L'année 2025 constitue une année charnière pour l'Afrique, selon Benoît Chervalier, banquier d’affaires et enseignant à l’ESSEC cofondateur de la chaire « Business et industrie en Afrique ». Tout comme l'Europe, elle dispose à présent de tous les moyens pour défendre sa souveraineté à l'échelle internationale.
L’arrivée du président Trump au pouvoir est un séisme et un électrochoc pour le monde, l’Afrique et l’Europe en particulier. Le président kenyan William Ruto lors de sa visite d’État aux États-Unis en juin 2024 avait estimé que « l’Afrique ne devait regarder ni à l’Ouest [États-Unis] ni à l’Est [Chine] mais devant » répondant à journaliste qui l’interrogeait sur la rivalité sino-américaine.
2025 constitue une année charnière et l’Afrique dispose de tous les atouts pour se positionner comme un acteur à part entière des relations internationales. L’Europe et l’Afrique veulent être souverains pour être libres et ils ont besoin l’un de l’autre pour se le permettre.
L'Afrique, un visage pluriel
The Economist en mai 2021, à travers sa Une, estimait que l’Afrique rentrait dans un Covid long. La guerre en Ukraine et ses effets directs et indirects ont eu des effets délétères et ont brisé l’élan initié en 2004 (5 % de croissance annuelle moyenne de 2004 à 2013), rendu plus erratique néanmoins depuis le choc des prix pétroliers de juin 2014. Les conséquences des crises sanitaire et géopolitique sont connues : explosion des prix de l’énergie, rupture des chaînes d’approvisionnement, hausse de l’inflation et des taux d’intérêt pour la combattre, renchérissement du coût des emprunts. Ces défis résonnent en Europe, montrant que les deux continents ont plus subi que choisi.
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Au niveau politique, l’Afrique montre un visage pluriel à l’instar du vote des pays africains à l’ONU après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec près de la moitié des pays la condamnant et l’autre s’abstenant de le faire ou ne participant pas au vote et un pays la soutenant (Érythrée). Si ces positions ont pu créer des incompréhensions côte européen, l’Afrique n’hésite plus à diversifier ses partenaires, comme l’adhésion de l’Éthiopie et de l’Égypte au club des BRICS+ en 2023. Cette tendance s’est poursuivie en 2024 avec des demandes d’adhésion ou de marques d’intérêts d’autres pays. Ce changement de paradigme s’inscrit dans une volonté de participer au changement de l’architecture financière internationale.
Sentant le vent tourner, les institutions de Bretton Woods ont commencé à évoluer, avec l’arrivée effective à l’automne dernier d’un troisième siège pour l'Afrique subsaharienne au sein du Conseil d’administration de la Banque mondiale. Dans la même veine, l’Union africaine est devenue un membre officiel du G20, décision prise sous présidence indienne en 2023. Limitée à un rôle d’observateur sur un strapontin pendant longtemps, l’Afrique entend s’inviter à la table pour ne plus figurer au seul menu.
Un désir de souveraineté
2025 marque dans ce contexte un tournant à plus d’un titre. Elle combine les symboles, les rendez-vous institutionnels, les nominations et offre les conditions pour faire émerger une feuille de route à la fois différente et ambitieuse. Au niveau des symboles : la présidence du G20 par l’Afrique du Sud l’est à plus d’un titre. Seul pays africain du G20, c’est aussi la première fois qu’elle exerce cette présidence depuis la création du forum au niveau des chefs d’État et de gouvernement en 2008 voulu par le président Sarkozy.
Si l’Allemagne avait élaboré son Global compact en 2017 en faveur de quelques pays africains, c’est la première fois que l'un d'entre eux est en mesure d’adopter un agenda international véritablement africain. La célébration récente du 30e anniversaire de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud confère évidemment à cette présidence une tonalité toute particulière.
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On ne parle plus simplement de résilience des économies mais aussi de souveraineté. L’Afrique veut également sa souveraineté industrielle, sanitaire, alimentaire et énergétique. L’Europe ne dirait pas autre chose. Il lui appartient d’être plus ambitieuse et innovante pour flécher une partie de son épargne vers des projets et instruments stratégiques communs, en particulier industriels et énergétiques.
Grandes messes internationales
2025, c’est aussi une année de jeu de chaises musicales. Le président nigérian de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina, achève son second mandat et en mai prochain sera désigné son successeur. Après dix années à la tête de l’institution, la BAD est à présent à la table des grands. Le Tchadien Moussa Faki Mahamat voit également son mandat se terminer à la tête de la Commission de l’Union africaine, à un moment où l’organisation panafricaine doit achever des chantiers fondamentaux au premier rang duquel le succès de la mise en œuvre du traité établissant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ; initiative fondamentale pour un continent qui compte 54 états et dont la croissance de long terme est fortement liée au développement des échanges intrarégionaux.
Par ailleurs, l’institution demeure dépendante de l’extérieur puisque la Chine et l’Union européenne allouent ensemble près de 70 % de son budget et que les réformes lancées en 2016 n’ont pas obtenu les résultats escomptés. Sur ce registre et pour citer à nouveau le président Ruto, il est à présent temps que les pays africains aient confiance en leurs institutions et les financent.
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2025, c’est aussi l’année des grandes messes internationales. Après la troisième conférence d’Addis Abeba en 2015 qui avait établi les « Objectifs du développement durable », c’est l’Espagne qui accueillera fin juin la quatrième conférence sur le financement du développement, où il faudra faire plus avec moins, compte tenu des contraintes budgétaires des pays contributeurs. C’est aussi l’année qui accueillera la neuvième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD), le sommet Afrique-Japon qui se tient tous les trois ans.
Enfin, l’année devrait également être celle du sommet Europe-Afrique, dont le dernier remonte à 2022 et qui mettra en avant les 150 milliards d’euros consacrés à l’Afrique par l’initiative Global Gateway. Plus largement, ce sommet devra élaborer de nouvelles ambitions communes pour que l’Europe et l’Afrique restent maîtresses de leurs destins. Dans ces conditions, l’Afrique dispose des leviers pour élaborer, décider et mettre en œuvre un agenda de réformes ambitieux dans un monde où les grands fauves ne laisseront que peu de place aux autres.