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Orages et pluies diluviennes : comment fonctionne le système de vigilance de Météo-France ?
Marseille, dans la nuit orageuse du 17 au 18 août août 2022.
PHOTOPQR/LA PROVENCE/MAXPPP

Orages et pluies diluviennes : comment fonctionne le système de vigilance de Météo-France ?

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En Corse, le bilan humain ne cesse de s'alourdir après que de violents orages se sont abattus sur l'île. Or, le service météorologique n'a déclenché la vigilance orange qu'au moment où des vents violents ont été enregistrés sur la côte. Une absence de réactivité déjà pointée lors des intempéries survenues mardi 16 août à Paris.

Y a-t-il un dysfonctionnement dans les vigilances émises par Météo-France ? Après Paris, où le niveau a été maintenu en jaune malgré les pluies diluviennes du mardi 16 août au soir, c'est au tour de la Corse de faire les frais d'une mauvaise évaluation des risques par le service météorologique. Alors que l'île de Beauté était passée en jaune mercredi en fin de journée jusqu'à au moins 9 heures le lendemain, le niveau a été brutalement relevé à l'orange jeudi matin au moment même où « une rafale exceptionnelle de 224 km/h » était enregistrée sur la côte ouest.

En d'autres termes, la Corse était déjà touchée par une violente tempête lorsque le niveau de vigilance a été relevé, ne laissant que très peu de temps aux habitants et autorités pour réagir. Bilan provisoire lié aux intempéries sur place : 5 morts, dont une jeune fille de 13 ans et une femme de 72 ans, et 12 blessés. Gérald Darmanin a annoncé se rendre jeudi après-midi sur l'île.

Système « vigilance » : de quoi parle-t-on ?

Ce funeste dénouement aurait-il pu être évité si le degré de vigilance avait été relevé à temps ? Pas si simple. Tout d'abord, que signifie exactement ce système de vigilance ?

Celui-ci a été mis en place en octobre 2001 par Météo-France, après les violentes tempêtes Lothar et Martin fin décembre 1999. Comme expliqué sur le site de l'organisme, il est conçu « pour informer les citoyens et les pouvoirs publics en cas de phénomènes météorologiques dangereux en métropole dans les prochaines 24 heures » en publiant notamment des cartes de France détaillant les départements concernés par les risques.

Il existe différents risques pouvant donner lieu à une vigilance : les orages donc, mais également les pluies et inondation, les vents violents, la neige et le verglas, les avalanches, les risques de canicule et de grand froid depuis 2003 et de vagues-submersion depuis 2011. En Outre-mer, la vigilance porte aussi sur les risques de forte houle et de cyclone.

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Ces phénomènes déterminent ensuite le niveau de vigilance défini par Météo-France et sont mis à jour bi-quotidiennement (à 6 heures et à 16 heures). Il existe quatre niveaux de vigilance, figurés par des couleurs. Le vert, synonyme de niveau 1, n'indique aucune vigilance particulière. Le jaune (niveau 2) invite les usagers et les autorités à être attentifs à la météo, laquelle pourrait se révéler « occasionnellement » dangereuse, comme l'écrit la préfecture de l'Isère. L’orange (niveau 3) signifie que « des phénomènes météorologiques dangereux sont prévus ». Le rouge (niveau 4), est un appel à une vigilance absolue et prévoit des événements « météorologiques dangereux d’intensité exceptionnelle ».

Toutefois, la vigilance Météo-France ne traduit pas seulement l’arrivée d’un phénomène météorologique majeur, bien qu'il s'agisse d'une information prépondérante. La vigilance est aussi fixée en fonction des enjeux et de la vulnérabilité de la zone qui va être touchée, comme l'étaye le site pédagogique public Réseau canopé.

Quel niveau d'efficacité ?

Selon les données de l'Organisation météorologique mondiale, relayées par le site de Météo-France, « le nombre de catastrophes d'origine météorologique, climatique ou hydrologique a été multiplié par 5 entre 1970 et 2019 ». Or, sur la même période, l'organisme météorologique « observe trois fois moins de décès grâce aux dispositifs d'avertissement précoce et à la gestion des catastrophes », notamment du fait du système vigilance.

Entre 2002 et 2020, Météo-France a activé 987 vigilances de niveau orange ou rouge (épisode d'un jour ou plus, sur un département ou plus), soit 52 épisodes par an en moyenne, et 84 % des épisodes concernaient pluie-inondation, orages, neige-verglas et vent violent. Entre 2001 et le 6 octobre 2021, on dénombre 34 vigilances rouge dont 19 pour pluie-inondation, 3 pour canicule, 3 pour neige-verglas, 2 pour avalanches et 7 pour vent violent.

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Des niveaux déclenchés afin de prévenir les populations et les inviter à effectuer les bons gestes. Le site de la préfecture de la Haute-Vienne rappelle ainsi qu'en cas de vigilance orange liée à des risques d'orages, il convient de se montrer prudent « en particulier dans [ses] déplacements et [ses] activités de loisir », d'éviter « d'utiliser le téléphone et les appareils électriques », de mettre « en sécurité [ses] biens » et de s'abriter « hors des zones boisées ».

Distinguer « vigilance » et « alerte »

Mais le système vigilance n'est qu'un indicateur à destination du public, des médias et des pouvoirs publics. Il ne s'agit en aucun cas d'une alerte, cette dernière pouvant être seulement émise par les maires sur ordre des préfets, comme le précise un document de Vigicrue, organisme gouvernemental travaillant en étroite collaboration avec Météo-France.

À charge pour les édiles, donc, de prévenir la population et de « mettre en œuvre un éventuel plan communal de sauvegarde ». Ainsi, l'alerte « n’est déclenchée que lorsque le danger est avéré, par exemple lorsque l’importance de la crue prévue justifie le déclenchement des mesures de sauvegarde et la mobilisation des moyens de secours ».

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Lorsqu'une alerte est activée, il revient aux autorités de diffuser des messages de prévention à destination des habitants via radio ou SMS par exemple. Le cas échéant, les forces de sécurités peuvent procéder à l'évacuation des populations concernées, comme ce fut le cas en Gironde lors des incendies de juillet et de début août.

Difficultés prévisionnelles ?

Or, les violents orages de jeudi en Corse n'ont pas été détectés à temps par Météo-France, ce qui n'a pas permis aux autorités d'anticiper la violence du phénomène et, d'éventuellement, déclencher l'alerte. Déjà mardi 16 août, lorsque la pluie s'était abattue sur Paris, le service météorologique avait déjà été pointé du doigt pour son manque de réactivité, la capitale étant alors placée en vigilance jaune.

Dans la foulée, Météo-France publiait un article sur son site Internet, intitulé « Pourquoi les orages sont difficiles à prévoir », décrivant le processus de formation du phénomène. Si celui-ci mêle « la température de l'air en surface et en altitude, la variation du vent selon l'altitude et l'humidité de l'air près du sol », il « dépend beaucoup des conditions locales très variables de température et d'humidité des sols, influencées par la nature du sol, le type de végétation, mais aussi la configuration du relief ».

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« Un orage évolue sur une courte durée (de quelques dizaines de minutes à quelques heures) et concerne une zone géographique limitée (quelques dizaines de kilomètres), détaille l'article. [Il] peut se déplacer très rapidement ou stationner au même endroit, ce qui rend difficile la prévision de la localisation de ce phénomène. »

Pourtant, dans la nuit de mercredi à jeudi en Corse – à nouveau placée en vigilance orange jusqu'à vendredi matin –, certains internautes mettaient en garde contre les risques de pluies diluviennes sur l'île de Beauté. Étienne Farget, également rédacteur pour le site Météo-Contact, publiait dès le 17 août au soir un message prévenant que « la Corse est soumise à un risque orageux particulier » : « Il peut très bien ne pas avoir le moindre orage, mais si un orage se forme il pourrait être d'une très extrême violence avec des conditions atmosphériques très favorables aux orages violents », poursuivait-il.

À 6 h 39, le lendemain matin, le même internaute se montrait plus précis dans ses prédictions, annonçant un « vent très violent de 100 à 140 km/h » ainsi que des « pluies intenses », invitant ses lecteurs à se « mettre à l'abri ». La vigilance orange ne sera finalement annoncée que deux heures plus tard par Météo-France. Trop tard.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne