14 ans, venait tout juste d'être annoncée quand des militaires putschistes ont annoncé mercredi avoir mis "fin au régime en place" et placé en résidence surveillée le chef de l'État. Il a même été "mis à la retraite", a affirmé au Monde l'un des acteurs du coup d'État militaire, le général Brice Oligui Nguema. Une nouvelle accueillie dans la liesse par les habitants de certains quartiers de Libreville, tandis qu'Ali Bongo appelait dans une vidéo ses "amis" à "faire du bruit" sur sa détention. 

Le président gabonais, 64 ans, s'apprêtait à briguer un troisième mandat, à la suite d'élections sous haute tension menées samedi et qui regroupaient trois scrutins, présidentiel, législatifs et municipaux. Son principal rival, Albert Ondo Ossa, qui n'a recueilli que 30,77% des voix à la présidentielle selon les résultats officiels, a fustigé des "fraudes orchestrées par le camp Bongo"

Contesté de longue date déjà, ce camp se maintient au pouvoir depuis des décennies : l'actuel chef de l'État avait succédé en 2009 à son père, Omar Bongo Ondimba, qui avait lui-même dirigé le Gabon pendant plus de 41 ans. La famille Bongo régnait donc depuis plus de 55 ans ainsi sur ce petit État pétrolier d'Afrique centrale, très riche, mais gangréné par les inégalités sociales et la corruption, où un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté.

Omar Bongo, le "patriarche" indéboulonnable

Ancienne colonie française, le Gabon a été proclamé indépendant le 17 août 1960. Sept ans plus tard, en décembre 1967, Albert-Bernard Bongo succède au président et prend les rênes du pays qu'il commence à diriger d'une main de fer, notamment en imposant le Parti démocratique gabonais (PDG) comme parti unique. En 1973, converti à l'islam, il devient El Hadj Omar Bongo, auquel il ajoute plus tard Ondimba, le nom de son père, en 2003. Seul candidat à se présenter, il est élu président à trois reprises, en 1973, 1979 et 1986. 

Au début des années 1990, le pouvoir sans partage du "patriarche" se voit confronté à de graves troubles sociaux, qui tournent à l'émeute, et doit faire place au multipartisme dès mai 1990. Mais il n'est pas fragilisé pour autant : malgré des scrutins contestés et suivis de violences, Omar Bongo remporte toutes les élections présidentielles entre 1993 et 2005. Face à lui, l'opposition se divise ou se rallie à sa cause. Inamovible et intraitable, pilier emblématique des décennies très décriées de la "Françafrique", il amasse une immense fortune et se maintient à la présidence jusqu'à sa mort, en juin 2009.

Le 16 octobre, son fils Ali Bongo Ondimba prend le relais et est investi chef de l'État, là aussi au terme d'un scrutin contesté, des violences et des pillages faisant plusieurs morts. Rapidement, l'opposition dénonce une "dérive autoritaire", tandis qu'au même moment, la justice française ouvre une enquête sur le patrimoine considérable amassé en France par son père et d'autres chefs d'État africains, dans le cadre de l'affaire dite des "biens mal acquis"

Une succession contestée

Dépourvu du charisme et de l'aplomb de son père, Ali Bongo peine à asseoir son autorité lors de son premier mandat, le tout-puissant PDG étant remis en cause. Dans la rue aussi, son pouvoir est critiqué, notamment lors d'un rassemblement interdit réclamant son départ décembre 2014. La même année, le journaliste français Pierre Péan affirme que le président a falsifié son acte de naissance et qu'il est en réalité un enfant nigérian adopté par Omar Bongo, alors que la Constitution n'autorise que les Gabonais à briguer la présidentielle. Une thèse massivement relayée par l'opposition, mais fortement démentie par le gouvernement. 

Malgré la polémique, la réélection d'Ali Bongo en août 2016 face à son adversaire Jean Ping est confirmée par les autorités, avec une courte marge de 5500 voix. Le Gabon est alors ébranlé par des violences sans précédent : manifestations contre le président, interpellations par centaines, Assemblée incendiée, assaut des forces de sécurité contre le QG de son concurrent... Des heurts faisant trois morts selon les autorités, une trentaine selon l'opposition. 

La réélection est malgré tout validée, et ce sont finalement des problèmes de santé qui poussent le chef de l'État au retrait : le 24 octobre 2018, il est victime d'un accident vasculaire cérébral alors qu'il se trouvait en Arabie saoudite, et s'absente ensuite pendant dix longs mois de convalescence. Au cours de celle-ci, une tentative de coup d'État militaire échoue

Un clan rattrapé par les scandales de corruption

Malgré les critiques de ses détracteurs, qui mettent souvent en doute ses capacités intellectuelles et physiques à diriger le pays, Ali Bongo reprend les rênes du Gabon une fois rétabli et mène une impitoyable opération "anti-corruption" visant plusieurs ministres, conseillers et hauts fonctionnaires. Mais pour l'opposition, celle-ci ne relève que de énièmes promesses jamais tenues, d'autant que des accusations de corruption pèsent toujours sur la famille Bongo elle-même.

Dès son arrivée au pouvoir, Ali Bongo avait pris ses distances avec la France en rompant avec la politique de son père et en désertant les luxueuses demeures familiales dans l'Hexagone. Mais le clan Bongo a été rattrapé en 2022 par l'affaire des "biens mal acquis" : neuf enfants d'Omar Bongo sont mis en examen en France, notamment pour recel de détournement de fonds publics. Ce patrimoine immobilier constitué en France avec de l'argent public détourné du Gabon est évalué par la justice "à 85 millions d'euros".

Ces derniers mois, une partie de l'opposition accusait toujours la famille Bongo de chercher à se maintenir au pouvoir, grâce à une nouvelle manœuvre politique : en avril 2023, le Parlement vote une révision de la Constitution, visant notamment à faire repasser le scrutin présidentiel à un tour unique. Preuve des tensions qui entouraient l'élection de samedi, un couvre-feu avait été décrété et les connexions Internet coupées par le gouvernement, selon lui pour parer à d'éventuelles "violences".


Maëlane LOAËC (avec AFP)

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