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Délai d'attente, levée d'anonymat : ce que la PMA pour toutes pourrait changer

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Promesse électorale d’Emmanuel Macron, la PMA pour toutes sera définitivement adoptée ce mardi 29 juin. Sur le terrain, la concrétisation de cette nouvelle loi s’avère complexe, entre risque d'encombrement des demandes et questions éthiques.

Promesse électorale d’Emmanuel Macron, la PMA pour toutes devrait être adoptée par le Palais Bourbon ce mardi 29 juin, après un passage express au Sénat. Mais son application pourrait générer de nouvelles problématiques en France.

1. Le risque d'un allongement des délais

Concrètement, les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) s’attendent à un afflux de demandes de femmes solo et de couples de femmes lesbiennes. Fixés en moyenne entre 12 et 18 mois, les délais d’attente pourraient considérablement s’allonger.

Au CECOS de l’hôpital Tenon, à Paris, le docteur Nathalie Sermondade assure : « Nous souhaitons augmenter massivement le nombre de donneurs afin de maintenir un délai d'attente raisonnable pour toutes les demandes. » Mais à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (92), le professeur Michaël Grynberg, spécialiste de la médecine de la reproduction tient un autre discours : « L’ouverture de la PMA pour toutes fait l’objet d’un effet d’annonce. Car le système ne va pas suivre, précise-t-il à Marianne. Il n’y aura pas assez de sperme pour honorer toutes les demandes d’aide médicale à la procréation. »

2. Les filières clandestines favorisées ?

Pour endiguer la pénurie qui s’annonce, le médecin préconise d’importer des gamètes de l’étranger - mais cela pose des questions éthiques liées à la levée de l’anonymat des géniteurs. Il milite également pour une rémunération des donneurs - mais c'est une porte d’entrée à la marchandisation des gamètes.

Paradoxalement, la PMA pour toutes risque de grossir les filières clandestines. Pour éviter des délais d’attente, beaucoup de femmes aisées pourraient se rendre à l’étranger. Tandis que les moins fortunées pourraient faire appel à la PMA système D. Sur Facebook, il existe plusieurs groupes de mises en relation artisanale de donneurs et de femmes souhaitant procréer. Ces deux voies parallèles contreviennent aux principes éthiques français.

3. L'avènement d'une filiation sans père

Une autre conséquence de la PMA pour toutes est l’avènement d’une filiation sans père. Ce basculement sociétal, mais aussi anthropologique, attire les foudres de certains pédopsychiatres et psychanalystes tels que Myriam Szejer. « Les couples de femmes lesbiennes pourraient se répartir le rôle du père et de la mère. Mais les femmes solos instituent une filiation sans père. Les enfants ont besoin d’une figure paternelle unique. Et cette dernière ne peut pas être remplacée par de multiples personnes, issues de l’entourage de la mère », explique à Marianne le médecin, rattachée au centre de PMA de l’hôpital Foch, à Suresnes. « L’enfant qui grandit sans identifier ni son géniteur, ni son père ne risque de chercher des pères partout », poursuit-elle. La psychanalyste s’inquiète également de l’institutionnalisation d’une maternité fusionnelle avec l’enfant, sans figure émancipatrice.

Pour anticiper les mois d'attente, et sous la pression de leur horloge biologique, certaines femmes célibataires pourraient d'ailleurs avoir recours à la PMA de plus en plus tôt… alors même qu'elles attendent encore l'âme sœur. C’est le cas de Sylvie, 41 ans. Cette quadragénaire toulousaine enchaîne actuellement les rendez-vous dans les cliniques de Barcelone, en Espagne. « C’est beaucoup plus rassurant de partir sur un enfant solo, plutôt que d’avoir une histoire avec un homme pas fiable et pas durable », observe-t-elle.

4. Levée de l'anonymat pour les donneurs

La loi bioéthique engendre un autre changement d’envergure : la levée de l’anonymat des donneurs. Cette disposition, adoptée sous la pression des personnes issues de PMA - notamment celles rassemblées dans l’association PManonyme - permet aux enfants d’obtenir des informations précises sur leur géniteur. Dans les prochains jours, Olivier Véran (Santé) mettra en place une Commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur pour établir les modalités précises de l’anonymat des donneurs.

Jusqu’à présent, les personnes issues de donneurs grandissaient sans connaître leur identité génétique paternelle. Cela pouvait générer des difficultés dans la construction de soi : « Longtemps, je n’ai pas réussi à me regarder clairement dans la glace. Il y avait toujours une forme de flou, qui m’empêchait de comprendre qui j’étais vraiment », assure par exemple Timothée, 29 ans, né par PMA.

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Outre la construction de l’identité, la levée de l’anonymat permettrait de restaurer une ligne claire sur un tabou : « Certaines personnes nées par PMA souffrent de peurs inconscientes d’être l’objet de relations incestueuses », précise à Marianne Myriam Sjézer. De fait, un géniteur peut résider dans la même ville que ses descendants. En France, jusqu'à dix personnes peuvent être issues d'un don. Et ce dernier est réalisé dans la même ville que les inséminations. Ainsi, les personnes issues de don peuvent potentiellement rencontrer leurs demi-frères et sœurs sans le savoir.

« L’inconscient enregistre tout. Confronté à l’interdit de l’inceste, l’enfant peut développer une culpabilité, qui se manifeste sous la forme d’angoisses diverses »prévient Myriam Sjézer. Et de développer : « En consultation, j’ai vu des jeunes confrontés à ce risque après leur puberté. Je les ai vus décompenser complètement sur le plan psychiatrique. » La levée de l’anonymat évitera de telles angoisses aux jeunes adultes. Mais pas aux adolescents. Avant 18 ans, le mystère sur l’identité du géniteur restera entier. Or, c’est bien à cet âge que s’opère une grande partie de la construction sexuelle…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne