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Près d'une station sur trois manque de carburant.
Près d'une station sur trois manque de carburant.
Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Réquisitions, revendications salariales… les 5 questions que pose la pénurie de carburant

Coup de pompe

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Alors qu'une station-service sur trois manque de carburant, les grèves se poursuivent dans les raffineries TotalEnergies et d’Esso-ExxonMobil, ce mardi. Élisabeth Borne a annoncé avoir demandé aux préfets de réquisitionner les salariés d'Esso-ExxonMobil.

La grève est reconduite dans les dépôts et les raffineries de TotalEnergies et d’Esso-ExxonMobil, alors que près d'une station sur trois manquait de carburant ce lundi soir. Ces pénuries se propagent sur tout le territoire, même si la situation semble s'être légèrement améliorée dans les Hauts-de-France et en Île-de-France. Sur les huit raffineries du pays, cinq sont à l'arrêt. Les syndicats réclament des augmentations de salaires pour compenser l'inflation et un partage des profits. Marianne fait le point sur cinq questions qui se posent à ce stade.

1. Le gouvernement a-t-il manqué d’anticipation ?

L’exécutif a commencé par minimiser l'ampleur du problème. « Il n’y a pas de pénurie » mais « des tensions », affirmait la semaine dernière le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, en pariant sur un règlement rapide du conflit social. Un discours rassurant tenu jusqu’à ce week-end par le pouvoir, qui a tout de même fini par dégainer quelques mesures : le déblocage des stocks stratégiques de carburant, l’autorisation du transport d’hydrocarbures le week-end et l’allègement des règles sur le temps de conduite des routiers de ce secteur. Il faut dire que le gouvernement avait quelque peu la tête ailleurs : Élisabeth Borne était en voyage en Algérie avec quinze ministres jusqu’à lundi… Dimanche soir encore, la Première ministre assurait que la situation allait « s’améliorer tout au long de la semaine ».

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Mais les images des queues interminables devant les stations-service et les récits de tensions entre automobilistes sont devenus intenables. Lundi soir, changement de ton : Matignon a mis en scène une réunion d’urgence avec les ministres concernés par le sujet carburant. Ce qui n’a pas changé grand-chose dans l’immédiat : la grève chez Total et Esso a été reconduite ce mardi matin.

Le gouvernement a-t-il fait une erreur en niant toute pénurie ? « Imaginons ce que le message contraire aurait créé comme ruée vers le carburant, alors que seules 10% des stations étaient affectées », argumente un ministre concerné par le dossier. Ce week-end, la direction de Total a par ailleurs fait passer des messages rassurants à l’exécutif, glisse la même source, ce qui l’a conduit à temporiser : « On a pris le maximum de mesures, mais la réquisition avant aujourd’hui n’aurait pas été comprise dans le contexte social global. On avait besoin de donner une chance au dialogue et de le montrer. »

Si l’exécutif n’est pas responsable de la grève, va-t-il payer politiquement le fait d’avoir tardé à prendre la mesure du blocage ? « On peut comprendre le niveau d’exaspération, admettait lundi un député Renaissance. Mais je ne pense pas que ça laisse des traces durables. La capacité d’oubli des gens est considérable. » Encore un discours rassurant ! D’autres prévoient déjà un conflit qui s’enlise dans la durée : « La CGT veut nous faire payer la réforme des retraites », s’alarme un conseiller ministériel qui insiste : « Mais il s’agit d’entreprises privées ! L’État ne peut pas être responsable de tout ». N’empêche que les ministres réunis lundi soir se sont interrogés sur l’usage de la force publique pour débloquer au plus vite les dépôts de carburant.

2. Que peut faire le gouvernement ?

Depuis plusieurs jours, l'État puise dans ses stocks stratégiques. Ces réserves correspondent à 90 jours de consommation selon la Première ministre, et ont commencé à être acheminées dans les stations-service. Cela aurait « permis d'augmenter les livraisons de 20 % par rapport aux flux habituels », a assuré Élisabeth Borne. Mais cela ne suffit pas à mettre fin aux pénuries.

Le gouvernement appelle désormais « à ce que la totalité des blocages soient levés sans délai, sans quoi nous ferons le nécessaire pour les lever », a estimé Olivier Véran, ce mardi 11 octobre sur RTL, en agitant la menace d'une réquisition des salariés grévistes. À l'Assemblée, ce mardi après-midi, Élisabeth Borne a annoncé qu'elle avait demandé aux préfets une procédure de réquisition des « personnels indispensables » d'Esso-ExxonMobil, où un accord a été trouvé, et ne l'exclut pas pour TotalEnergies.

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Légalement, les préfets ont la possibilité de passer outre le droit de grève, garanti par la Constitution, en cas d'atteinte « d’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques ». La réquisition ne peut toutefois pas concerner tous les grévistes, mais seulement ceux qui seraient indispensables pour assurer un « service minimum ». Cela risque d'envenimer davantage le dialogue social. « Ce serait la guerre », a prévenu Emmanuel Lépine, le secrétaire général de la Fédération professionnelle de pétrole de la CGT, ce mardi sur France Info.

3. La pénurie d’essence représente-t-elle un motif valable pour ne plus se rendre au travail ?

Avec la pénurie d’essence, il devient inévitablement plus compliqué de se rendre sur son lieu de travail. D’autant que le Code du travail n’encadre pas spécifiquement ce cas de figure. Pour l’avocate spécialisée en droit du travail Justine Charbonneau : « la situation ne représente pas un cas de force majeur et ne suffirait pas à justifier l’exonération de son travail par le salarié. » Comme les difficultés d’approvisionnement s’inscrivent dans la durée, le caractère imprévisible de la situation ne peut être retenu.

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C’est donc le cadre général de la loi qui s’applique et des retenues de salaires pourraient être appliquées en cas d’absence. Pour autant le salarié ne risque pas forcément de sanctions. « Matériellement, des personnes seront totalement empêchées d’aller travailler et des justifications pourront être apportées au cas par cas, tant que le salarié fait preuve de bonne foi, tempère Justine Charbonneau mais si le salarié habite en ville il sera encouragé à prendre les transports en commun. » La négociation avec l’employeur doit donc prévaloir. Celui-ci peut accorder au salarié la possibilité de télétravailler, de prendre des congés payés ou des jours de récupération.

4. Les revendications des syndicats sont-elles excessives ?

C'est en tout cas ce qu'a laissé penser la direction de TotalEnergies. Dans un communiqué , publié ce week-end, le groupe pétrolier voulait rappeler que la « rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie de TotalEnergies en France en 2022 est de 5 000 € par mois, intéressement et participation compris ». Ces chiffres ne sont toutefois qu'une moyenne et sont contestés par certains syndicats, dont la CGT. Dans le même communiqué, TotalEnergies se félicite d'ailleurs que les récentes négociations de la branche professionnelle des industries pétrolières aient abouti à un accord qui prévoit une hausse de la rémunération minimale pour la porter à 10 % au-dessus du SMIC. Ce qui veut bien dire que certains salariés du groupe gagnent moins de 1 460 euros net par mois.

Ce mouvement social vise à anticiper les négociations salariales, initialement prévues pour commencer en janvier 2023. Les syndicats voulaient qu'elles se tiennent dès le mois d'octobre, notamment pour demander des hausses de salaires de 10 % (7 % au titre de l’inflation et 3 % pour le partage des profits), un plan d'investissement industriel et des embauches.

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Ces négociations n'ont pas encore commencé, même si le groupe a accepté de les ouvrir « au mois d'octobre » en exigeant d'abord que les blocages cessent. Les salaires chez Total n'ont pas augmenté pour compenser l'inflation de l'année 2022, qui est estimée autour de 5,8 %. Ils ont par contre obtenu des augmentations de 3,5 % en janvier dernier, pour couvrir l'inflation constatée en 2021, qui était de 1,6 %.

Cette même année, le P.-D.G., Patrick Pouyanné s'était alors augmenté de 52 % portant ses revenus à près de 6 millions d'euros par an. En parallèle, le groupe pétrolier a déclaré près de 11 milliards d'euros de bénéfices au premier semestre 2022, soit près de deux fois plus que l'année précédente. Au début de la grève, les actionnaires ont également reçu un versement exceptionnel de 2,6 milliards d'euros, en attendant les dividendes qui seront versés à la fin de l'année. Un geste très mal perçu par les salariés en grève, qui craignent de ne recevoir que les miettes des très bons résultats de leur entreprise.

5. Les pénuries ont-elles un impact sur les transports en commun ?

Des difficultés ont déjà été constatées sur certaines lignes de ramassage scolaire en Île-de-France. Ce lundi, 90 % des lignes de transport scolaire confiées à l'entreprise les Cars Bleus ne pouvaient être assurées dans l'Essonne et en Seine-et-Marne. D'autres exploitants de ramassage scolaires redoutent aussi des ruptures dans la semaine. Même situation pour les autres transports en commun. Optile, qui regroupe les exploitants privés des lignes d’Île-de-France qui fonctionnent en parallèle de la RATP, craint aussi de manquer de carburant.

« L’état des stocks de carburant au sein des entreprises des réseaux Optile devient critique, avec des risques d’arrêt imminent des réseaux de bus de Grande Couronne. Nos entreprises en appellent à l’État pour faire rétablir urgemment les livraisons », expliquait lundi sur Twitter Youenn Dupuis, administrateur des réseaux Optile. Pour l'heure, la RATP assurait ne pas avoir « d’alerte de ce côté ». Enfin, une association fédérant 120 entreprises de transport frigorifique a mis en garde contre des « ruptures sur les produits alimentaires pour les Français » si les pénuries de carburant dues aux grèves perduraient.