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"En traitant d’extrémistes de droite la plupart de ses opposants, y compris ceux qui n’ont pas fait preuve de violence, l’exécutif a en réalité banalisé l’horreur produite par ce spectre politique dans l’histoire et qu’il continue à susciter"
"En traitant d’extrémistes de droite la plupart de ses opposants, y compris ceux qui n’ont pas fait preuve de violence, l’exécutif a en réalité banalisé l’horreur produite par ce spectre politique dans l’histoire et qu’il continue à susciter"
JUSTIN TALLIS / AFP

"Bien que Strarmer ait concentré ses attaques sur l’extrême droite, son gouvernement n'est pas exempt de tout reproche"

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Alors que les émeutes récentes au Royaume-Uni ont été imputées par le gouvernement britannique à l'extrême droite, Eliott Mamane, journaliste indépendant, revient sur la part de responsabilité de l'exécutif dans cet embrasement de la violence.

Bien que Keir Strarmer ait exclusivement concentré ses attaques sur l’extrême droite, tenue pour seule responsable du chaos ravageant la Grande-Bretagne, son gouvernement ne saurait être exempté de tout reproche. Cette dernière semaine a été marquée par les violences et une exceptionnelle tension politique au Royaume-Uni. À la suite d’une attaque ayant blessé plusieurs jeunes personnes et tué trois fillettes, des manifestations violentes ont diffusé un message confus à l’échelle nationale et à travers le monde. Si la responsabilité de mouvements politiques et d’idéologies assurément d’extrême droite a été, à juste titre, dénoncée par l’exécutif anglais et nombre de commentateurs diplomatiques en France, l’intégralité des fautifs n’a pas toujours été mentionnée.

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Dans une allocution prononcée dimanche 4 août au soir, le Premier ministre britannique a tenu pour coupables les « émeutiers d’extrême droite » des violences qui se sont emparées du pays, leur promettant une réponse pénale massive. Cette fermeté est louable, mais elle ne saurait constituer la seule solution politique à la terrible situation outre-Manche.

La responsabilité du gouvernement britannique

En premier lieu, le gouvernement travailliste s’est satisfait d’une communication insuffisante quant aux premiers éléments de l’enquête. La seule information de source officielle (d’abord diffusée par la BBC) s’agissant du prévenu est l’origine de sa famille, provenant du Rwanda. Ensuite, remarquons que peu importe le contexte politique, certes fortement polarisé sur les questions migratoires au Royaume-Uni, l’horreur du massacre de Southport ne pouvait qu’aboutir à la propagation d’une grande émotion dans la société civile. Dans pareilles circonstances, les pouvoirs publics se doivent de communiquer autant d’éléments que possible sur l’évolution de l’enquête, sachant de surcroît le suspect déjà neutralisé.

Cet impératif est d’autant plus vrai dans une communauté nationale largement divisée sur les questions identitaires. Le Parti travailliste, dont certains membres avaient dénoncé le « racisme » à l’origine du vote en faveur du Brexit, aurait dû être conscient de la nécessité d’anticiper la diffusion de théories sur un sujet aussi abrasif.

En effet, il est impératif de regretter le recours à la violence à des fins politiques par des associations d’extrême droite. En revanche, il est intolérable que ce même terme ait été employé par le gouvernement britannique pour qualifier l’intégralité des acteurs conservateurs qui, légitimement, ont rappelé que ce crime nécessitait de revoir les conditions d’immigration et d’accueil des nouveaux venus.

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En traitant d’extrémistes de droite la plupart de ses opposants, y compris ceux qui n’ont pas fait preuve de violence, l’exécutif a en réalité banalisé l’horreur produite par ce spectre politique dans l’histoire et qu’il continue à susciter, en témoignent les images de chaos venues du Royaume-Uni. Cette stratégie rhétorique, qui consiste à se draper derrière une vertueuse posture morale, est d’autant plus contestable lorsque la véritable extrême droite, brutale, a profité d’un vide laissé par le seul pouvoir en place pour véhiculer de fausses informations.

Une violence incitée par la désinformation

Si le gouvernement britannique avait immédiatement donné des précisions sur les éventuelles motivations idéologiques derrière les actions du mis en cause ou sur son état mental, aucun acteur mal intentionné n’aurait pu manipuler le récit des événements.

Surtout, la désinformation qui a mené aux violences était tellement grossière qu’elle eût été facilement contredite par une communication des autorités : inciter à l’agression indistincte de lieux de culte musulmans arguant de l’origine rwandaise de la famille du suspect est ridicule, le Rwanda étant un pays essentiellement catholique. En ciblant l’intégralité de ses opposants, Starmer a fait preuve d’un amalgame similaire entre un discours raisonnablement critique des politiques migratoires en place et l’emploi de la force par l’extrême droite que celui qu’il reproche à cette même extrême droite entre tout immigré et les délinquants d’ascendance étrangère.

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En parallèle, les convictions des gouvernants anglais doivent également être interrogées. Dans son édition du 1er août, le Daily Mail révélait qu’une ingérence russe était à l’origine de la diffusion de nombreuses fausses informations sur le suspect dans les réseaux d’extrême droite. Pourtant, le gouvernement travailliste, qui a considérablement infléchi la diplomatie conservatrice extrêmement favorable à l’Ukraine initiée par Boris Johnson, a préféré, une fois encore, exhiber sa vertu en se contentant de dénoncer l’extrême droite au sens large. C’est ainsi à l’algorithme de X que les membres du Labour s’en sont pris : il privilégierait les contenus d’extrême droite parce que défini par Elon Musk qui, lui-même, serait trop à droite…

Tensions au sein du modèle multiculturaliste

Un ressentiment déjà prégnant dans la société britannique sur ces thématiques identitaires a, par ailleurs, pu être renforcé par l’image d’une répression judiciaire à deux vitesses. Comme le soulignait la journaliste Michelle Dewberry dans son émission du 2 août sur une chaîne d’information en continu, « il y avait un niveau de brutalité policière limite ». Elle a rappelé que, dans les marches propalestiniennes, les manifestants (aussi agressifs que ceux d’extrême droite) ne sont pas « traités » de façon équivalente.

« Les analystes français ont minimisé les tensions internes au modèle multiculturaliste anglo-saxon et exagéré la rupture idéologique que Starmer aurait offerte à son parti »

Il en va également ainsi s’agissant de violentes démonstrations en faveur de l’écologie que le Royaume-Uni a pu régulièrement subir ces dernières années, sans que les pouvoirs publics fassent le choix d’une réponse forte – remarquons que l’actualité britannique n’est pas non plus couverte avec la même attention en France selon l’orientation politique des fauteurs de troubles.

En conclusion, les analystes français ont, d’un côté, minimisé les tensions internes au modèle multiculturaliste anglo-saxon et, de l’autre, exagéré la rupture idéologique que Starmer aurait offerte à son parti. Certes, les antisémites les plus vociférants et les intimes de Corbyn ont été écartés des Travaillistes. Cela étant, le nouveau gouvernement témoigne bien de motivations idéologiques qui rompent avec les Conservateurs au pouvoir jusqu’en juillet dernier, interdisant irrémédiablement de lier immigration et délinquance. Reste à souhaiter que les forces de l’ordre britanniques démontrent à nouveau leur habileté à maîtriser des groupes violents (IRA, hooligans…).

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne