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"L'héritage de Jacques Delors ? Une méthode engageant le dialogue entre société civile et politique"
Jacques Delors en 1993.
AFP

"L'héritage de Jacques Delors ? Une méthode engageant le dialogue entre société civile et politique"

Tribune

Par Guillaume Klossa

Publié le

Guillaume Klossa est président du centre de réflexion EuropaNova, écrivain (Dernier livre « Fierté européenne, manifeste pour une civilisation d’avenir », finaliste du prix du Livre européen 2022). Sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe présidé par l’ancien Premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, il a initié en 2007 avec Jacques Delors les Etats-Généraux de l’Europe. Il défend aujourd'hui dans cette tribune l'héritage européen de l'ancien ministre de François Mitterrand, mort le 27 décembre.

Certains à gauche comme à l’extrême droite critiquent vertement l’héritage européen de Jacques Delors sous prétexte que celui-ci serait contraire à l’intérêt de nos concitoyens. C’est à la fois paradoxal et injuste. Paradoxal, parce que les avancées européennes portées par Jacques Delors que sont l’euro, le marché unique ou encore Erasmus sont plébiscitées par les citoyens français comme européens, et ce, même par ceux votant aux extrêmes.

Ces trois innovations majeures sont d’ailleurs celles qui rendent l’Union concrète et indispensable aux yeux des citoyens européens et qui expliquent très largement que, presque partout en Europe à l’exception de la France, de la Grèce et de la Finlande, près de deux tiers d’entre eux soutiennent le projet européen. Ceci ne veut pas dire qu’ils ne considèrent pas que des évolutions ne soient pas nécessaires et qu’ils ne souhaitent pas une transformation de l’Union. Cela signifie simplement qu’ils y voient des bénéficies concrets et durables pour eux.

Mauvais procès

C’est également injuste car Jacques Delors voyait dans ces innovations des avancées majeures pour les citoyens européens comme français. La mise en place du marché intérieur qui reste très largement inachevée devait et a permis d’accroître la richesse européenne pendant plus d’une décennie au bénéfice des salariés et de lutter contre des monopoles ou oligopoles détenus par des intérêts financiers qui réduisaient le pouvoir d’achat. Elle s’est également accompagnée d’un doublement des fonds de cohésion destinés aux régions les moins favorisées de l’Union européenne, ce qui a permis de lutter efficacement contre la pauvreté, et d’une charte sociale européenne dont les Britanniques ont empêché qu’elle s’applique.

L’euro a rendu possible la mutualisation de la souveraineté monétaire alors que jusqu’à sa création, les monnaies européennes étaient pénalisées par la puissance du Mark. La Buba, la banque centrale allemande, exerçait seule une sorte de souveraineté monétaire de fait étendue aux autres monnaies du continent. Enfin Erasmus qui doit encore être démocratisé reste un formidable outil continental d’égalité des chances qui a permis à plus de douze millions d’Européens d’élargir leurs horizons personnels et professionnels et de construire des parcours plus en phase avec leurs aspirations profondes et leurs talents.

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C’est injuste également car Jacques Delors n’a jamais considéré que l’euro et le marché unique étaient des fins en soi, mais seulement des moyens qu’il s’agissait d’améliorer et de compléter par un budget européen, des politiques sanitaires et sociales et une stratégie de puissance qui permette à l’Union européenne de peser sur le cours du monde. En ce sens, on juge Delors trop souvent sur ce qu’il n’a pas fait en oubliant une vision d’ensemble qu’il n’a pas eu l’occasion, faute de temps et de circonstances, de pouvoir totalement mettre en œuvre.

Tusk et Costa, héritiers de Delors

Ce qui est certain, c’est que l’héritage de Delors, c’est aussi une méthode qui a tout pour déplaire aux extrêmes dans la mesure où elle rejette l’idée même d’une femme ou d’un homme providentiel, qu’elle valorise la société civile et qu’elle transcende les clivages partisans. Cette méthode consiste à s’appuyer sur les forces vives de l’Europe pour développer une compréhension commune du monde réel et des perspectives d’avenir partagées qu’il revient au politique de mettre en oeuvre.

Delors a ainsi la conviction d’un cercle vertueux entre la Société et la Politique et développe une méthode qui engage un dialogue continu entre société et politique et crée une dynamique de co-responsabilité apte à enclencher les transformations nécessaires au bien commun. Dans le contexte de transformations radicales que nous connaissons et d’appétence puissante des citoyens en matière de démocratie participative, cette méthode est plus actuelle et nécessaire que jamais.

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Qui sont aujourd’hui les héritiers non pas de Delors mais de sa méthode ? Il est paradoxalement plus facile d’en trouver en dehors de l’Hexagone. Sans surprise il s’agit souvent de démocrate-chrétiens ou de socio-démocrates, deux familles qui ont bâti ensemble le projet européen. Ce qui est plus surprenant, c’est qu’on les trouve souvent aux frontières de l’Union européenne à l’instar du socialiste portugais Antonio Costa ou du chrétien-démocrate polonais Donald Tusk, qui tous deux appliquent la méthode Delors dans leur action politique.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne