Key Bridge à Baltimore : pourquoi le pont s'est-il effondré aussi rapidement après la collision avec le cargo ?

par Theodore AZOUZE
Publié le 26 mars 2024 à 18h47, mis à jour le 26 mars 2024 à 20h28

Source : TF1 Info

Le Francis Scott Key Bridge, ce pont autoroutier situé à Baltimore (Maryland), s'est effondré comme un mikado après la collision d'un navire avec un de ses piliers, mardi.
Selon les autorités, cette infrastructure "n'avait pas de problèmes structurels".
Plusieurs experts pointent pourtant le manque de protection des piliers du pont face à la puissance actuelle des porte-conteneurs.

Il ne reste plus que quelques morceaux du Francis Scott Key Bridge. L'ouvrage reliait les deux rives du fleuve Patapsco, à Baltimore (Maryland), aux États-Unis. La majeure partie centrale de l'infrastructure s'est effondrée comme un mikado après la collision, dans la nuit de lundi à mardi, d'un porte-conteneurs qui a subi une "perte momentanée de propulsion". 

Au lendemain de cette catastrophe, six personnes étaient toujours portées disparues, alors que deux autres avaient été retrouvées vivantes. Forcément, quelques heures après le drame, les causes précises de l'effondrement du Key Bridge "restent à déterminer", selon les autorités. Le navire "Dali", qui a heurté un des pieds du pont, semble avoir connu "un problème électrique", a toutefois indiqué le gouverneur du Maryland, Wes Moore, ce mardi après-midi. Mais comment expliquer la destruction aussi rapide de l'ouvrage autoroutier ?

Un effondrement total "sans surprise" après un tel choc, selon les spécialistes

Les autorités semblent pour le moment garantir la sécurité du Key Bridge avant sa chute. Construit de 1972 à 1977, ce pont avait été inspecté sans encombre par les services du Maryland, assure Wes Moore. "Il n'y avait pas de problèmes structurels avec le pont, a précisé le responsable politique. Il était à jour dans ses contrôles de qualité." Assemblée autour de différentes poutres métalliques formant plusieurs triangles, la partie supérieure du pont était "un treillis assez complexe", précise Arthur Lebée, ingénieur des Ponts des Eaux et Forêts, maitre de conférence de l’École des Ponts ParisTech et joint par TF1info.

Selon le spécialiste, après qu'une parcelle d'un pont de ce type soit déjà tombée à l'eau, il n'est pas étonnant que celui-ci s'effondre entièrement. "Les treillis sont quand même assez connus pour avoir une assez faible redondance structurelle, souligne-t-il ainsi. C'est-à-dire que s'il y a un élément qui se casse, il y a toutes les chances que le reste se casse aussi." La pile touchée, construite en béton armé, apparaît, elle, bien fragile par rapport à la force du navire, qui peut peser jusqu'à 116.000 tonnes lorsqu'il est complètement chargé. "Quand on regarde sa conception, elle semble assez peu résistante à un impact direct, poursuit Arthur Lebée. Mais le fait que le pont s'effondre immédiatement, instantanément, directement après cette rupture, ce n'est absolument pas une surprise."

Des piliers à risque par rapport à la puissance des cargos ?

Lors de la construction d'un tel pont, de nombreux paramètres sont pris en compte pour assurer sa sécurité et celle de ceux qui vont le traverser. Le potentiel impact frontal d'un bateau avec l'une des piles de l'infrastructure est en théorie intégré par les ingénieurs lors de sa conception pour que, le cas échéant, aucun accident se produise. Or, les proportions des navires circulant au-dessous du Francis Scott Key Bridge lors de sa création il y a plus de cinquante ans n'avaient rien à voir avec les dimensions des cargos d'aujourd'hui. 

En 1972, les plus gros porte-conteneurs en service au monde pouvaient accueillir autour de 3000 EVP (soit 3000 conteneurs de vingt pieds, l'EVP étant l'unité de référence en marine marchande). En 2022, les plus gros cargos peuvent désormais en transporter 24.000 ! Une évolution des navires qui s'accompagne de celle des ports, qui, eux aussi, accueillent des bateaux toujours plus gros. Celui de Baltimore, dont les navires avaient accès via le passage sous le Key Bridge, ne déroge pas à cette transformation : depuis 2016, "les ports côtiers de l'Atlantique peuvent désormais recevoir les plus gros porte-conteneurs", précise le site web de l'État du Maryland. 

Il est clair que la protection des piliers dans ce cas était inadéquate
Robert Benaim, concepteur de ponts

Or, selon plusieurs experts, le pont détruit, lui, ne semblait pas avoir été équipé pour résister à un choc avec un grand navire, comme ce fut le cas la nuit dernière. "Il est clair que la protection des piliers dans ce cas était inadéquate, analyse Robert Benaim, ingénieur, concepteur de pont et affilié à la Royal Academy of Engineering, selon des propos recueillis par l'AFP. Un pilier ou une colonne de pont ne pourra jamais résister à l'impact d'un grand navire. Ils doivent être protégés de toute collision."

"Des mesures de protection de la pile auraient pu être prises, en construisant une digue supplémentaire, par exemple, ou quelque chose qui permette d'amortir le choc du bateau, ajoute Arthur Lebée. (...) C'est absolument déraisonnable d'imaginer que le pont allait résister à un impact pareil."

Une enquête est en cours pour faire toute la lumière sur cet accident. Le FBI s'est rendu sur place ce mardi pour conduire les investigations avec l'aide des autorités locales.


Theodore AZOUZE

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