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Louis Boyard, la "gauche Hanouna" à l'Assemblée.
Louis Boyard, la "gauche Hanouna" à l'Assemblée.
IP3 PRESS/MAXPPP

Caron, Garrido, Boyard… Entre politiques et télé, ce que dit cette nouvelle consanguinité

Entretien

Propos recueillis par

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Louis Boyard, Aymeric Caron, Raquel Garrido, Roselyne Bachelot, Éric Zemmour, Charles Consigny et Jean Messiha : passer de la politique à la télévision ou l'inverse n'a jamais semblé si naturel. Comment l'expliquer ? Stéphane Encel, auteur de « Ce n’est pas que d’la télé. Ce que le système Hanouna dit de la France » (David Reinharc Éditions), décrypte ce phénomène.

Mardi 28 juin, Louis Boyard , jeune député Nupes de 21 ans fait le buzz sur Twitter en refusant de serrer la main à des députés du Rassemblement national (RN). Connu depuis 2021 comme chroniqueur dans Les Grandes Gueules sur RMC Story et Touche pas à mon poste ! sur C8, le jeune homme a tout pour incarner une « gauche Hanouna », mêlant politisation, divertissement et recherche de buzz. Et il n'est pas le seul. Pour Marianne, Stéphane Encel, historien, professeur de culture générale à l’ESG Management School et auteur de « Ce n’est pas que d’la télé. Ce que le système Hanouna dit de la France » (David Reinharc Éditions), analyse le phénomène.

Marianne : Louis Boyard, Aymeric Caron et Raquel Garrido, ex-chroniqueurs TV, entrent à l’Assemblée. À l’inverse, Roselyne Bachelot, ex-ministre de la Culture, retourne aux Grosses têtes sur RTL et pourrait même intervenir régulièrement sur BFM TV à la rentrée. Comment percevez-vous cela ? Politique et télévision deviennent-ils des milieux poreux ?

Stéphane Encel : Cela remonte à loin ! C'est lié à l'horizontalisation de la société, qui passe par la fin d'une hiérarchisation des informations et des catégorisations – divertissement, politique, littérature… Ce furent les chaînes d'information en continu, dès le milieu des années 80 aux États-Unis – Marc-Olivier Fogiel est devenu en 2019, c'est un symbole fort, directeur général de BFM TV –, les émissions d'Ardisson et de Ruquier, dans les années 90, Internet, bien évidemment.

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L'avantage de ce mélange total des genres est de faire connaître des personnalités politiques et intellectuelles à une génération peu sensible aux cénacles classiques où ils se produisaient ; mais le revers de la médaille est qu'ils se décrédibilisent par l'imposition de normes propres à ces formats, où le temps de parole est réduit, où les clashs sont habituels, et nécessaires, où l'émotion l’emporte sur l'argumentation. Seules les idées simplistes, et souvent extrêmes, trouvent écho. Les personnalités citées sont très emblématiques, car elles n'ont cessé de mêler politique et divertissement, et elles s'y sentent très bien ! C'en est même devenu leur marque de fabrique, en devenant particulièrement clivantes.

Dans tout cela, Cyril Hanouna semble jouer un rôle essentiel. Comment l’expliquez-vous ?

En parlant de personnalités clivantes ! Il est à tous les carrefours de ce monde – presque – nouveau. D'où que l'on regarde, comme avec le Big Brother d'Orwell, il est là, car il a réussi à se rendre indispensable : réseaux sociaux, télé-réalité, actualités, scandales… Il a capté tous les codes de son époque, en décloisonnant et nivelant définitivement tous les domaines. Et ce qui caractérise le système Hanouna, tel qu'il le décrit lui-même, c'est notamment le fait de mettre Twitter au centre de tout : les choix de sujets, les prises de position, les invités, les attaques ou excuses, seront conditionnés aux moindres frémissements de ce qu'il perçoit comme un baromètre de démocratie. Or, Twitter, par l'anonymat, le format, les faux comptes, etc., pose des questions très délicates, et se révèle souvent comme l'anti-démocratie, où règne la haine, la loi du plus fort et l'inculture. Mais les politiques et intellectuels, pour beaucoup, sont bien obligés de jouer son jeu, et certains s'y (com)plaisent. Et ne cachons pas qu'Hanouna, comme Twitter, favorise les extrêmes.

Cyril Hanouna est très suivi par les jeunes. Ces mêmes jeunes ont beaucoup voté pour Jean-Luc Mélenchon. La gauche a-t-elle raison de se rendre chez Hanouna ? Est-ce une stratégie payante ?

Et une bonne part de son public est de sensibilité extrême gauche ou extrême droite, comme l'a révélé un sondage du printemps 2021 . Il y a une grande cohérence, derrière ce que recoupe le terme – assez vague il est vrai – de populisme, propre à ces extrêmes. La suspicion matricielle envers toutes les formes d'autorité « verticales », un anti-intellectualisme, une propension au « parler franc », qui se résume souvent à celui qui parlera le plus fort, le plus agressivement, avec le plus d'émotion, le recours constant au « peuple » – notion aussi vague qu'idéologique…

Incontestablement c'est ce qui fait l'ADN des mélenchonistes, lepénistes et zemmouriens. Les envolées, sorties et dérapages – contrôlés, n'en doutons pas – de Garrido et Messiha chez Hanouna incarnent désormais ce que l'on pourra entendre, et déplorer, à l'Assemblée. Plus qu'une stratégie, c'est donc une ligne de force, qui ne faiblira pas.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne