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L'équipe de France football parlementaire, mercredi 28 septembre.
L'équipe de France football parlementaire, mercredi 28 septembre.
PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Match de foot à l'Assemblée : entre refus du sectarisme et franche camaraderie

Reportage

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La Nupes et Aurore Bergé ont appelé à boycotter le match de foot caritatif à l'Assemblée, pour ne pas se retrouver dans la même équipe que des élus RN. Ceux qui ont chaussé les crampons assument et dénoncent le « sectarisme » à gauche.

« Christian ! Christian ! » « Joue, Antoine, joue ! » « Là ! Là ! Là ». Le ballon vole d’un bout à l’autre du terrain, s’attardant nettement plus dans les pieds des joueurs en rouge que dans ceux des adversaires en bleu. Les premiers, estampillés « Positive football », sont d’anciennes stars du ballon rond – Wilfried Mbappé, père de Kylian –, des humoristes – Paul Mirabel –, ou encore des artistes – Matt Pokora. Les seconds sont floqués « Assemblée nationale » et coachés par l'ex-entraîneur du PSG, Luis Fernandez.

La seconde équipe rencontre quelques difficultés sur le terrain du stade Émile Anthoine, dans le XVe arrondissement de Paris . « Qui a mis le second but ? », répète, rouge et en sueur, le LR Thibault Bazin, les joueurs ont du mal à s'identifier. Les parlementaires sont rapidement menés. Dès la vingt-deuxième minute, l'un des « Bleus » s’effondre à terre, l'élu RN de l’Yonne Julien Odoul, qui doit sortir sur une civière. « On a entendu un "crac" », rapporte un spectateur. « Rupture du tendon rotulien, il sera opéré demain », révèle l'un des trois co-capitaines de l'équipe, Karl Olive (Renaissance). À la mi-temps, le score est de 5 à 2 pour « Positive football ».

Julien Odoul (RN) est évacué sur une civière après s'être rompu le tendon rotulien.
Julien Odoul (RN) est évacué sur une civière après s'être rompu le tendon rotulien.
EPA/MAXPPP

Luis Fernandez rassemble ses joueurs. La nuit est tombée, les projecteurs ont été allumés, d'autres parlementaires se préparent à entrer sur le terrain. Pas suffisant pour remonter. L'équipe parlementaire encaisse 5 nouveaux buts. Coup de sifflet final et un résultat calamiteux : 10 à 2. Les joueurs se saluent, plaisantent, partent se changer. Ils se retrouveront pour « la troisième mi-temps », les organisateurs de la rencontre ayant prévu un apéro dînatoire sur une estrade avec les deux équipes.

Boycott

Faire équipe ? Cette perspective en aura fait fuir plus d’un. À commencer par les élus de la Nupes. La veille de cette rencontre caritative, qui s'est tenue mercredi 28 septembre et vise à soutenir l'association « e-Enfance » contre le cyberharcèlement, les députés de la coalition de gauche ont appelé au boycott, refusant de participer à l’entreprise de « banalisation » du Rassemblement national .

Résultat : Éric Coquerel , Ugo Bernalicis ou encore David Guiraud n'ont pas participé à l'initiative, même si un parlementaire avait assuré un peu plus tôt à l'AFP que ceux-ci soutiendront financièrement et directement l'association. Quelques heures après cette annonce, la patronne de Renaissance, Aurore Bergé, recommandait, elle aussi, dans un SMS envoyé à ses troupes « de ne pas participer à un match qui donnera lieu à une "photo d'équipe" », autour d’un chèque de 35 000 euros destinés à l’organisation.

« C’est nul ! », déplore auprès de Marianne Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais et lui aussi co-capitaine, qui y voit « un coup de com’ sur le dos des gamins ». « Si la Nupes veut aller au bout de sa logique, ils doivent refuser de siéger dans l’hémicycle quand le président de séance est un RN et refuser que des frontistes votent leur motion de censure », poursuit l’élu, mettant directement en cause le timing de cette séquence médiatique : « On appelle ça "la technique du contre-feu" : cette polémique est un tir de barrage à l’affaire Quatennens et à l’affaire Bayou. En politique, le meilleur moyen de resserrer les rangs, c’est de désigner un ennemi commun. »

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Au total, sur une trentaine d'élus ayant confirmé leur présence pour ce match, seuls vingt ont fait le déplacement. L’équipe de foot de l’Assemblée, mixte et composée de trois co-capitaines, a dû compter sans la dernière, Marietta Karamanli (PS). « Je n’ai pas choisi cette situation », déclarait à Marianne la députée peu avant le match, laquelle a été remplacée sur le terrain par le champion 1998 Christian Karembeu.

Un seul député de gauche a finalement fait le déplacement. Davy Rimane, élu sans étiquette en Guyane et siégeant au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – Nupes. Quelques gouttes de sueur au front, il assure à Marianne ne pas avoir été mis au courant des tractations de ses collègues : « Ce match se tient pour une cause juste et j’ai toujours joué au foot. On n’est pas là pour faire de la politique et il n’y a pas de fierté particulière à être le seul député de gauche », balaye-t-il, haletant, avant de rejoindre ses coéquipiers en trottinant.

« Marine Le Pen devrait ériger une statue à LFI »

Face à une nuée de journalistes, Karl Olive déroule un discours rodé : « On peut avoir des différends, des façons divergentes de voir les choses. Mais dans le sport, on ne fait pas de politique, assène cet ancien joueur et arbitre de football, ex-patron des sports chez Canal +. Marine Le Pen devrait ériger une statue à LFI, on n’a jamais autant parlé du RN à cause d’eux ! » Et Aurore Bergé ? « Il s’agissait d’une recommandation. Aurore est très engagée dans ses combats, commente sobrement l'élu. S’il y avait eu une interdiction, je serais venu quand même. » En définitive, la consigne de la cheffe de groupe a été suivie par un seul député Renaissance, Belkhir Belhaddad.

Devant les vestiaires, le député RN Philippe Ballard, entré en seconde mi-temps sur le terrain, s’en amuse : « Aurore Bergé n’a pas compris ce qu’était la politique. » Avant de reconnaître que la polémique « sert » tout de même le parti à la flamme. L’élu RN du Pas-de-Calais, Emmanuel Blairy, lui fulmine : « Notre collègue Christophe Barthès (RN) est vice-président de l’Association de gestion des restaurants parlementaires de l’Assemblée nationale (Agran). Ça veut dire quoi ? Qu’on ne va plus à la buvette quand on n’est pas Rassemblement national ? Qu’ils aillent au bout de leur logique ! », lance-t-il, visant particulièrement les élus France insoumise.

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Il est interrompu par Christophe Naegelen, député LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires - centre droit). Un « check » puis une accolade franche entre les deux hommes. Entre le refus du sectarisme et la camaraderie, la frontière semble tout de même fine.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne