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Hydrogène : quand l'Allemagne défend sa position aux dépens du climat et de la France
Les amendements déposés par le député allemand et conservateur Markus Pieper ont largement modifié le cadre règlementaire autour de l'hydrogène « renouvelable ».
snapshot/Future Image/D Anoragan/SIPA

Hydrogène : quand l'Allemagne défend sa position aux dépens du climat et de la France

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Le Parlement européen a adopté, la semaine dernière, deux amendements proposés par un député allemand qui modifient profondément les règles de production de l'hydrogène considéré comme « renouvelable ». Selon le texte, ce vecteur d'énergie, qui doit contribuer à la transition écologique, pourrait provenir d'une électricité issue du gaz ou du charbon. Une aberration climatique.

Après les intenses débats autour de la taxonomie (la classification des sources d'énergies durables), l'Union Européenne pourrait être agitée par un nouveau feuilleton énergétique, autour de l'hydrogène. La semaine dernière, le Parlement européen a adopté, à l'issue d'un vote très serré, un texte largement amendépar le député allemand Markus Pieper (CDU).

Ces ajouts modifient considérablement le cadre applicable à la production d'hydrogène considéré comme « renouvelable ». Si le texte définitif doit encore être débattu, les avancées du Parlement européen pourraient être une très mauvaise nouvelle pour le climat et la filière française.

De quoi on parle ?

L'Union Européenne place de grands espoirs dans l'hydrogène pour accomplir sa transition énergétique. Ce vecteur d'énergie est censé remplacer les hydrocarbures fossiles et émettrices de CO2 dans certaines activités, comme l'industrie ou les transports. Actuellement, l'industrie européenne est toutefois très loin d'avoir atteint des capacités techniques et productives suffisantes. D'ici 2030, l'UE entend disposer de 20 millions de tonnes d'hydrogène « vert ». La moitié serait produite sur le continent, l'autre serait importée.

Pour que cela soit viable sur le plan climatique, tout l'enjeu est de savoir comment sera produit cet hydrogène. Si la molécule est très présente sur Terre, son extraction à des fins industrielles est très complexe. Aujourd'hui, on peut la soustraire du gaz naturel, mais ce n'est pas une technique soutenable pour le climat puisque cela revient à utiliser une énergie fossile. L'autre solution est d'utiliser de l'eau. L'idée est alors de séparer la molécule d'hydrogène de la molécule d'oxygène avec de l'électricité. Cela s'appelle l'électrolyse. C'est cette technique, très gourmande en électricité, qui est principalement retenue.

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Donc, l'autre question cruciale est de savoir d'où vient le courant utilisé par les électrolyseurs. Pour faire de l'hydrogène considéré comme « vert », l'électricité doit provenir d'une source d'énergie renouvelable : éoliennes, panneaux photovoltaïques, barrages hydroélectriques… Il pourrait être considéré comme « bleu », et donc peu carboné, s'il utilise de l'électricité produite avec du nucléaire. En revanche, l'hydrogène ne peut plus être assimilé à une énergie décarbonée s'il repose sur l'exploitation de centrales thermiques, à gaz et au charbon, émettrices de CO2.

Quel est le problème ?

C'est pourtant ce que permet le texte adopté par le Parlement européen la semaine dernière. Les règles ont été largement assouplies par rapport au projet initial de la Commission européenne. Initialement, la production d'hydrogène devait impérativement s'appuyer sur des sources supplémentaires d'électricité d'origine renouvelable. Et les deux productions devaient être strictement corrélées, pour éviter l'aberration de devoir puiser dans le réseau existant pour fabriquer de l'hydrogène alors que de nombreux usages doivent déjà être électrifiés pour accomplir la transition énergétique.

Ces règles ont été supprimées par l'amendement introduit par Markus Pieper et massivement soutenu par la délégation allemande au Parlement européen. Au final, les industriels risquent de pouvoir utiliser massivement le parc électrique existant. Conséquence : en Allemagne et dans de nombreux pays européens, cela permettrait de produire de l'hydrogène avec du courant issu de centrales à charbon. Tout sauf une bonne nouvelle pour le climat.

À terme, les objectifs de production très élevés d'hydrogène en Europe pourraient même justifier le maintien en fonctionnement de ces centrales à charbon pour garder un stock suffisant d'électricité. « L'objectif de production d'hydrogène vert en Europe suppose d'utiliser l'équivalent de la production électrique de la France, c'est colossal », illustre ainsi à Marianne Geert Decock, responsable du suivi de l'hydrogène à l'ONG Transport et Environnement.

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D'autant que, dans le contexte actuel marqué par un manque de production électrique en France, la fabrication d'hydrogène sans nouvelles sources d'énergies renouvelables risque de faire grimper le montant des factures pour les consommateurs.

Dernier problème : le texte du Parlement européen prévoit que les règles européennes ne s'appliqueront pas aux importations venant de l'extérieur de l'UE. En clair, s'il était adopté en l'état, le texte ouvrirait les vannes de l'hydrogène, y compris aux productions les moins vertueuses. Au détriment du climat et des consommateurs.

Comment expliquer cette décision ?

Les lobbies industriels, qui entendent intensifier rapidement la production d'hydrogène, ont obtenu gain de cause. Ils sont soutenus par de nombreux pays européens, et notamment par l'Allemagne. « L'objectif de Berlin est avant tout d'atteindre, à l'échelle de l'UE, l'objectif des 20 millions de tonnes d'hydrogène par an en 2030, quitte à maintenir une partie de la production de gaz ou de charbon », observe Mikaa Mered, enseignant en géopolitique de l'hydrogène à Sciences Po, interrogé par Marianne. Le déclenchement de la guerre en Ukraine et la crise du gaz ont durci cette position, et « nourrissent le narratif des Allemands sur l'urgence de massifier la production d'hydrogène », estime Mikaa Mered.

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« La délégation allemande au Parlement européen a aussi défendu cette position en pensant à la survie du moteur thermique » et de son industrie automobile, poursuit Geert Decock, responsable du suivi de l'hydrogène à l'ONG Transport et Environnement. « C'est la position la plus risquée du point de vue climatique. La position des industriels allemands c'est de dire : "massifions l'industrie, lançons le marché, durçissons les critères environnementaux après" », indique Mikaa Mered, enseignant à Sciences Po. Une promesse risquée. Rien ne garantit que les industriels ne défendront pas encore une position favorable à la dérégulation dans 10 ou 20 ans.

Pourquoi la France est marginalisée ?

Le contenu du texte doit encore être discuté lors des phases de « trilogue », entre des représentants du Parlement européen, de la Commission et les ministres nationaux. « La France risque de se trouver dans une position minoritaire alors qu'une majorité de pays penche pour la position allemande. Paris milite pour prévoir des critères environnementaux stricts. Il s'agit aussi de préserver l'écosystème hydrogène national, plus ancien que son équivalent allemand, et d'éviter de se faire phagocyter par des puissances non-européennes. En l'état, le texte encourage en effet la distorsion de concurrence, en n'imposant pas de règles strictes pour les importations », relève Mikaa Mered, enseignant à Sciences Po.

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« Le fondement de la position française c'est aussi d'essayer d'assurer une indépendance énergétique en Europe grâce à l'hydrogène, quand les Allemands pensent d'abord à multiplier les sources potentielles d'importation pour sécuriser leur approvisionnement », note Mikaa Mered. En fin de semaine dernière, le média Euractiv révélait qu'Agnès Pannier-Runacher a écrit à la Commissaire européenne à l’Énergie pour défendre la position française. Elle entend notamment pousser pour introduire l'hydrogène issu du nucléaire dans la stratégie européenne, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Encore un dossier sur lequel la France butera sur la position allemande, qui n'entend pas donner une nouvelle raison d'être à l'atome, dont Berlin s'est détourné.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne