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Allocation rentrée scolaire : la droite veut bien donner de l’argent aux pauvres… mais sous condition
Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais, le 16 juillet 2020 dans l'Hémicycle
CHRISTOPHE SAIDI/SIPA

Allocation rentrée scolaire : la droite veut bien donner de l’argent aux pauvres… mais sous condition

Main sur le cœur

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Des députés Les Républicains ont signé une proposition de loi visant à transformer l’allocation de rentrée scolaire en « bons d’achat ». Un marronnier de la droite, qui veut officiellement combattre la « fraude »… tout en parlant à nouveau aux classes populaires. Un grand écart ?

Ah, ces satanés pauvres qui dilapident leurs minima sociaux dans l’alcool et les écrans plats… Il y a une douzaine de jours, à l’orée des vacances d’été, plusieurs députés Les Républicains ont profité de la fin de la session extraordinaire à l’Assemblée nationale pour dégainer l’un de leurs marronniers favoris. Le 5 août, ils ont déposé une proposition de loi « visant à encadrer l’utilisation de l’allocation de rentrée scolaire et à lutter contre la fraude ». Elle a été cosignée par quatorze membres du groupe LR, au premier chef desquels Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais… et ardent défenseur d’une ligne plus « sociale » au sein de son parti. D’abord passé inaperçu, le texte a été relayé ce mercredi sur Twitter par l’écologiste Benjamin Lucas, qui le juge « indigne ».

Le motif derrière la « PPL » est assez simple : en gros, le dispositif actuel d’allocation de rentrée scolaire (ARS) ne serait pas suffisamment étanche. Depuis 2014, nous rappelle-t-on, « il n’est plus nécessaire pour les familles de fournir à leur caisse d’allocations familiales un justificatif de scolarité pour leurs enfants âgés de 16 à 18 ans ». Pour combattre ce fléau qu’est la fraude à l’ARS (qui n’est pas étayée par les différentes études réalisées sur le sujet), ces messieurs-dames proposent deux solutions. D’une part, transformer l’allocation en « bons d’achat » utilisables uniquement pour acheter des habits ou des fournitures scolaires. D’autre part, exiger « un justificatif de scolarité » afin de prouver le bon fléchage des deniers publics.

« Il ne s'agit pas de fliquer »

Pierre-Henri Dumont n'en est pas à son coup d'essai. Ce proche de Xavier Bertrand a déposé la même PPL il y a deux ans, durant l'été 2020. Il le reconnaît lui-même, « il ne peut pas y avoir de statistique » pour prouver l’ampleur supposée de la « fraude » qu’il dénonce. « Par définition, quand l’État vous transfert de l’argent, il ne peut pas contrôler comment vous le dépensez. Mais j’ai pu le constater en tant que maire : il y a des gamins qui, à la rentrée, n’ont pas de nouveaux vêtements, de cahiers ou de fournitures. Derrière cette PPL, il y a une question d’égalité des chances et de méritocratie républicaine », affirme-t-il auprès de Marianne.

Sur la symbolique que renvoie le texte, celle d’une droite plus prompte à traquer les pauvres que la délinquance en col blanc, l’élu du Pas-de-Calais n’en démord pas. « Je suis issu d’un territoire très populaire. Or, ce qui y prédomine, c’est le sentiment d’injustice. L’ARS n’est qu’un des différents avatars du problème. Il ne s’agit pas de fliquer ses bénéficiaires, mais d’assurer le consentement à l’impôt des classes moyennes, qui se sentent asphyxiées de partout et qui ne reçoivent pas un centime de la solidarité nationale. Ce qu’on vise par cette PPL ne correspond peut-être qu’à 10 000 ou 15 000 cas, mais vous ne pourrez pas comprendre la montée du Front national (sic) si vous ne comprenez pas ce phénomène plus large. »

« Mauvais timing »

Parmi ses collègues, les avis sont partagés. « Je défends plutôt la droite sociale, mais ce sujet est vraiment polémique sur le terrain. Qu’est ce que ça changerait de transformer l’ARS en bons d’achats ? Pour les bénéficiaires, rien », estime Antoine Vermorel-Marques, qui approuve la PPL... sans l’avoir signée pour autant. Car tous ceux qu’on interroge sont d’accord pour dire que le timing est mauvais. « L’idée est claire, mais ce n’est pas le moment. Les gens sont coincés entre l’inflation et le coût de l’énergie », constate un autre député LR qui n'a pas donné son paraphe. « Pas ma came », dit-il.

Le même nous rappelle que son groupe a déposé, fin juillet, une autre proposition visant à exclure du calcul du RSA les revenus tirés de stages ou de l’apprentissage. Plus pragmatique et moins vicieux, surtout. « On n’en est pas à avoir deux lectures irréconciliables de la solidarité. Je pense juste que les deux approches sont différentes », tempère notre parlementaire. Un autre collègue, Éric Pauget, nous explique pourquoi il n’a pas signé la dernière trouvaille de LR : « Ce serait une charge supplémentaire pour les communes et les mairies, qui auraient à financer les fournitures. Sur le fond, Dumont n’a pas tort, mais je pense que c’est une mesure qui n’est pas suffisamment audible. »

Le problème paraît plus large. Alors que la droite s’interroge sur son avenir, sur le faible écho qu’elle produit désormais chez les jeunes et les couches défavorisées de la population, ce texte fait hausser quelques sourcils. Il est d’autant plus étonnant que parmi ses signataires, on trouve d’autres tenants d’un changement de ligne des Républicains, comme Raphaël Schellenberger (Haut-Rhin) ou Virginie Duby-Muller (Haute-Savoie). Un député LR s’agace : « On n’arrête pas de dire, “on veut reparler aux classes populaires, à la France qui travaille”… Le souci, c'est que l’allocation de rentrée scolaire, elle est essentiellement touchée par les classes populaires et la France qui travaille. C’est quand même un sujet. »

Joue-la comme Blanquer

Chez les macronistes, on se gausse. « On peut toujours compter sur [les LR] en mal de nouvelles idées, pour poser une PPL en plein mois d’août, afin de lutter contre tous ces mauvais pauvres qui utilisent mal leurs allocations de rentrée », a tweeté Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine et porte-parole de son groupe. Une autre nous fait remarquer, narquoise, que le texte ressemble à ce qu’a défendu jadis un certain Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron… Ce qui n’a rien d’un hasard, les oppositions prenant toujours un malin plaisir à rappeler la majorité à ses contradictions idéologiques.

Pour les LR, cette tactique se double d'un besoin de se démarquer du gouvernement à intervalles réguliers, histoire de rappeler qu'ils restent des opposants. Lorsque seront discutés des textes cruciaux, comme le prochain budget, ce sera beaucoup plus compliqué. En attendant, autant faire de petits appels de phare à son socle électoral, aussi réduit soit-il.

« C’est ce qu’on appelle un pari », s’esclaffe un collaborateur parlementaire, fin connaisseur des subtilités législatives (et des LR). « Au mois d’août, on parlera davantage de la fraude à l’ARS que de l’inflation, qui a déjà mobilisé du temps d’antenne pendant quatre mois. Et si ce n’est pas le cas, au pire… le texte restera au placard. » En effet, il est rare qu’une proposition de loi se retourne contre son auteur. Celle-ci nous rappelle toutefois qu’à droite, la ligne « sociale » demeure en pointillé.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne