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Jean-Luc Mélenchon et Philippe Juvin proposent d'obliger les jeunes médecins libéraux à s'installer dans un désert médical.
Jean-Luc Mélenchon et Philippe Juvin proposent d'obliger les jeunes médecins libéraux à s'installer dans un désert médical.
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP et JULIEN DE ROSA/ AFP

Peut-on obliger les jeunes médecins à s’installer dans les déserts médicaux ?

Une idée pour 2022

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Alors que les déserts médicaux ne cessent de s'étendre, Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) et Philippe Juvin (Les Républicains), appellent à obliger les jeunes médecins libéraux à ouvrir leurs cabinets dans les zones les moins pourvues. Une solution radicale alors que les subventions financières peinent à attirer.

Qu’est-ce qu’ils proposent ?

Pour résorber les déserts médicaux, Jean-Luc Mélenchon propose d'imposer aux jeunes médecins libéraux le lieu de leur installation, en contrepartie d'un meilleur salaire pendant leurs études. « Je pense qu’il faudrait que les étudiants en médecine soient pris en charge par l’État avec une paye normale comme le SMIC, et ensuite ils doivent dix années à l’État, sans possibilité de les racheter », a indiqué le chef de file de la France Insoumise, sur le plateau de BFM TV le 12 novembre dernier. Jean-Luc Mélenchon explique concrètement comment il s'y prendrait : « On dira : "vous, vous allez dans le Lot, vous en Corrèze ou vous dans l’Aveyron." Et voilà comment on pourra combiner notre intérêt à tous. Et tout le monde sera heureux à la fin. »

Ce qui lui fait un point commun avec Philippe Juvin, candidat à la primaire Les Républicains et chef des urgences à l’hôpital Pompidou, à Paris. Le professeur de médecine entend aussi lutter « contre les déserts médicaux en exigeant des jeunes médecins de s’installer dans l’une de ces zones. Ce sera obligatoire après leur thèse. Ils devront en priorité se diriger vers les maisons de santé pluridisciplinaire (MSP) », qui rassemble plusieurs professionnels de santé, explique-t-il au Figaro. Cet anesthésiste-réanimateur de métier précise : « Il y a 3 600 médecins qui sortent chaque année des universités et environ 1 800 maisons de santé [..] Avec ma proposition, je suis capable d'assurer à chacune des MSP partout en France deux médecins supplémentaires ».

On en arrive donc à une obligation d'un an envers l'État pour les jeunes médecins pour Philippe Juvin et de dix ans pour Jean-Luc Mélenchon. Tous deux justifient cette forme de contrainte par la nécessité de lutter contre les déserts médicaux, qui sont en expansion, une réalité dont a rendu compte Marianne dans une récente enquête . La mesure est régulièrement remise sur le devant de la scène, à gauche et à droite de l’échiquier politique. Deux propositions de loi ont été déposées en ce sens ces dernières semaines. L'une le 19 octobre par le député communiste Sébastien Jumel , qui propose notamment de rendre obligatoire l’installation des jeunes médecins dans les zones en sous-densité médicale pendant une période de 3 ans, en contrepartie d’un soutien financier pendant leurs études. L'autre a été examinée par la commission des affaires sociales à l'initiative du député UDI Thierry Benoit, qui propose lui aussi l'obligation d'exercer dans une zone sous-dotée durant les trois ans après l'obtention du diplôme de médecine et souhaite imposer un préavis d'un an à un médecin quittant un territoire sous-doté.

Qu’est-ce que cela changerait ?

L'obligation pour les jeunes médecins de s'installer dans un désert médical conduit à revenir sur un des points fondateurs du statut des médecins généralistes. Ceux-ci sont en effet libres de s’installer où ils le souhaitent. C’est un principe issu de la charte de la médecine libérale de 1927, qui se trouve dans le Code de la sécurité sociale à l’article L 162-2 .

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La donnée la plus précise pour juger de l'aggravation de ces zones moins pourvues de médecins est fournie par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) , le service statis­tique du ministère de la Santé. Ses chercheurs ont mis au point l’« Accessibilité potentielle localisée » (APL), qui combine l’activité des médecins généralistes et les besoins de la population. Sa valeur correspond au nombre moyen de consultations accessibles par an et par habitant. Résultat : en 2018, 3,8 millions de personnes vivaient dans un territoire considéré comme « sous-dense » par la Drees, c’est-à-dire offrant 2,5 visites annuelles ou moins alors que la moyenne se situait à 3,93 consultations par an. Ces personnes n’étaient que 2,5 millions en 2015, une progression rapide et inquiétante qui touche particulièrement les zones périurbaines, en grande périphérie des agglomérations, et les zones rurales.

Comment l’expliquer ? Il y a un double mouvement. D’abord, le nombre global de médecins est en nette baisse. Depuis 2010, les très nombreux soignants formés dans les années 1970 et 1980 partent à la retraite, des départs qui ne sont pas compensés. Entre 2012 et 2021, le nombre de médecins généralistes par habitant a baissé de 7 % en France. Pour y remédier, les pouvoirs publics ont supprimé le plafonnement du nombre d'admis en étude de médecine, le fameux numerus clausus. La tendance à la baisse ne sera pas endiguée avant 2030, date à partir de laquelle le nombre de médecins commencera à augmenter, notamment avec la suppression du numerus clausus, selon la Drees.

Autre explication à la désertification : les jeunes médecins rechignent à s'installer dans les déserts médicaux, qui sont des zones peu attractives, pénalisées par le manque de services publics ou d'emplois correspondant aux qualifications de leurs conjoints. Pour y remédier, les politiques publiques ont largement favorisé les aides financières. Certaines collectivités proposent ainsi des exonérations fiscales ou des chèques de 50 000 euros après une installation… Sans amélioration.

Est-ce possible de le faire ?

L'aggravation de la situation conduit certains responsables politiques comme Philippe Juvin et Jean-Luc Mélenchon à estimer que l'obligation de s'installer dans un désert médical est nécessaire. Cela revient à faire peser une contrainte forte sur le principe de libre installation des médecins, qui risquent de contester cette mesure devant les tribunaux. Si les deux candidats ne l'ont pas clairement exprimé, l'idée d'une contrainte dans l'installation peut être justifiée par le droit à la santé, qui est un principe constitutionnel, et donc supérieur à la libre installation qui est prévue par une simple loi.

Pour limiter le risque juridique, les partisans de la contrainte, comme la Cour des comptes, plaident généralement pour agir sur le conventionnement. Ce qui correspond au fait pour un médecin de signer une convention médicale avec la Sécurité sociale, ce qui notamment permet un meilleur remboursement des patients. L'idée de la contrainte par le conventionnement est résumée dans un rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) rédigé par Sylvie Castaigne et Yann Lasnier en 2017 : « l’assurance maladie vient financer indirectement l’activité des professionnels de santé. En contrepartie de ce financement public, il est cohérent que les citoyens et leurs représentants puissent contrôler que cet argent est efficacement utilisé pour protéger le droit à la santé. »

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Depuis 2017, la Cour des comptes plaide pour une contrainte sur ce conventionnement . Elle propose deux options. Soit « un conventionnement sélectif », qui revient à n'autoriser les installations dans les secteurs les mieux dotés que si un médecin quitte son poste. Un type de contrainte qui existe déjà pour certaines professions médicales comme les infirmiers libéraux. Un rapport sénatorial rédigé par Hervé Maurey et Jean-François Longeot (Union Centriste) a constaté qu'après la mise en place de cette mesure de restriction dans les secteurs les mieux pourvus, les effectifs d'infirmiers dans « les zones très sous-dotées ont progressé de 33 % entre 2008 et 2011 (..) avec une baisse de 3 % des effectifs dans les zones surdotées », ce qui peut être un signe d'efficacité de la contrainte sur l'installation. La Cour des comptes envisage également « un conventionnement individuel généralisé » pour l'ensemble du territoire, qui reviendrait à fixer « un nombre de postes conventionnés » dans chaque zone en fonction des besoins.

Des mesures auxquelles s'opposent vigoureusement les syndicats de médecins, qui mettent en avant un possible effet contre-productif. « Imposer aux jeunes médecins leur lieu d’installation risque de les détourner de la médecine libérale. Ils iront plutôt vers d'autres spécialistes, vers les EHPAD ou la médecine salariée. Cela ne fera qu'aggraver la situation, il n'y a pas formule magique » regrette Jacques Battistoni, le président de la Fédération française des médecins généralistes (MG France) auprès de Marianne.

Ce généraliste installé dans le Calvados plaide plutôt pour une amélioration des conditions de travail et des capacités des médecins généralistes. « Il faut que les médecins aient plus de temps médical pour s'occuper de nouveaux patients. Pour cela, il faut qu'ils puissent s'entourer d'une équipe, et notamment d'assistants médicaux [qui peuvent gérer les tâches administratives et même une partie de la consultation]. C'est comme cela qu'au Pays-Bas ou au Royaume-Uni, des médecins généralistes ont plus de 3 000 patients quand en France on estime qu'un cabinet sature à 1 000 patients », précise Jacques Battistoni. Le président de MG France appelle donc à une concertation avec les élus locaux pour bénéficier d'un soutien financier pour obtenir des locaux plus vastes et embaucher des assistants médicaux. Le gouvernement espère d'ailleurs pouvoir former 4 000 assistants médicaux d'ici 2022.

D'autres solutions semblent également envisageables comme le fait de diversifier les recrutements, comme le préconisait le CESE dans son rapport qui constatait que les étudiants issus de classes sociales favorisées, et citadins, demeurent ­surreprésentés sur les bancs des facultés de médecines.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne