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"She Said" : le cinéma américain recycle (déjà) "l’affaire Weinstein" sur grand écran
Au gré d’un récit de 2 h 10 ne souffrant d’aucun temps mort, Maria Schrader retrace l’enquête minutieuse de ses héroïnes (incarnées par deux actrices impeccables : Carey Mulligan et Zoe Kazan), honore leur courage et, comme dans les meilleurs films consacrés au journalisme, fait l’apologie d’une presse qui, malgré les embûches, refuse de fouler aux pieds ses « fondamentaux » et de céder face aux intimidations.
© Universal Studios. All Rights Reserved.

"She Said" : le cinéma américain recycle (déjà) "l’affaire Weinstein" sur grand écran

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Maria Schrader revient sur l’enquête des deux journalistes du « New York Times » qui, en 2017, ont révélé les affaires d’agressions sexuelles mettant en cause Harvey Weinstein et l’emprise dévastatrice de son « système » à Hollywood. Loin de la catastrophe redoutée, cette fiction confirme s’il en était besoin la sidérante capacité du cinéma américain à évoquer l’histoire récente.

Pendant des décennies, il a régné tel un despote dans les coulisses du cinéma américain, faisant et défaisant les réputations, produisant des films notables (notamment ceux de Quentin Tarantino), abusant des actrices et plus généralement des femmes dans un univers où l’on fermait « pudiquement » les yeux sur ses méfaits. Alors que le petit monde hollywoodien a si longtemps été aveugle (au mieux) ou complice (au pire) du « système Weinstein », le voici, preuve supplémentaire de sa capacité inouïe à recycler l’histoire récente, qui produit et sort un film, intitulé She Said, évoquant l’enquête journalistique ayant permis la chute de l’effrayant nabab et favorisé ainsi la naissance du mouvement #MeToo.

Autant l’avouer : on avait de sérieux doutes sur l’intérêt d’un film qui, sur le papier, semblait condamné, dans une logique de contrition, à entonner les refrains néoféministes les plus prévisibles et à caresser dans le sens du poil certaines « tendances » problématiques du moment : clouage au pilori par principe de tous les mâles pointant le bout de leur nez (ou pire) sur l’écran, apologie béate de la sororité dans tous ses états, etc. Excellente nouvelle : il n’en est (presque) rien et She Said s’impose comme une réussite notable dans un genre, le film d’enquête journalistique, qui donne régulièrement naissance à de stimulantes réussites, comme, ces dernières années, Spotlight de Tom McCarthy, sur le scandale des prêtres pédophiles révélé par le Boston Globe en 2002, ou Pentagon Papers de Steven Spielberg, sur les manipulations politiques autour de la guerre du Vietnam révélées par le New York Times et le Washington Post au début des années 70.

L’honneur de la presse

Dans She Said, la réalisatrice Maria Schrader revient sur l’enquête au long cours menée par deux journalistes du New York Times : Megan Twohey et Jodi Kantor qui, à la fin de leurs investigations périlleuses au sein du système Weinstein, ont publié un livre relatant leur travail, dont s’inspire précisément le film d’aujourd’hui. Ces deux femmes, épaulées à chaque instant par leurs rédacteurs en chef, entament leur mission à haut risque après avoir obtenu des informations concordantes sur le « comportement problématique » de Weinstein au sein de sa compagnie, Miramax, et dans ses rapports avec les femmes : des actrices célèbres comme des salariées lambda de l’entreprise.

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Les deux journalistes s’aperçoivent rapidement de la complexité de leur tâche. Non seulement les comédiennes connues, de peur de voir leur carrière brisée, respectent une funeste loi du silence, mais, de surcroît, de nombreuses ex-employées de Miramax, en échange d’indemnités, ont accepté de signer des accords de confidentialité avec les avocats de Weinstein les contraignant à ne jamais raconter ce qu’elles avaient subi au contact du producteur. Au gré d’un récit de 2 h 10 ne souffrant d’aucun temps mort, Maria Schrader retrace l’enquête minutieuse de ses héroïnes (incarnées par deux actrices impeccables : Carey Mulligan et Zoe Kazan), honore leur courage et, comme dans les meilleurs films consacrés au journalisme, fait l’apologie d’une presse qui, malgré les embûches, refuse de fouler aux pieds ses « fondamentaux » et de céder face aux intimidations. Très recommandable dans son genre.

« She Said ». Sortie le 23 novembre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne