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Présidentielle 2022 : le changement de ton des médias pro-Erdogan à l'égard de Macron
La présidentielle française vue de Turquie.
Mustafa KAMACI / TURKISH PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP

Présidentielle 2022 : le changement de ton des médias pro-Erdogan à l'égard de Macron

Second tour

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Après une présidence marquée par de fortes tensions avec Erdogan, les médias turcs conservent leur défiance vis-à-vis d'Emmanuel Macron même si le conflit Russie-Ukraine a atténué leur ton.

Après un quinquennat marqué par des tensions entre la France et la Turquie, que pense la presse turque du scrutin présidentiel ? À en croire le site Medyaturk info, qui se présente comme bénévole sans « aucun lien avec une structure précise », Emmanuel Macron serait le candidat à battre.

Ce mardi 19 avril, le site ainsi publié et mis en valeur un article d'opinion, écrit par un certain Daniel Milan, qui se présente comme « végétarien, musulman (soufi), égalitariste, anti-supremaciste ». Même si le média précise que les « opinions exprimées sont propres à son auteur et n’engagent pas Medyaturk Info », difficile de passer à côté. Le rédacteur défend une thèse : « pourquoi nous ne devons pas voter Macron au second tour des présidentielles ». Il juge ainsi que Marine Le Pen a « été constamment dans la surenchère liberticide, répressive et islamophobe. Elle a été l’Aiguillon providentiel de Macron, en matière de lois liberticides et contribué à les "banaliser" et à les"légitimer". »

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L'auteur de cette prose poursuit : « Marine Le Pen est avocate, c’est aussi une mère de famille ». Si elle était élue, grâce aux contre-pouvoirs qui « joueront leur rôle (…) Elle ne pourra faire ce qu’elle veut, en matière de violations des droits humains et d’exclusion de parties de nos concitoyens ». Cette même plume avait déjà estimé, le 5 avril, que « Macron a fait passer durant son mandat, le plus grand nombre de lois liberticides, islamophobes et antisociales ». Pour lui, le chef de l'État est le pire candidat, juste devant Éric Zemmour, Valérie Pécresse puis Fabien Roussel. Même Yannick Jadot est pire que Marine Le Pen à ses yeux.

Macron accusé de clientélisme

Les propos tenus dans ce média francophone restent cependant une exception dans le paysage médiatique turc. Plusieurs fins connaisseurs jugent d'ailleurs le site « sulfureux ». Dans une de ses enquêtes, le site Conspiracy Watch, observatoire du conspirationnisme, affirme qu'il a été créé en 2017 par Fatih Karakaya, « militant du Parti Égalité et Justice (branche officieuse de l’AKP, le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan) ». Mais aucun élément n'atteste d'un lien direct entre le contenu publié et les autorités turques.

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D'autres médias, à l'instar de l'agence de presse Anadolu, sont régulièrement accusés d'être des organes de propagande. Sur le site de celle-ci, pas de prise de position pro-Le Pen mais des articles très critiques d'Emmanuel Macron. Un exemple : mardi 12 mars, après une rencontre à Strasbourg avec une femme voilée, le président sortant s'était réjoui de rencontrer « une jeune fille qui porte le voile » et se disant féministe. Commentant l'épisode, Anadolu questionne : « Une volte-face pour attirer les électeurs musulmans ? » Avant de lister des tweets et témoignages accusant Macron de faire du clientélisme électoral : « Aujourd’hui, il ne cherche qu’à instrumentaliser le voile », affirme ainsi Maeva, interrogée par l'agence de presse.

Un quinquennat marqué par de fortes tensions

A l'inverse, ces relais de propagande turque semblent ignorer Marine Le Pen le temps de cette présidentielle. Au pays d'Erdogan « elle concentre moins de critiques car c'est Emmanuel Macron qui est le président, mais on voit très souvent des articles dénonçant son islamophobie, et ils ne font pas dans la dentelle », assure Didier Billion, directeur adjoint de l'institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste de la Turquie et auteur de La Turquie, un partenaire incontournable.

L'obsession anti-Macron trouve sa source dans plusieurs épisodes orageux opposant le chef d'État à Erdogan durant ce quinquennat. Après l'assassinat islamiste de Samuel Paty, la France et la Turquie s'étaient brouillées au sujet du droit au blasphème et des caricatures de Mahomet qu'Emmanuel Macron avait défendus. « Il est certain que cela n'a pas amélioré la perception du président français, mais les tensions couvaient déjà auparavant », rappelle le spécialiste de la Turquie.

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Cette même année, la France s'était opposée aux recherches de gaz naturel par la Turquie en Méditerranée orientale, zone maritime appartenant à la Grèce. « C'est aussi la période de la guerre dans le Haut-Karabakh entre l'Arménie, soutenue par les Occidentaux, et l'Azerbaïdjan épaulée par Erdogan », précise Didier Billion. Sur ces événements, comme sur le retrait de la France du Mali, « Emmanuel Macron avait tort sur tout aux yeux de la presse conservatrice turque ».

Le chercheur note cependant un réel « changement de ton » depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. « Emmanuel Macron a pris des initiatives appréciées par les autorités et les médias, affirme le directeur adjoint de l'IRIS. Au cours du sommet de l'OTAN fin mars, on a observé une détente entre les deux présidents. » Mais, les questions liées à l'Islam dominent le reste de l'actualité française pour les journalistes turcs. « Le prisme des médias est très partiel, même partial. Ils vont surtout traiter ce qui touche à l'islam, les démêlés ou dégradations impliquant telle mosquée, sans s'éterniser sur l'essentiel des débats de la présidentielle. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne