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« L’objectif doit être, tout en proposant des améliorations réelles pour nos concitoyens, de rétablir l’équilibre financier de notre système de retraites à un horizon proche », a affirmé le Premier ministre dans sa lettre aux syndicats.
« L’objectif doit être, tout en proposant des améliorations réelles pour nos concitoyens, de rétablir l’équilibre financier de notre système de retraites à un horizon proche », a affirmé le Premier ministre dans sa lettre aux syndicats.
Chang Martin/SIPA

"Objectif" ou obligation ? L’insoutenable ambiguïté de Bayrou sur l’équilibre des retraites

On n'en sort qu'à son détriment

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Selon le Premier ministre, « l’objectif » des négociations entre syndicat et patronat « doit être de rétablir l’équilibre financier » à l'horizon 2030. Mais il ne précise pas s’il reprendrait un accord violant cette condition, pourtant cardinale quant aux chances de remise en cause de la réforme de 2023.

Le brouillard s’épaissit autour de la concertation sur les retraites. Après avoir lancé l’idée d’un « conclave » entre syndicats et patronat, dans sa déclaration de politique générale du 14 janvier, François Bayrou n’a jamais précisé à quelles conditions une fumée blanche pourrait en sortir. Un consensus entre le patronat et la CFDT suffira-t-il, ou bien d’autres « centrales » devraient-elles monter à bord ? Sur le fond, « la seule exigence fixée est que nous ne pouvons pas laisser dégrader l'équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s'accorde », assurait le Premier ministre devant les parlementaires.

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Mais à la veille du coup d’envoi des tractations, qui ont débuté ce jeudi 27 février, le locataire de Matignon a ajouté un nuage supplémentaire à l’horizon. Dans une lettre envoyée mercredi soir aux syndicats, il affirme que « l’objectif de la délégation permanente doit être, tout en proposant des améliorations réelles pour nos concitoyens, de rétablir l’équilibre financier de notre système de retraites à un horizon proche ». « Je souhaite fixer cet objectif à l’année 2030 », ajoute le chef du gouvernement dans son texte, dévoilé par BFMTV. Autrement dit, le statu quo budgétaire ne suffit plus : les syndicats doivent maintenant s’atteler à combler le trou dans les caisses.

Incertitude stratégique

Reste une zone d’ombre, et pas des moindres : si les syndicats accordent leurs violons, mais signent un texte ne permettant pas de revenir à l'équilibre d’ici 2030, ce dernier sera-t-il malgré tout repris par le gouvernement ? François Bayrou ne le précise pas dans sa missive. Ni dans un entretien publié ce 27 février par Le Figaro, dont les journalistes lui ont pourtant demandé si « le cadre de négociation [avait été] durci ». L’entourage du Premier ministre ne s’avance pas davantage : « C’est vraiment compliqué de le dire maintenant [si le retour à l’équilibre sera une obligation]. S’il y a des améliorations, le gouvernement en tiendra compte », nous indique seulement un de ses conseillers.

Sans pouvoir prédire l’arbitrage final, d’autres au gouvernement n’entendent pas les déclarations de François Bayrou de la même oreille : « Quand on dit qu’une condition de la négociation est un retour à l’équilibre, cela veut dire que ce cadre fixé par le gouvernement doit être respecté, point. Il est temps de purger ce sujet des retraites », estime un conseiller ministériel. Interrogée par AEF info ce 27 février, la ministre du Travail n’a pas dissipé l’ambiguïté : « Nous soumettrons au Parlement l’accord ou les accords (...) qui respecteront le cadre fixé », indique Astrid Panosyan-Bouvet. Ce qui semble imposer aux syndicats de mettre le cap vers l’équilibre financier. Mais dans cette même interview, la membre du gouvernement affirme que « toute avancée allant dans le sens de la consolidation financière et vers plus de justice serait un succès ».

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Si elle s'avérait rigide, la condition posée par François Bayrou attacherait un boulet aux pieds des syndicats. Pour atteindre l’équilibre en 2030, ceux-ci devraient trouver environ 6,5 milliards d’euros d’économies ou de recettes supplémentaires, selon le rapport de la Cour des comptes publié le 20 février. Un montant à comparer avec la réforme de 2023, qui a repoussé de deux ans l’âge légal de départ (de 62 à 64 ans) : en sont attendus quelque 10 milliards d’euros d’économies à horizon 2030. Et si cette borne était encore repoussée d’un an, cela dégagerait 2,2 milliards supplémentaires. Soit seulement un tiers des efforts réclamés par le Premier ministre.

Quadrature du cercle

Plusieurs syndicats veulent à l’inverse revenir sur la réforme de 2023 et abaisser l’âge de départ. Pour le diminuer d’un an et atteindre malgré tout l’équilibre financier, il faudrait relever les cotisations d’environ 1,5 point de pourcentage, selon nos calculs basés sur les chiffres de la Cour des comptes. En sachant que le Medef refuse d’emblée toute hausse des contributions patronales. Autre levier potentiel : raboter le montant des pensions, ce que François Bayrou a clairement exclu.

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Face à cette quadrature du cercle, Force ouvrière (FO) a claqué la porte du « conclave » dès ce jeudi. « La lettre du Premier ministre a fini par nous convaincre de ne pas venir dans cette concertation. Nous ne participerons pas à cette mascarade où on veut nous faire dire qu'effectivement la seule solution, c’est d'allonger la durée de travail des salariés », a déclaré le représentant du syndicat.

De son côté, le patron du Medef se dit déjà « pessimiste sur l’issue des discussions » : « Nous voyons mal comment la cible d’un retour à l’équilibre en 2030 pourrait être atteinte si l’on remet en cause la règle des 64 ans », souligne Patrick Martin, dans un entretien au Monde publié ce 27 février. Tandis que la CFDT se montre plus allante, son secrétaire général adjoint Yvan Ricordeau ayant estimé que « l’équation financière à 6 milliards d’euros va être difficile, mais pas impossible à trouver ».

En cas d’accord révisant la réforme de 2023, le soutien du gouvernement serait déterminant pour son adoption au Parlement. En effet, le Sénat mettrait sans doute son veto au texte. Dès lors, seul l’exécutif aurait le pouvoir de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale, comme le prévoit l’article 45 de la Constitution. Sans quoi le fruit du consensus social aurait toutes les chances de rester dans les limbes.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne