Le retour au pouvoir de Donald Trump a suscité une onde de choc au niveau international.
Entre politique interne brutale et prise de distance certaine avec l'Europe, ses positions déclenchent un vent d'inquiétude en France, jusqu'à provoquer des pics d'anxiété chez certaines personnes.
TF1info a recueilli le témoignage de plusieurs d'entre elles, ainsi que l'éclairage d'un psychiatre et d'un psychologue, qui décrivent une "atmosphère globale anxiogène".

Elle n'en ferait pas des insomnies, mais tout de même, il lui arrive parfois de passer ses soirées les yeux rivés sur son téléphone, à faire défiler les actualités. "Un vrai besoin d'être ultra-connectée, de peur de rater quelque chose", explique Mélissa. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche (nouvelle fenêtre) en janvier dernier, cette communicante de 26 ans scrute ses prises de parole, l'appréhension au ventre. Un réflexe quotidien devenu presque une "charge mentale", jusqu'à "l'épuisement"

Mais pour la jeune femme, difficile de faire autrement pour conjurer son anxiété, qui a grimpé en flèche ces dernières semaines. Entre coupes budgétaires, licenciements de fonctionnaires (nouvelle fenêtre) à la chaîne et déclarations incendiaires, Donald Trump a déclenché une onde de choc aux États-Unis, mais aussi au-delà. "Il est tellement imprévisible, on ne sait pas ce qu'il va se passer dans deux ou trois mois", résume la vingtenaire.

Si aucune étude d'ampleur n'a pour l'heure été menée sur le sujet, il est clair que les bouleversements outre-Atlantique ont déclenché  une "anxiété sourde" chez une partie des Français, constate le psychiatre Michel Jurus. "Il y a beaucoup d'allusions chez les patients : ils ne vont pas forcément faire des états de panique, mais exprimer des préoccupations face à une forme de désorganisation", explique le vice-président de la Fédération française de Psychiatrie. 

"Résonances intimes" et sentiment d'"insécurité" renforcé

Une "atmosphère globale anxiogène", à laquelle les individus sont plus ou moins perméables, abonde Patrick-Ange Raoult, professeur de psychopathologie et membre de l'association "Convergence des Psychologues en Lutte". "Toute déstabilisation du métacadre social vient activer des sentiments d’insécurité, a minima", explique-t-il. Et de dresser un parallèle avec la dissolution de l'Assemblée nationale (nouvelle fenêtre), en juin dernier : "tout d’un coup, quelque chose ne tient plus, et cesse d’être rassurant"

Certains vont alors chercher un refuge dans "l'adhésion d'un discours sécuritaire, très rigide", se rapprochant de positions "extrémistes", explique le psychologue. D'autres, à l'inverse, vont se sentir "débordés" par ces angoisses. D'autant qu'à cela s'ajoutent des "résonances intimes" de cette actualité internationale, parfois douloureuses pour certaines personnes. Mélissa, femme noire de peau, regarde par exemple d'un œil très inquiet la lettre de l'ambassade américaine à plusieurs sociétés françaises, leur demandant de renoncer à d'éventuelles politiques anti-discriminations (nouvelle fenêtre). L'initiative a suscité un tollé (nouvelle fenêtre), mais la jeune femme n'est pas rassurée pour autant. "C'est un pas de plus vers le racisme et le fascisme décomplexé", lâche-t-elle. 

Menace : Trump veut imposer ses valeurs aux entreprises françaisesSource : JT 20h WE

Quant à Sylvie, une Francilienne de 59 ans, elle retient surtout la "brutalité" de Donald Trump, et notamment à l'égard des femmes, qu'il "ne respecte pas du tout" (nouvelle fenêtre). L'ancien magnat de l'immobilier "veut manager les États-Unis comme une entreprise", souffle-t-elle également. De quoi alimenter chez cette assistante audioprothésiste, en arrêt maladie depuis un an après une expérience professionnelle difficile, un sentiment de décalage avec le monde extérieur, "trop violent" à ses yeux. "Je m'y sens un peu étrangère", glisse-t-elle. 

Pour Michel Jurus, Donald Trump mais aussi son bras droit, le milliardaire Elon Musk (nouvelle fenêtre), viennent en effet incarner une "forme d'ultra-libéralisation", qui pouvait déjà provoquer chez certains des sentiments "d'inquiétude et d'insécurité". "Tout ne serait qu'une affaire d'intérêts, et cet individualisme pousse à beaucoup de mal-être", décrit-il. 

Des secousses internationales qui déroutent

Dans le sillage du retour au pouvoir du républicain de nombreux bouleversements mondiaux se sont enchaînés : prise de distance avec l'Ukraine et l'Europe, rapprochement avec Moscou... Laissant notre continent au défi de renforcer sa propre défense (nouvelle fenêtre), face à la menace russe. "L'ordre et la sécurité mondiale sont menacés, il y a la perte d'un sentiment de protection", relève le psychiatre. 

Un constat particulièrement déroutant pour les plus âgés. Né en 1937, Joe garde quelques souvenirs de la Seconde Guerre mondiale, la pression de l'occupation nazie... et l'arrivée libératrice des Américains. "Ils nous donnaient des Carambar, des chewing-gums", sourit le Breton de 88 ans. Alors face au nouveau visage des relations transatlantiques désormais, il est "un peu déçu, forcément", confie-t-il pudiquement. Mais surtout, il n'aurait jamais pu imaginer qu'un réarmement soit dorénavant au cœur des discussions en Europe (nouvelle fenêtre). Et cela le préoccupe. "À mon âge, on ne se sent pas tant concerné, mais c'est pour l'avenir... Si les jeunes doivent revivre tout cela, ce n'est pas pensable", souffle ce grand-père de deux jeunes trentenaires. 

Je faisais des cauchemars de guerre nucléaire, j'imaginais une bombe tombant sur Paris... Cela devenait invivable
Damien

Chez les jeunes justement, les spécialistes interrogés constatent la montée d'un discours militariste chez certains. Tandis que d'autres se retrouvent bien plus perdus, parfois même tétanisés par l'angoisse. "Les guerres, on les déréalise souvent, parce qu'elles restent encore lointaines... Là, le sujet s'impose à nous", explique par exemple Damien (le prénom a été modifié, ndlr). D'un naturel anxieux, le jeune homme de 28 ans a vu son niveau de stress s'emballer après la vive altercation entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump (nouvelle fenêtre) dans le bureau ovale, fin février. 

"Sidéré" par l'hostilité du président américain, il craint que Washington puisse abandonner complètement l'Ukraine et plus largement l'Europe, face à Moscou. Et se met alors à se renseigner compulsivement sur l'armement européen (nouvelle fenêtre)... Jusqu'à l'obsession. "Je faisais des cauchemars de guerre nucléaire, j'imaginais une bombe tombant sur Paris... Cela devenait invivable", se souvient-il. Une spirale dont l'a finalement arraché sa petite amie, lui demandant de lever le pied.

Crises en série : "On ne respire plus depuis le Covid"

Pour éviter de se plonger dans ces états-là, d'autres préfèrent au contraire se tenir loin des informations. Julie, 35 ans, garde en mémoire la période traumatique des attentats de 2015 en France (nouvelle fenêtre), au cours de laquelle elle avait tendance à faire des cauchemars. Depuis, cette mère de deux jeunes enfants garde souvent l'actualité à distance, mais elle n'avait jamais autant ressenti le besoin de s'en couper qu'en ce moment. "C'est un peu frustrant parfois, je ne me renseigne pas autant que je le voudrais, mais je préfère ça, résume l'assistante administrative. On ne sait pas vers quel monde on va."

Des insécurités encore renforcées par la multiplicité des crises et bouleversements mondiaux ces dernières années : la crise sanitaire, qui a fragilisé la santé mentale des nombreux Français (nouvelle fenêtre), puis la guerre en Ukraine donc, mais aussi celle à Gaza... Ou encore les effets du dérèglement climatique, de plus en plus prégnants sur notre territoire. "On ne respire plus depuis le Covid", résume Melissa. 

Difficile dans un un contexte si oppressant de se projeter dans l’avenir : ces angoisses pourraient même remettre en question des projets à long terme, comme celui d'avoir des enfants (nouvelle fenêtre). "Cela me fait réfléchir sur l'avenir et le monde dans lequel je souhaite les faire grandir", glisse-t-elle. Damien, lui, a semble-t-il fait complètement une croix sur l'idée. Même pour Sylvie, elle-même mère d'une jeune femme de 20 ans, le doute s'est immiscé : "si j’étais en âge d'avoir des enfants aujourd'hui, je ne suis pas sûre que je le ferai"

Pour tenter de se soulager, plusieurs témoins interrogés se disent prêts à évoquer ces angoisses auprès d'un thérapeute. Une démarche que les spécialistes ne peuvent qu'encourager. D'autant que les chocs internationaux s'enchaînent actuellement avec une telle rapidité, que Michel Jurus redoute des "décompensations" dans les mois à venir. Pour l’instant, "on reste un peu dans l’attente, avec l’espoir que cela s’arrête et la peur du pire", mais la période actuelle est bien "traumatique", note le psychiatre. "Tous les jours, on prend des coups. Il y aura peut-être un moment où les gens iront plus mal encore", anticipe-t-il. 

Maëlane LOAËC

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