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Guerre en Ukraine : pourquoi l'invasion russe peut inquiéter la Géorgie et la Moldavie
Des soldats ukrainiens dans le Donbass, le 24 février 2022.
EyePress via AFP

Guerre en Ukraine : pourquoi l'invasion russe peut inquiéter la Géorgie et la Moldavie

Entretien

Propos recueillis par

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Alors que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, a fait part de son inquiétude de l’extension de l’offensive russe en Moldavie et la Géorgie, « Marianne » s'est entretenu avec Dimitri Minic, spécialiste de la Russie à l'Institut français des relations internationales (IFRI) pour connaître son avis.

L'offensive russe risque-t-elle de s'étendre à la Moldavie et à la Géorgie comme le craint Jean-Yves Le Drian ? Ce vendredi 25 février, le ministre des Affaires étrangères français a en tout cas affirmé sur France Inter être « inquiet sur la suite » et redouté une « dérive russe en matière d'ingérences ». En dehors de la région orientale ukrainienne du Donbass, des forces militaires russes sont déjà présentes sur d’autres territoires « gelés ». C’est notamment le cas de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux régions sécessionnistes depuis 2008 en Géorgie, ainsi que la Transnistrie, un territoire de 500 000 habitants qui s’est autoproclamé indépendant de la Moldavie dans les années 1990, lui aussi sous influence russe.

Pour mieux comprendre les origines de cette inquiétude de Jean-Yves Le Drian, Marianne a interrogé Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/NEI de l’institut français des relations internationales (IFRI).

Marianne : Quels sont les points communs entre l'Ossétie du Sud, l'Abkhazie, la Transnistrie et aujourd'hui le Donbass ?

Dimitri Minic : Toutes ces provinces ont des contentieux, parfois historiques, avec les pays auxquels elles appartiennent, et leurs velléités sécessionnistes ont été largement alimentées par Moscou, dès la fin des années 1980 et le début des années 1990. La Russie a ainsi pu neutraliser l'orientation politico-stratégique d’anciens membres de l’Union soviétique et de l’Empire russe. Par ailleurs, dans chacune de ces régions, des forces paramilitaires ont été soutenues ou contrôlées par Moscou, même si l’exemple du Donbass est le plus révélateur en la matière.

Si les séparatistes du Donbass ont pu bénéficier d’une certaine spontanéité et d’une forme de liberté au moment et à la suite de l’annexion de la Crimée, entre février et avril 2014, il était clair, dès août, que l’armée russe avait commencé à prendre sérieusement l’armée séparatiste en main. Huit ans plus tard, il apparaît distinctement que les forces séparatistes du Donbass ont été intégrées au système de dissuasion stratégique russe. Elles ont été « activées » lorsque la Russie a voulu trouver un prétexte à la récente invasion, manœuvre bien plus difficile à mettre en œuvre au début de l’année 2014.

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Par ailleurs, les guerres en Géorgie et en Ukraine se ressemblent dans la mesure où elles ont été précédées d’une proposition russe de révision de l’architecture de sécurité européenne : Dmitri Medvedev en juin 2008 et Vladimir Poutine novembre-décembre 2021. Enfin, comme dans le cadre du conflit ukrainien, la volonté de la Géorgie d’adhérer à l’Otan est analysée par la Russie comme une menace et une ligne rouge. Lors du sommet de l’Otan en avril 2008, George Bush manifeste sa volonté d’accélérer le processus d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’organisation atlantiste. Pour ne pas braquer la Russie, la France et l’Allemagne s’y opposent et emportent la décision. Moscou préfère ignorer ces dissensions qui l’arrangent pourtant, et continue de se replier : elle établit, le même mois, des relations officielles avec l’Ossétie du Sud et l’Abhkazie, sans reconnaître leur indépendance pour autant.

Quelles sont les différences de ces régions avec le Donbass ?

Les forces séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie n’ont pas eu la même utilité que dans le Donbass. Dans le Donbass, elles ont été plus employées et plus décisives dans la stratégie indirecte de la Russie. Par ailleurs, la temporalité de la reconnaissance des territoires séparatistes est aussi une différence majeure. En Géorgie, la Russie a reconnu l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie après l’offensive militaire, le 26 août 2008, alors qu’en Ukraine, la reconnaissance des territoires séparatistes par la Russie s’est produite avant l’invasion.

« Aujourd’hui, l’invasion russe en Ukraine pourrait inquiéter la Géorgie et la pousser à se rapprocher encore davantage de l’OTAN. »

Une autre différence majeure est qu’en Géorgie, le président Mikhaïl Saakachvili a déclenché une guerre contre l’Ossétie du Sud pour tenter de rétablir l'intégrité territoriale de la Géorgie. Cette attaque armée, dans un territoire où des forces russes étaient stationnées, a donné un prétexte tout trouvé à la Russie. Tandis que Moscou n’a pas réussi à obtenir ce prétexte en Ukraine : le Kremlin a été contraint, depuis une dizaine de jours, de fabriquer des heurts et d’inventer un génocide prétendument conduit par l’armée ukrainienne dans le Donbass.

Enfin, en Géorgie, des forces de maintien de la paix russes étaient légalement présentes dans les régions séparatistes depuis des accords de paix signés entre 1992 et 1994. Tandis que la Russie est illégalement présente dans le Donbass depuis huit ans. Et la reconnaissance unilatérale de l’indépendance des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk n’y aurait rien changé.

Est-ce qu’il pourrait réellement y avoir une contagion de l’offensive russe dans ces régions ?

Les manifestations de 2019-2020 en Géorgie ont montré l’ampleur de l’inimitié entre la Géorgie et la Russie et des conséquences de la guerre de 2008. La Russie y a vu des actions russophobes, probablement pilotées par Londres ou Washington. Aujourd’hui, l’invasion russe en Ukraine pourrait inquiéter la Géorgie et la pousser à se rapprocher encore davantage de l’Otan.

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La réponse russe serait probablement similaire à celle de 2008, même si un meilleur emploi des forces séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud est à prévoir, surtout si la Russie pense se trouver en position de faiblesse sur le plan international. En Moldavie, le statu quo semble convenir à Moscou et le pays ne représente pas le même intérêt stratégique que l’Ukraine.

Sur le plan géographique, démographique et donc stratégique, la Géorgie et la Moldavie semblent moins intéresser Poutine que l’Ukraine…

Effectivement, l’importance de ces provinces est aujourd’hui moindre pour le Kremlin. L’offensive russe en Ukraine est d’abord symbolique puisque Poutine considère l’Ukraine comme le berceau du peuple russe. Mais d’autres éléments entrent aussi en compte : au niveau démographique, l’Ukraine compte 44 millions d’habitants tandis que la Moldavie et la Géorgie comptent respectivement 2,7 et 3,8 millions d’habitants. Sur le plan géographique, l’Ukraine est un pays à grand potentiel, même si la Crimée a été annexée par la Russie.

Ensuite, l’Ukraine est militairement bien plus intéressante que la Géorgie et la Moldavie, autant en termes d’effectifs, de moyens que d’infrastructures.

Comment expliquez-vous que les situations de conflit gelé en Transnistrie (1994) et dans les deux régions séparatistes de Géorgie (2008) durent depuis bien plus longtemps que le Donbass ?

Le sécessionnisme dans le Donbass est né dans le feu de la révolution ukrainienne et au moment de l’annexion de la Crimée 2014 en Ukraine. Le contexte n’était donc pas du tout le même qu’en Géorgie ou en Moldavie où le séparatisme était une conséquence de la chute de l’URSS.

Par ailleurs, en Transnistrie, Ossétie du Sud et Abkhazie, la Russie et les acteurs régionaux se sont concertés pour geler les conflits. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’à l’époque la question de l’élargissement de l’Otan n’était pas si prégnante dans ces régions. La Russie s’est sérieusement braquée lorsque la question de l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine s’est posée au milieu des années 2000.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne