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Stanislas Guérini promet « un cadre largement défini dans ses principes et dans ses montants ».
Stanislas Guérini promet « un cadre largement défini dans ses principes et dans ses montants ».
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Cabinets de conseil : pourquoi les nouvelles règles ne changent pas le problème

Affaire McKinsey

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Le gouvernement publie ce vendredi 29 juillet un encadrement de certaines missions confiées aux cabinets de conseil. Parmi les mesures phares, la limitation du montant des prestations à 2 millions d'euros. Un faux verrou qui évite de s'attaquer aux problèmes de fond.

Il n'y aura plus d'affaire McKinsey assure le gouvernement. De nouvelles règles sont publiées, ce vendredi 29 juillet, pour encadrer certaines missions confiées aux cabinets de conseil par les ministères. Pour remédier au « flou » qui régnait jusque-là, Stanislas Guérini promet « un cadre largement défini dans ses principes et dans ses montants », compris dans un accord-cadre pour la période entre 2023 et 2027. Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques avance une mesure phare : le montant maximum par mission est fixé à 2 millions d'euros. Le recours au même prestataire privé sera aussi limité à deux contrats consécutifs.

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Premier problème, très peu de prestations de conseil dépassent le plafond fixé. Selon le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, qui s'est penchée sur l''emprise « tentaculaire » des cabinets de conseil sur les politiques publiques, le coût annuel moyen d'une prestation est généralement très inférieur à 2 millions d'euros. Il oscille entre 966 euros pour une expertise en assurance à 84 077 euros pour de l’audit et du conseil en stratégie. Cette limitation ne concernerait donc qu'une petite dizaine de prestations par an. À titre de comparaison, les ministères d'État ont passé 1 600 contrats depuis 2015, pour un montant global de plus en plus important.

Réduction des dépenses en trompe-l’œil

Sur ce point, le gouvernement assure aussi vouloir réduire les vannes. Le budget prévu sera de 150 millions d'euros pour les « conseils en stratégie, en cadrage, conduite de projets et en efficacité opérationnelle » entre 2023 et 2027. Beaucoup moins que les 226 millions d'euros dépensés lors de la précédente période (2018-2022), explique l'exécutif. Sauf que le nouvel accord-cadre prévoit tout de même qu'en cas de « situation particulière, crise ou difficultés majeures, le montant maximal sera plafonnée à 200 millions d'euros ».

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Dans cette hypothèse, le gouvernement ne respecterait pas l'objectif de réduction de 15 % des dépenses qu'il s'est lui-même fixé au début de l'année. La réduction ne serait que de 11,5 %. Il faut aussi préciser que ce budget ne représente pas l'ensemble des dépenses en cabinets de conseil des ministères. Les prestations informatiques, qui représentent 72 % des dépenses en 2021, ne sont ainsi pas concernées par ces nouvelles règles. Au total, la commission d'enquête sénatoriale estime que les ministères ont dépensé près 893 millions d'euros en prestations de conseil en 2021.

Manque d'évaluation des besoins et des ressources

« Le gouvernement pose la question dans les mauvais termes. Le problème ne réside pas forcément dans les montants qui sont dépensés. Ce qui est important c'est que l'État fasse la démonstration qu'il a vraiment besoin de ces prestations et de leur intérêt », estime le professeur de droit public Jean-François Kerléo, auteur d'une note sur le sujet pour l'Observatoire de l'éthique en politique, interrogé par Marianne. La commission d'enquête sénatoriale abondait dans le même sens en préconisant de « cartographier les compétences au sein des ministères » et d'entamer « un plan de réinternalisation pour mieux valoriser les compétences internes et moins recourir aux cabinets de conseil ».

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En clair, n'utiliser les cabinets de conseil que de manière exceptionnelle, pour des besoins clairement définis, et non d'y recourir de manière presque automatique comme la commission d'enquête l'a démontré. Les nouvelles règles proposées par le gouvernement ne prévoient pas d'évaluation profonde des compétences de l'administration. Mais elles inaugurent tout de même une « évaluation » de la qualité de la prestation à l'issue de sa réalisation. En cas de « notes d'évaluation trop faibles ou de non-respect des obligations contractuelles » des pénalités sont prévues et seront renforcées, assure le gouvernement.

Idéologie

Au fond, si le gouvernement semble avoir tant de mal à se détacher de l'expertise des consultants c'est que le « réflexe cabinet de conseil » est aussi guidé par un biais idéologique selon Jean-François Kerléo. « Les élus et les ministres commandent une prestation pour avoir les résultats qu'ils attendent et qui tendent souvent à pousser par exemple vers des suppressions de postes. Ils ne sollicitent pas les agents de l'administration, parce qu'ils savent qu'ils n'aboutiront pas au même résultat », considère le professeur de droit public.

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Dans sa note, celui-ci préconisait une réforme technique mais radicale pour empêcher le recours indu aux cabinets de conseil : interdire le recours aux accords-cadres, que la commission d'enquête appelait à « rationaliser ». Ce type d'accord permet de simplifier les procédures et d'éviter de multiplier les appels d’offres. L'acheteur public s’engage par avance à passer des marchés auprès de prestataires. « Le gros souci, c'est que cela n'amène pas à déterminer à l'avance quels sont les besoins et cela donne un blanc-seing aux prestataires », explique Jean-François Kerléo.

Maigres avancées déontologiques

Au-delà, ces nouvelles règles prévoient des avancées en matière de transparence. Alors que la commission d'enquête sénatoriale dénonçait « l'opacité » des contrats passés, désormais l'intitulé, le commanditaire, le prestataire et le montant seront publiés. Mais seulement à l'issue de la mission. Le rendu de la prestation devra aussi utiliser la charte graphique du cabinet de conseil, et non plus celui de l'administration comme c'était parfois le cas, ce qui renforçait l'opacité des prestations réalisées.

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Des avancées déontologiques sont aussi prévues, mais elles sont toutes relatives. « Les consultants devront attester sur l'honneur ne pas être en situation de conflit d'intérêts en amont d'une prestation », prévoit le gouvernement. « On est donc obligés de faire confiance à la personne, qui n'a pas l'obligation de mentionner ses intérêts, qui restent donc opaques. Il faudrait mieux imposer une déclaration d'intérêts pour avoir connaissance des questions de pantouflage et de rétro pantouflage », insiste Jean-François Kerléo.

Pour une véritable réforme du recours à McKinsey et consorts, il faudra donc attendre une loi. La proposition des sénateurs qui ont participé à la commission d'enquête pourrait être examinée à l'automne et augure des débats agités au Parlement.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne