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"Incroyable mais vrai : il pourrait y avoir plus de joueurs nés en France parmi « les Aigles de Carthage » que chez les Bleus au coup d’envoi de France–Tunisie ce mercredi au Qatar. "
"Incroyable mais vrai : il pourrait y avoir plus de joueurs nés en France parmi « les Aigles de Carthage » que chez les Bleus au coup d’envoi de France–Tunisie ce mercredi au Qatar. "
Natalia KOLESNIKOVA

"Menace sur le foot français : ces joueurs nés en France qui choisissent une autre équipe nationale"

Tribune

Par Xavier Barret

Publié le

La France est le premier pays de naissance des joueurs sélectionnés pour le Mondial au Qatar. Xavier Barret, journaliste et auteur d'un « Guide de la Coupe du monde » (éditions Solar), analyse les racines d'un phénomène qui pourrait représenter un danger si nous étions amenés à connaître un « trou de génération », comme après Michel Platini et Zinedine Zidane.

Incroyable mais vrai : il pourrait y avoir plus de joueurs nés en France parmi « les Aigles de Carthage » que chez les Bleus au coup d’envoi de France – Tunisie ce mercredi 30 novembre à 16h au Qatar. Si Didier Deschamps titularise les trois Bleus nés à l’étranger (Eduardo Camavinga en Angola, Marcus Thuram en Italie – où jouait son père Lilian – et le gardien Steve Mandanda en République démocratique du Congo), l’équipe de France ne compterait que 8 joueurs natifs de l’Hexagone alors que son adversaire tunisien peut en aligner 10*. Un évènement révélateur du constat fait à la lecture des listes de joueurs publiées par la FIFA quelques jours avant le début de cette 22e Coupe du monde. Parmi les 831 sélectionnés par les différents pays qualifiés (l’Iran n’en a retenu que 25 au lieu des 26 autorisés), 61 sont nés en France.

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Aucun autre pays n’a vu naître autant de joueurs sélectionnés pour ce Mondial que la France. Pas même le Brésil (29), pourtant grand exportateur de talents, les Pays-Bas (30) ou l’Allemagne (31). Seul le Royaume-Uni se rapproche du total français avec 60 joueurs nés outre-Manche, mais deux sélections qualifiées : l’Angleterre (25 des 26 sélectionnés y sont nés) et le pays de Galles (16 Gallois sont nés « au pays » et 9 en Angleterre). Ce chiffre démontre – s’il en était encore besoin – la qualité de la formation française, déjà consacrée par deux victoires en Coupe du monde (1998 et 2018), deux à l’Euro (1984 et 2000) et de nombreux trophées dans les compétitions de jeunes.

Volontés politiques

Mais ce constat inquiète, car cela signifie que 38 joueurs ont choisi de porter un autre maillot que le bleu de la France où ils sont nés ! Ces pays bénéficiaires de l’apport de la formation à la française sont donc la Tunisie (10), le Sénégal (9), le Cameroun (8), le Ghana (4), le Maroc (3), le Portugal (1), l’Espagne (1), l’Allemagne (1) et le Qatar (1). Et encore, l’Algérie ne s’est pas qualifiée cette fois-ci. C’est la nation qui, dans l’histoire de la compétition, a sélectionné le plus de joueurs nés en France : 32, selon le décompte publié dans le Guide de la Coupe du monde (éditions Solar).

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Marginal pendant de longues années, ce phénomène s’est considérablement développé depuis le début des années 2000 par la conjonction de deux volontés politiques : celle de certains pays de se constituer rapidement une équipe nationale compétitive et celle de l'ex-président de la FIFA, le Suisse Sepp Blatter, de se faire réélire par la majorité des 200 fédérations membres (211 aujourd’hui). C’est dans ce contexte que la boîte de Pandore a été ouverte par la FIFA elle-même. Jusqu’alors, un footballeur qui avait joué une seule fois pour un pays, même en juniors ou en cadets, ne pouvait pas changer de maillot. Désormais, il peut changer de « nationalité sportive » selon un certain nombre de critères définis en 2004 puis affinés en 2008 et en 2020.

« Désormais, certains footballeurs ne rêvent plus de jouer la Coupe du monde avec leur pays, mais avec le pays qui pourra leur offrir ce dont ils rêvent. »

C’est ainsi que la FIFA s’est opposée à la naturalisation des Brésiliens Ailton, Léandro et Dédé par le Qatar, entraîné par le Français Philippe Troussier, en 2003-2004, ou à la constitution d’une sélection des îles Caïmans avec des joueurs de Premier League « oubliés » par les différentes sélections britanniques.

Mais ce changement de réglementation a tout de même ouvert la voie à la marchandisation des équipes nationales. Désormais, certains footballeurs ne rêvent plus de jouer la Coupe du Monde avec leur pays, mais avec le pays qui pourra leur offrir ce dont ils rêvent. Ou ce dont rêvent leurs parents, premiers supporters pas toujours désintéressés. C’est ainsi que certains jeunes nés en France débarquent dans des pays où ils n’ont parfois jamais mis les pieds, mais où leurs parents se font livrer une villa clefs en main.

Il y a désormais une pression terrible sur les académies (centres de formation) des grands pays formateurs : la France bien sûr, mais aussi l’Angleterre, la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et même la Suisse. Né dans le canton d’Argovie et formé au FC Bâle, Ivan Rakitic avait opté dès ses 21 ans pour la Croatie (avec qui il a joué la finale de la Coupe du monde 2018) et son changement de nationalité sportive avait provoqué un vif émoi chez les Helvètes. Certaines fédérations sont organisées comme des clubs professionnels, avec des « scouts » (recruteurs), pour aller débaucher les jeunes susceptibles de revêtir un autre maillot que celui de leur pays de naissance.

« Trou de génération »

Cela complique terriblement la tâche des sélectionneurs soumis à l’impatience des jeunes talents et de leurs entourages. Au lieu de leur faire gravir méthodiquement les échelons (des différentes catégories d’âges, -17 ans, -18, -19, -20 et Espoirs), ils sont obligés de précipiter leurs promotions car un autre pays leur propose déjà, à 18 ou 19 ans, une sélection A, pour jouer la Coupe d’Afrique des nations par exemple.

C’est ainsi qu’Hannibal Mejbri, issu de l’INF Clairefontaine, a opté pour la Tunisie dès ses 18 ans et Christopher Wooh, formé à Nancy, pour le Cameroun à 20 ans à peine. Zinédine Zidane, lui, a fait ses débuts en équipe de France A à 22 ans, Antoine Griezmann à 23, Olivier Giroud et N'Golo Kanté à 25 et Steven Nzonzi à 28 ans et… ils ont tous gagné la Coupe du monde.

Pour le moment, les Bleus déjà qualifiés pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde, n’ont pas grand-chose à craindre d’une équipe de Tunisie largement constituée de joueurs nés en France. Mais, à l’avenir, s’il y a « un trou de génération » (comme la France en a déjà connu après Michel Platini et après Zinédine Zidane), on pourrait regretter d’avoir laissé partir autant de jeunes talents jouer sous d’autres couleurs.

***

* Les Tunisiens nés en France : Wahbi Khazri (à Ajaccio), Naïm Sliti (à Marseille), Ellyes Skhiri (à Lunel), Dylan Bronn (à Cannes), Wajdi Kechrida (à Nice), Montassar Talbi (à Paris), Nader Ghandri (à Aubervilliers), Aissa Laidouni (à Livry-Gargan), Hannibal Mejbri (à Ivry-sur-Seine) et le gardien Mouez Hassen (à Fréjus).

** La réglementation FIFA sur les changements de nationalités est disponible ici .

831 joueurs au Qatar, où sont-ils nés ?

(en gras, les pays qui ont vu naître plus de joueurs que les 26 autorisés par sélection pour cette Coupe du monde)

France 61

Royaume-Uni 60 (Angleterre 42 + pays de Galles 16 + Écosse 2)
Espagne 31
Allemagne 31
Pays-Bas 30
Belgique 29
Argentine 29
Brésil 29
Suisse 27
Danemark 26
Arabie saoudite 26
Corée du Sud 26
Japon 25
Mexique 25
Costa Rica 25
Uruguay 25
Équateur 24
Pologne 24
Iran 24
États-Unis 23
Canada 22
Croatie 22
Serbie 22
Portugal 21
Ghana 20
Cameroun 19
Australie 18
Sénégal 16
Qatar 16
Tunisie 14
Maroc 12
Soudan 5
Bosnie-Herzégovine 4
Italie 3
Angola 2
Autriche 2
Guinée Bissau 2
Irak 2
Afrique du Sud 1
Algérie 1
Bahreïn 1
Colombie 1
Côte d’Ivoire 1
Égypte 1
Jamaïque 1
Kosovo 1
Nicaragua 1
RDC 1
Suède 1

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne