"Je n’ai pas su quoi répondre" : la réflexion lourde de sens d'une fillette à sa maman agricultrice

par Hamza HIZZIR | Reportage TF1 Matthieu Dupont
Publié le 29 janvier 2024 à 11h43, mis à jour le 29 janvier 2024 à 12h31

Source : JT 20h WE

Voilà des décennies que les revenus et les conditions de travail des agriculteurs se dégradent.
Le 20H de TF1 s’est rendu en Bourgogne recueillir le témoignage de jeunes exploitants qui n’ont pas manifesté ces derniers jours.
Mais dont les difficultés font écho au mal-être exprimé sur les barrages.

Tous les matins aux aurores, sept jours sur sept, Marine Seckler rejoint sa ferme à Blanot (Saône-et-Loire), un village de 145 habitants dont le panneau a été retourné, comme "dans la quasi-totalité du département". Elle passe 70 heures par semaine à élever ses 40 vaches, pour à peine 1.000 euros par mois. "Ce n’est pas proportionnel", souffle-t-elle. Mais le problème est plus profond. À 34 ans, ce dont cette agricultrice et son mari souffrent le plus, comme tant d’autres, c'est d'un manque de considération.

"Mais maman, toi tu travailles beaucoup"

Elle confie à TF1 une anecdote qui synthétise tout le mal-être et le désenchantement d’une profession. Elle date de l’été 2023, quand Jeanne, sa fille de 5 ans, voit une belle voiture les doubler sur l’autoroute. "Elle me demande si on peut acheter cette voiture. Je lui réponds que pour avoir une voiture comme ça, il faut beaucoup travailler. Elle laisse un blanc et elle reprend : ‘Mais maman, toi, tu travailles beaucoup.’ Je n’ai pas su quoi répondre."

Dans son exploitation, tous les signes de l’actuelle colère paysanne sont présents : "On a investi dans la construction d’un nouveau bâtiment, pour le bien-être de nos animaux. On va aussi installer des panneaux photovoltaïques sur toute la toiture, pour produire de l’énergie renouvelable, et on a un récupérateur d’eau de pluie à l’arrière. On en fait, des efforts, mais on est toujours montrés d’un côté négatif. On aurait besoin qu’on reconnaisse aussi toutes les avancées, nos adaptations au réchauffement climatique, qu’on vit nous aussi tous les jours."

De retour chez elle, à quelques kilomètres, juste le temps de poser les bottes et de faire un bisou à ses deux enfants, avant de plonger dans les dossiers et les factures qui, eux non plus, n’attendent pas. "Ça fait des années qu’on parle de simplifier les choses, mais, là encore, on attend vraiment du concret. Parce que moi, je ne le vois pas du tout au quotidien."

Non loin de là, Pierre Daubard, éleveur de Charolaises à Ameugny, vient d’avoir un petit garçon il y a trois jours. Mais derrière ce bonheur, et la pudeur qui caractérise cet homme passionné, la frustration de ne pas parvenir à vivre de son travail. La colère, aussi, quand on lui dit que trois quarts de la viande bovine dans la restauration et les cantines scolaires sont issus de l’importation : "Ce qui trotte dans la tête, c’est de savoir si, dans dix ans, on mangera encore de la viande française."

Aux yeux du gouvernement, les agriculteurs ne sont, affirme-t-il, qu’une variable d’ajustement pour préserver le pouvoir d’achat des Français. Il voudrait que cela cesse, que la filière fasse des efforts en ce sens. "Comment demain les outils et les fermes familiales qu’on a, on arrivera à les transmettre à des jeunes ?", s’interroge-t-il à haute voix, avant de filer à la maternité.

Nous terminons notre route à Tournus, dans les exploitations céréalières qui font la richesse de la Saône-et-Loire. Maxime Lacroix, 38 ans, nous accompagne jusqu’à son champ, en s’émerveillant au passage devant le spectacle de deux chevreuils surgissant hors du temps. "C’est le privilège des agriculteurs, de voir toute la faune et la flore s’exprimer", souligne-t-il.

Un petit réconfort, alors que sa situation, depuis son installation il y a cinq ans, est demeurée précaire. "Voyez ce champ de blé, on ne sait pas s’il va produire cinq ou huit tonnes de rendement à l’hectare, en fonction du climat, détaille-t-il. En revanche, on a la certitude que les charges vont continuer à augmenter. Moi, tout ce que je demande, c’est qu’on paye nos produits au prix juste, en tenant compte de nos coûts de production et des rendements. En cinq ans, on n’a jamais été certains de notre prix de vente." Il dénonce, lui aussi, un manque de perspective et de sécurité, de plus en plus pesant. Un déséquilibre qui se creuse. 


Hamza HIZZIR | Reportage TF1 Matthieu Dupont

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