Accueil

Société Logement
Comment le dispositif Pinel empêche les foyers modestes de devenir propriétaires
"C’est notre pacte social républicain qui est mis en péril"
© MATHIEU PATTIER / SIPA

Comment le dispositif Pinel empêche les foyers modestes de devenir propriétaires

Immobilier

Par

Publié le

Le dispositif qui va évoluer en « Pinel plus » est une aubaine pour réduire ses impôts. Mais ce carburant de la construction alimente la flambée des prix et représente un frein à l'accession à la propriété pour les foyers modestes.

Le logement est « un bien de première nécessité ». Qu’il vienne à manquer, et « c’est notre pacte social républicain qui est mis en péril » martelait Jean Castex à Bordeaux au dernier congrès de l’Union sociale de l’habitat. Un bien beau discours ! Mais dans les faits ? Beaucoup plus terne. Quelques jours plus tard, le 14 octobre, Emmanuelle Wargon, la ministre du Logement, annonce le lancement, pour 2023, d’un « Pinel plus » qui succédera au « Pinel » (prolongé jusqu’en 2024) conçu par sa devancière Sylvia Pinel au temps de François Hollande. Or cet outil de défiscalisation transforme le logement neuf intermédiaire en produit financier aux dépens des ménages modestes ! « La loi du marché s’est affolée, s’alarme Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne et président de la communauté de communes du Pays basque. Les logements livrés par le secteur privé sont captés par des acquéreurs qui ont un pouvoir d’achat très supérieur à notre population locale. » Dans le parc privé ancien, les prix augmentent. Dans les zones tendues – où les terrains à bâtir manquent –, les prix des logements intermédiaires destinés à la location s'envolent. « Cette fichue défiscalisation qui fout le bazar dans la promotion immobilière de nos villes en est la causeelle renchérit le coût d’acquisition du foncier pour les bailleurs sociaux accuse Alain Rousset, le président socialiste du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. On croit ainsi aider la construction. En réalité, on empêche les jeunes d’accéder au logement. »

A LIRE AUSSI : Logement : ces riches qui font monter les prix (et empêchent les locaux de se loger)

Machine à fabriquer des inégalités sociales et fiscales, le « Pinel », en régime de croisière, coûte pourtant déjà 2 milliards d’euros par an à l’État. Or il profite, à plus de 70 %, à des ménages de cadres disposant en moyenne de 71 000 € de revenus annuels. « Cette dépense fiscale n’atteint pas son objectif de modération des loyers » cinglait, en 2019, une évaluation de l’Inspection des finances et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Seule une proportion de 9 % de la réduction d’impôt accordée par l’État se traduirait par des baisses de loyers effectives ! Pas vraiment une surprise : les plafonds de loyer imposés, comme les plafonds de revenus des locataires, sont rarement contrôlés.

Spéculation financière

En Île-de-France, certains ménages ne peuvent plus devenir propriétaires et, comble d’ironie, ils utilisent le dispositif Pinel pour acheter en province. Résultat : ils restent locataire dans la couronne parisienne et font monter les prix dans toutes les métropoles.

« C’est pas pour habiter, c’est pour louer ! » ressassent d’ailleurs les commerciaux de certains promoteurs qui prévendent, sur plan, des appartements « Pinel » exigus en banlieue de banlieue, dans des immeubles standardisés, trop souvent dépourvus d’espaces collectifs. Avec d’autant plus d’ardeur que ces ventes en état de futur aménagement (Vefa) débloquent le financement de leurs chantiers par leurs banquiers. « Le dispositif Pinel a un avantage, il produit des logements, et nous en avons vu de beaux à Nantes comme à Bordeaux, par exemple argumente François Leclercq, architecte urbaniste, auteur, avec Laurent Girometti, d’un rapport sur la qualité du logement neuf en France, qu’ils ont remis à Emmanuelle Wargon. Cependant, la recherche de performance économique a réduit inexorablement certaines qualités fondamentales de ces logements. »

A LIRE AUSSI : Gaz, électricité, carburant, timbres : ces prix flambent et les ménages trinquent

Concrètement, pour séduire des particuliers obnubilés par leur avantage fiscal (maximal pour un achat à 300 000 €), des constructeurs livrent plus de studios, de deux-pièces que d’appartements familiaux, qui manquent pourtant cruellement. Certains proposent même des T3 de 55 m2, mono-orientés avec une pièce à vivre-couloir-espace cuisine, une chambre secondaire rikiki de 7 m2. Gonflé ! Dans les années 1960, un T3 traversant, facile à aérer, comportait, sur 63 m2, une cuisine indépendante, un couloir et un balcon ! C’était avant que les promoteurs ne « tartinent du Pinel », expression de leur cru.

Afin d’enrayer cette dégradation, Emmanuelle Wargon a indiqué que les futurs logements labellisés « Pinel plus » devront être plus grands, embellis d’un balcon ou une terrasse, et doublement orientés à partir du T3. Prudence cependant, car ces critères seront précisés en novembre… En outre, bien que ces exigences accrues soient positives, elles ne garantiront pas un cadre et un urbanisme agréables pour ces appartements. Surtout, le lancement de ce « Pinel plus », justifié par la peur d’un effondrement des mises en chantier, alimentera encore la spéculation foncière. Or ce problème s’aggrave puisqu’il faut artificialiser moins de sols agraires afin de lutter contre le réchauffement climatique. « C’est une question de d’engagement politique. Tant que l’on considérera le logement comme un produit financier, on marchera sur la tête accuse Eddie Jacquemart, de la Confédération nationale du logement (CNL). Nous espérons que le prochain président arrêtera cette fuite en avant. » Comment ? En favorisant, par exemple, le retour dans l’immobilier locatif privé des investisseurs institutionnels qui ne détiennent plus que 3 % de ce parc contre 18 % en 1984. En aidant les élus locaux à négocier avec les promoteurs des chartes constructives. À la place d’un « Pinel plus », mieux vaudrait aider davantage les primo-accédants et construire des logements sociaux.

A LIRE AUSSI : Flambée des factures d'électricité et de gaz : le gouvernement face au risque d'une colère noire

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne