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"Le gouvernement doit mettre fin à sa politique d’arrestations illégales"
Justin PICAUD/SIPA

"Le gouvernement doit mettre fin à sa politique d’arrestations illégales"

Tribune

Par Jean-Baptiste Soufron

Publié le

Jean-Baptiste Soufron, haut fonctionnaire et avocat français du Barreau de Paris, dénonce la politique sécuritaire du gouvernement lors des manifestations.

Le 16 mars 2023, l’utilisation de l’article 49.3 de la constitution par le gouvernement marquait déjà une dérive autoritaire qui a été presque unanimement dénoncée par l’opinion publique, surtout s’agissant d’une réforme aussi importante, touchant jusqu’à la santé et la vie personnelle des individus. Mais depuis, loin de l’apaisement démocratique et de l’effort pédagogique pourtant vantés par le président de la République, ce sont près d’un millier d’arrestations sans raison qui ont été effectuées par la préfecture de police à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites.

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Ne serait-ce que le jour de l’adoption du texte de loi, 292 personnes ont été arrêtées sans justification sur la place de la Concorde, et ce pour seulement 9 personnes finalement poursuivies, et encore pour se voir condamner à de simples avertissements ou à des contributions citoyennes. Autrement dit, la préfecture de police a choisi sciemment de procéder à des arrestations qu’elle sait illégales, et ce aux seules fins d’inquiéter et de décourager les manifestants.

Arrestations massives

D’ailleurs, les forces de police ne font pas dans le détail et n’hésitent plus à arrêter également des touristes, des mineurs, des passants. Le 21 mars 2023, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin annonçait la couleur en indiquant qu’« être dans une manifestation non déclarée est un délit, mérite une interpellation ». Le 22 mars 2023, le préfet de police Laurent Nunez se défendait au micro de France Info , indiquant qu’il aurait seulement fait procéder à des arrestations pour pouvoir établir la matérialité des faits : « Quand on n'arrive pas à matérialiser les actes, les individus sont relâchés mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'infraction. »

« Le gouvernement ajoute aujourd’hui à la catastrophe matérielle une véritable catastrophe morale. »

Le 26 mars 2023, sur France 2 , le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, confirmait la pratique en indiquant : « Il peut y avoir des arrestations qui sont faites pour contrôler. » Or non, ce n’est pas possible. Dès lors que les personnes interrogées par les forces de police sont capables de prouver leur identité et qu’il n’est pas possible de leur reprocher une infraction, les forces de police n’ont pas le droit de les interpeller ou de les arrêter, y compris pour « contrôler ».

De même, impossible de leur reprocher de participer à une manifestation « non déclarée » puisque la Cour de cassation, plus haute juridiction française, a déjà eu l’occasion de considérer en 2022 – à propos déjà des pratiques du même gouvernement – qu’« aucune […] disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ». Ainsi, d’interprétation stricte, la loi pénale n’autorise le recours à la garde à vue qu’à l’égard de la personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement.

Des arrestations illégales

En France aujourd’hui, les arrestations ne peuvent intervenir ni contre des individus dont on pourrait seulement présumer qu’ils entendent commettre une infraction, ni contre des individus qu’on aurait simplement pris au hasard dans la foule. Dans les deux cas, elles sont arbitraires et surtout, il faut le répéter, illégales. Concrètement, et comme le découvrent les personnes faisant les frais de cette nouvelle politique de maintien de l’ordre, il ne s’agit ni plus ni moins que de les placer en détention pendant une période qui peut aller jusqu’à 48 heures, soit une véritable peine privative de liberté qui est aujourd’hui assumée sans vergogne par le gouvernement à l’encontre d’individus qui sont parfaitement innocents et n’auraient jamais dû se voir sanctionnés de la sorte.

« Le gouvernement tombe dans la démagogie et se déshonore en faisant finalement le jeu des casseurs, ceux qu’il prétend combattre. »

Le pouvoir avait déjà abandonné l’esprit de la loi en décidant de détourner l’article 49.3 de la Constitution pour contourner la volonté populaire plutôt que pour lui permettre de s’exprimer contre l’administration. Il abandonne désormais l’État de droit en choisissant de réprimer de façon parfaitement illégale les manifestants opposés à sa réforme. Et en réalité, il continue sur sa lancée anticonstitutionnelle puisque comme le rappelle l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

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Pour reprendre la formule popularisée par Clemenceau après la répression de Fourmies en 1891, le gouvernement ajoute aujourd’hui à la catastrophe matérielle une véritable catastrophe morale. Il est certain que les institutions de la Ve République peinent à fonctionner quand le pouvoir fait face à des conflits de légitimité. Mais ce serait le rôle de ses dirigeants que de se poser en modèle, comme ont finalement su le faire les syndicats qui sont eux restés unis et responsables.

Contrairement à la rengaine macroniste qui s’est installée sur les plateaux, il ne s’agit pas tant de savoir s’extraire de l’opinion publique, mais tout simplement de savoir lui montrer l’exemple. À défaut, en acceptant de laisser les forces de l’ordre procéder à des arrestations illégales, en espérant que celles-ci ne seront pas sanctionnées en raison de l’inertie judiciaire, le gouvernement tombe dans la démagogie et se déshonore en faisant finalement le jeu des casseurs, ceux qu’il prétend combattre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne