Accueil

Monde Proche Orient
Le président français Emmanuel Macron (à droite) rencontre le président irakien Barham Saleh (à gauche) à Bagdad, en Irak, le 28 août 2021
Le président français Emmanuel Macron (à droite) rencontre le président irakien Barham Saleh (à gauche) à Bagdad, en Irak, le 28 août 2021
Murtadha Al-Sudani / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Après le désengagement américain, Macron se rêve en médiateur au Moyen-Orient

Place à prendre

Par

Publié le

Pour son deuxième déplacement en Irak, le président français participait le week-end dernier à un sommet régional avec comme fil rouge la lutte contre le terrorisme. À l’aune du retrait des troupes américaines de la région, Paris a affirmé vouloir préserver sa présence militaire. « En même temps », la France, qui prend conscience des limites d'un engagement militaire unilatéral, tente avec difficulté de se désengager du Sahel au profit d’une force européenne encore balbutiante.

La nature a horreur du vide, à plus forte raison au Moyen-Orient, ce qu'a bien compris le président français. « Quels que soient les choix américains, nous maintiendrons notre présence pour lutter contre le terrorisme en Irak, aussi longtemps que les groupes terroristes continueront à opérer, et aussi longtemps que le gouvernement irakien nous demandera cet appui » a ainsi déclaré samedi 28 août Emmanuel Macron lors d’un sommet régional organisé à Bagdad.

Si ce voyage était prévu de longue date, le hasard du calendrier diplomatique tombait à pic pour le chef de l'État français, qui voulait profiter du désengagement américain en Afghanistan – toujours fixé au 31 août – pour faire passer son message. Selon le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire de la France auprès de l’ONU, interrogé par Marianne, « Paris veut montrer que d’autres pays s’intéressent toujours à la région, et en particulier dans le cadre de la lutte contre Daech ». Et d’ajouter : « la France est toujours membre permanent du Conseil de sécurité, et ainsi possède une légitimité totale de s’occuper des zones de crise. »

L'armée irakienne plus aguerrie que celle d'Afghanistan

Aux côtés des ministres des Affaires étrangères saoudiens et iraniens notamment, Emmanuel Macron était ainsi le seul chef d’État occidental présent. Mais cette deuxième visite à Bagdad en l’espace d’un an revêt une importance particulière pour le locataire de l'Élysée. Elle souligne tout d'abord l’intérêt stratégique de l'Irak situé au centre de l’échiquier régional, et jugé comme une « diplomatie équilibrée » par le Quai d’Orsay. Tout comme l’Afghanistan, l’Irak a été mise à genoux face à l’offensive de groupes djihadistes après des interventions militaires occidentales.

Mais après la prise de Kaboul le 15 août, et alors que l'EI est toujours actif, l'Irak, éprouvé par quarante ans de conflits, semble plus solide sur ses bases et moins à même de tomber aux mains des djihadistes que d'autres. Et ce pour une raison simple : « L'armée irakienne, héritée en partie de l'époque de Saddam Hussein, est disciplinée et aguerrie. De fait, elle est incomparable avec les troupes de l'ancien gouvernement de Kaboul », rappelle ainsi le reporter franco-irakien Feurat Alani, lauréat du prix Albert Londres en 2019.

Désengagement américain

Alors que Joe Biden souhaite en finir avec les « guerres sans fin » qui secouent le Moyen-Orient, l’appel d’air laissé par les Américains ouvre donc une fenêtre au président français qui se rêve en médiateur international de la région. Pour Dominique Trinquand, il y a cependant une forme de continuité depuis le discours de la Sorbonne en 2017 où le chef d'État prônait la création d’une « Europe de la défense ». « Après la période Trump, les Européens ont cru au retour du multilatéralisme au Moyen-Orient lorsque Biden est arrivé au pouvoir, mais force est de constater que ça n’arrivera pas, explique le général. Ce dernier veut absolument sortir du front moyen-oriental pour se consacrer au "problème" chinois. »

Face à cet « abandon » américain, Emmanuel Macron a donc décidé de s'engouffrer dans la brèche. Paris fournit d’ores et déjà à l'Irak un appui militaire, avec environ 800 hommes, principalement issus des forces spéciales, soit le deuxième contingent international après les États-Unis.

Quelque 2 500 soldats américains sont toujours déployés en Irak. Aucune date n'a été fixée pour leur retrait définitif, mais à partir de l'an prochain, ils se cantonneront officiellement à un seul rôle de « conseillers » auprès des forces irakiennes. L’ampleur de la médiation française reste néanmoins à relativiser, selon Bertrand Badie, enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales. « Cette façon de se distinguer des États-Unis ne doit pas faire oublier que la France ne pourra peser que marginalement en Irak, rappelle-t-il. La part symbolique demeure toutefois importante. »

Europe de la défense

Emmanuel Macron est pour l'instant isolé dans sa lutte internationale contre le djihadisme, aussi bien au Moyen-Orient qu'en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, son mandat a été jalonné de déceptions en termes de coopération européenne, notamment avec Berlin. Malgré les appels de la France, le 16 février dernier, l'Allemagne a refusé d'envoyer des troupes supplémentaires pour la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). À l'approche de la présidentielle française, et des élections législatives allemandes, la situation pourrait-elle évoluer ? D'après Bertrand Badie, il ne faut pas espérer un revirement radical de l'Allemagne « Leur diplomatie a été constante dans son refus d’engagement au Sahel. Dans une démarche de recours minimal à l’instrument militaire, leurs positions sont presque systématiquement inverses aux nôtres ».

La preuve en est pour le Sahel où la « task force » européenne Takuba, créée à l’issue du sommet de Pau du 13 janvier 2020, et censée prendre la relève, reste pour le moment balbutiante. « Il est clair que Takuba ne sera pas le sauveteur de Barkhane tranche Bertrand Badie. Dans ces conditions on voit mal comment cette expérimentation d’une défense européenne qui échoue au Sahel pourrait fonctionner au Moyen-Orient. » Et d’ajouter : « Nous avons toujours sous-estimé l’écart en termes de politiques étrangères afin de protéger l'idéal d'un d'axe franco-allemand »

Si l'Europe de la défense n'arrive pas à décoller, Emmanuel Macron pourra toujours s'enorgueillir de sa relation de proximité avec le régime irakien. « Moustafa al-Kazimi, l'actuel Premier ministre, est un ancien des services secrets, et son emprise sur le pays est forte. Des contrats juteux pour les entreprises françaises sont déjà dans les tuyaux » note Feurat Alani. Déjà en mars dernier, le groupe pétrolier français Total avait signé un contrat portant sur quatre projets dans le domaine du gaz naturel, de l’énergie solaire et du retraitement de l’eau de mer.

À LIRE AUSSI : Afghanistan : entre talibans, Al-Qaïda et Daech, l'impossible équation islamiste

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne