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Politique Mélenchon
Lionel Jospin et son nouveau ministre, Jean-Luc Mélenchon, le 28 mars 2000.
Lionel Jospin et son nouveau ministre, Jean-Luc Mélenchon, le 28 mars 2000.
Joël Saget / AFP

"Pas mon candidat" : des éloges à la rupture, comment l'idylle entre Jospin et Mélenchon a mal tourné

Récit

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Trente ans qu'ils se tournent autour. De leur origine trotskiste commune à l'opposition frontale en passant par la parenthèse de la « gauche plurielle », Jean-Luc Mélenchon et Lionel Jospin ont toujours navigué dans les mêmes eaux. Récit d'un mariage raté, sans-cesse recommencé.

La gauche a ses fantômes, et en ce moment certains dansent plus qu’avant. Lionel Jospin est de ceux-là, et se plaît depuis 2022 et la naissance de la NUPES à venir passer une tête en plateau télé, ou au micro de France Inter pour donner son avis sur tel accord, tel résultat électoral, telle sortie médiatique d’un de ses anciens camarades. Premier ministre de cohabitation pendant cinq ans – de 1997 à 2002 –, il a acquis l’image d’un vieux sage, qui peut distribuer les bons et les mauvais points.

Depuis quelque temps, les mauvais points sont essentiellement attribués à Jean-Luc Mélenchon. Samedi 1er février, interrogé sur une potentielle présidentielle à venir sur le plateau de « C l’hebdo », l’ancien patron de la gauche a été ferme : « Jean-Luc Mélenchon ne sera pas mon candidat ! » Bien sûr, l'homme qui a incarné le désir d'embrasser l'économie de marché tout en rejetant « la société de marché » renvoie à une gauche plus libérale que celle où émarge désormais Jean-Luc Mélenchon. Pour autant, ces mots résonnent comme une rupture franche et apparemment définitive tant les deux personnages ont pu avoir jusqu'à récemment des mots amènes l'un pour l'autre. Il faut dire qu'ils dansent ensemble depuis 20 ans, tantôt côte à côte, tantôt face à face. Rembobinons.

1997 : tonnerre à Brest

Novembre 1997. Le Parti socialiste est revenu au pouvoir après une victoire aux législatives portée par Lionel Jospin. Les « camarades » se réunissent à Brest, et Jean-Luc Mélenchon, candidat très minoritaire à la tête du parti tente de faire pencher le PS plus à gauche, et à faire accepter le dialogue interne.

Quelques années après, devant les caméras de l'émission documentaire « Un jour, un destin » en 2017, Laurent Fabius décrète que celui qui était à l’époque sénateur socialiste a fait « son plus beau discours » lors de ce congrès de Brest. Celui-ci était un petit avertissement, à un parti qu’il finira par quitter, et affronter de toutes ses forces, malgré un vrai respect pour son chef d’alors : Lionel Jospin.

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À la tribune, l’orateur invoque François Mitterand, mort un an et demi plus tôt, le qualifie de maître à penser, et revendique un conseil qu’il lui aurait donné – « Monsieur Mélenchon, ne cédez jamais, marchez votre chemin » –, avant de conclure par une réponse à l’énigmatique conseil mitterrandien : « Je marche, Monsieur. » Le jeune sénateur vient de gronder amicalement ses camarades, et de leur rappeler que la « gauche plurielle » prônée par Lionel Jospin doit être vraiment mise en place.

Tout en affirmant son soutien au chef du gouvernement, il appelle la direction socialiste a se « garder de tout hégémonisme » : « Il serait inouï qu'on veuille la gauche plurielle à l'Assemblée, au gouvernement et qu'on l'espère monocolore » dans les rangs socialistes. La pique est feutrée, mais remarquée : Jospin sait qu’il doit satisfaire Mélenchon et ses troupes, sinon l’avertissement respectueux deviendra schisme.

2001 : l’odyssée de l’espace politique

6 juin 2001. Les socialistes sont toujours au gouvernement, et Jean-Luc Mélenchon les y a même rejoints pour sa première fonction, et à ce jour la seule, dans l'exécutif. Lionel Jospin a l’admiration de Mélenchon, malgré leurs divergences politiques, et en a fait le ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Mais des articles de presse viennent mettre la pagaille. Le Monde titre « Révélations sur le passé trotskiste de Lionel Jospin ».

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Le Premier ministre est sommé de s’expliquer, et avoue. Il a caché un engagement chez les « lambertistes », un groupe trotskiste, spécialiste de l'entrisme au sein du Parti socialiste pour le changer de l’intérieur, et dont l'énarque Lionel Jospin était l'une des fines fleurs.

La gauche est gênée, la droite s’emporte, et Mélenchon, lui aussi passé chez Lambert, devient le défenseur du Premier ministre : « Ce sont des histoires du niveau de ce que racontait le Komintern. Il ne va pas falloir que ce qui a duré des années, qui était la chasse aux trotskistes, se transforme maintenant en une chasse à l'ancien trotskiste. Ras le bol ! Moi, je sais que toute une génération a participé à la vie intellectuelle de l'extrême gauche et c'est très bien. Moi, j'en suis fier. » Jospin passe la tempête, et peut remercier Mélenchon pour son soutien. Les deux sont presque inséparables ?

2002-2005 : fin du bal

La suite de l’histoire est plus amère. La gauche plurielle s’éteint dans une singulière nuit d’avril 2002. Confiant – peut-être trop –, le PS fait une campagne poussive, et Lionel Jospin, avec moins de 17 % des suffrages exprimés, est chassé du second tour. La déroute est historique. Déjà, on cherche des coupables. Malgré son incarnation de la « gauche socialiste » qui déplore les choix trop libéraux de la direction socialiste, Mélenchon a fermement soutenu Jospin, et apparaît en colère dès le lendemain de la défaite contre ceux qui n’auraient pas assez soutenu le candidat, ou ne se seraient pas déplacés au bureau de vote : « Tous ceux qui sont allés à la pêche, qui ont fait la fine bouche. À qui il aurait fallu un petit peu plus de ceci, un petit peu moins de cela : et bah voilà le résultat. Nous voilà dans l'eau jusque-là. »

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La « Jospin mania » terminée en eau de boudin, le très loyal Jean-Luc Mélenchon ne trouve plus sa place dans un Parti socialiste dirigé par celui qu’il n’a jamais soutenu : François Hollande.

Nous approchons de 2005 et du référendum sur la constitution européenne, et donc de la scission Mélenchonnienne, qui va mûrir dans une dernière opposition à l’État-major du PS, face à un adversaire qu’il n’avait jamais vraiment affronté de front : Lionel Jospin. L’ancien Premier ministre soutient le « oui », Mélenchon, encore minoritaire, le « non ». Et Jospin va trop loin, arguant que l’Europe n’est « pas libérale » et diabolise les partisans du « non ». Le sénateur de l’Essonne annonce sur France 2 être « estomaqué » et « stupéfait » par les propos de celui qu’il admirait. Le fossé est là.

2012 : « C’est pas un drame »

10 ans après, l’affront est presque lavé. La gauche va revenir à l’Élysée, après un septennat et deux quinquennats de droite (ceux de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy). Jospin et Mélenchon n’ont plus vraiment d’interaction, mais l’ancien Premier ministre, qui a gardé de l’affection pour son ancien camarade, l’appelle à suivre Hollande. Déjà politique en retraite et commentateur chevronné, Jospin implore Jean-Luc Mélenchon à « prendre ses responsabilités » pour jouer un rôle dans la future majorité de gauche.

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L’ancien Premier ministre, qui souligne que Jean-Luc Mélenchon a toujours été loyal à son action, confie même que les deux anciens membres actifs du PS, qui se sont croisés entre deux plateaux télés, se sont à nouveau échangé leur numéro de téléphone. Les deux gauches sont réconciliées ?

N'allons pas trop vite. L’ancien sénateur, depuis candidat à la présidentielle avec sa formation, le Front de gauche, n’a pas oublié les mots de Jospin contre sa candidature en mars 2012 : « Cet homme a du talent, c'était un bon ministre, mais il n'ira probablement pas au-delà d'un certain niveau […] Jean-Luc Mélenchon a un plancher, la radicalité, et un plafond, la crédibilité. »

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Après la victoire du candidat du PS, Mélenchon refuse poliment d’intégrer la majorité, faute d’accord de rapprochement programmatique avec François Hollande, et cite Jean-Pierre Chevènement, qui a lui aussi ferraillé pour porter une ligne minoritaire au sein du PS quelques années auparavant : « Un ministre, comme disait Jean-Pierre Chevènement, "ça ferme sa gueule ou ça démissionne", donc je ne vois pas comment seraient conciliables le programme du Front de Gauche et le programme du gouvernement. Dont acte, c'est pas un drame. »

2020-2024 : les vieux mariés

Après le quinquennat Hollande, qui a entraîné la quasi-disparition du PS aux deux élections présidentielles suivantes, Lionel Jospin a rendu sa parole médiatique plus rare. Il revient tout de même en 2020, avec un livre dans lequel il donne son analyse du paysage politique après la victoire d’Emmanuel Macron : Un temps troublé (Seuil).

Et l’ouvrage contient une petite surprise : des mots doux sur Mélenchon. L’ancien pourfendeur de la radicalité déclare sa « sympathie » pour LFI et reprend même contact avec son ancien ministre. Dans les colonnes du Nouvel Obs, Mélenchon donne sa réaction à la lecture du livre de son ancien chef : « Une grande émotion. Il ouvre peut-être une nouvelle séquence, celle du dialogue et du débat respectueux. »

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Mais les années passent, LFI ne rassemble pas les partenaires de gauche comme Jospin l’aurait souhaité, et l’écart politique se creuse à nouveau. Jospin s'affiche même en soutien de Raphaël Glucksmann. Depuis, Mélenchon a essayé d’être nommé Premier ministre plusieurs fois. En juin 2024, il se propose doucement pour Matignon : « Je ne m’élimine pas et je ne m’impose pas. » Sur BFM, Jospin répond fermement : « Jean-Luc Mélenchon n’est pas la solution […] Un autre choix devra être fait. »

Bientôt 30 ans après le congrès de Brest, qui a marqué le début de son schisme avec le Parti socialiste, Jean-Luc Mélenchon se lancera donc probablement vers une quatrième présidentielle sans le soutien de celui qu'il a tant admiré, et peut-être même face à celui ou celle que Lionel Jospin adoubera. Les danseurs aussi sont pluriels.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne