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« Le Pardon », publié à l’origine en 1984 et traduit pour la première fois cette année en français par les éditions Cambourakis, coïncide avec la diminution progressive de l’influence communiste sur la Hongrie.
« Le Pardon », publié à l’origine en 1984 et traduit pour la première fois cette année en français par les éditions Cambourakis, coïncide avec la diminution progressive de l’influence communiste sur la Hongrie.
Ulf Andersen / Aurimages

"Le Pardon", de Miklós Mészöly : la mort, l’amour, la souffrance et le plaisir dans un grand roman hongrois

Rentrée littéraire

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Les éditions Cambourakis traduisent pour la première fois en français « Le Pardon » (1984) de l’écrivain hongrois Miklós Mészöly (1921-2001). Roman symbolique à bien des égards, il laisse l’interprétation des événements qui surviennent à la discrétion du lecteur. Une expérience littéraire exigeante et stimulante.

Méconnu en France, n’appartenant à aucun courant littéraire, Miklós Mészöly est pourtant considéré comme un auteur majeur du XXe siècle en Hongrie. Représentant d’un genre populaire dans son pays, le « petit roman » (format à mi-chemin entre le roman et la nouvelle), il est parfois présenté comme l’écrivain du silence.

Le Pardon, publié à l’origine en 1984 et traduit pour la première fois cette année en français par les éditions Cambourakis, coïncide avec la diminution progressive de l’influence communiste sur la Hongrie. Mais ce contexte politique particulier ne se ressent pas dans la lecture du roman dont les visées sont plus poétiques et universelles.

Dimension christique

Une chose est sûre, Miklós Mészöly est un auteur qui peut déstabiliser. Son art romanesque relève de l’envoûtement, les images qu’il suscite en nous sont puissantes mais sa narration allusive et elliptique semble vouloir nous égarer.

« Il y a beaucoup de mystère dans ce roman : beaucoup de silences, de non-dit, mais aussi, à l’inverse, un foisonnement d’éléments qui sont livrés sans explication à l’interprétation du lecteur », souligne la traductrice Fanny Normand. Pourtant, le récit en tant que tel est assez simple. En effet, Miklós Mészöly met en scène la famille d’un copiste du tribunal dans la petite ville de Hangos-Puszta.

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Tous mènent une existence routinière jusqu’à ce qu’un événement tragique ne survienne : la découverte du corps d’une jeune femme morte allongée dans un champ de blé les bras en croix. La photographie, qui fait la une des journaux, stupéfie la population locale par sa dimension christique.

Cohérence symbolique

C’est le moment que Miklós Mészöly choisit pour commencer son travail de mystification. La belle-sœur du copiste, Mària, dont le nom renvoie bien sûr à la Vierge Marie, aime s’allonger dans la même position que la morte. Au chapitre qui annonce la découverte du cadavre succède le rêve de Mària où elle se baigne en robe rouge dans un lac bourbeux.

Cette jeune femme, que l’on présente d’abord comme un symbole de pureté, finit par avoir une relation sexuelle avec le copiste, relation dont on ne peut dire avec certitude si elle est consentie ou non. Miklós Mészöly procède par échos pour donner une cohérence symbolique à des événements qui, a priori, n’ont pas de lien entre eux.

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La mort, l’amour, la souffrance, le plaisir s’entremêlent dans une sorte de jeu de pistes impossible à gagner. Même le titre du livre – Le Pardon –, demeure énigmatique. Est-ce à Anita, la femme du copiste, de pardonner le comportement de son mari et de sa sœur Mària ? Ou Miklós Mészöly invite-t-il plutôt le lecteur à pardonner les péchés de ses personnages ?

Le roman de Miklós Mészöly s’adresse à des lecteurs exigeants qui n’aiment pas qu’on les prenne par la main. Avec sa volonté de jouer des tours, il vient aussi rappeler la singularité de la tradition littéraire hongroise dont László Krasznahorkai, mystificateur bien connu, est aujourd’hui le représentant le plus célèbre.

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Le Pardon, de Miklós Mészöly, Cambourakis, 112 p., 10 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne