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Cazeneuve, Lucas, Loiseau : les prétendants à la "médaille Jean Moulu de la résistance aux extrêmes"
SIPA - Montage Marianne

Cazeneuve, Lucas, Loiseau : les prétendants à la "médaille Jean Moulu de la résistance aux extrêmes"

Trophées Marianne

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Ils n’auraient pas attendu le 18 juin pour rejoindre de Gaulle à Londres – quoique, n’était-il pas lui aussi un dictateur en puissance ? Eux, ce sont les champions autoproclamés de la démocratie, les archanges protecteurs de la République, prêts à débusquer la bête immonde du fascisme jusque dans ses repères les plus secrets. Année électorale oblige, ces gardiens de la nation ont eu tout le loisir de se décerner des brevets de résistance aux extrêmes. Membres de la majorité comme de la Nupes, voici parmi les plus valeureux prétendants à l’obtention de la médaille Jean Moulu. À vous de voter pour désigner le vainqueur !

Quelle année. Dans une tentative de rendre un juste hommage à la qualité des personnels politiques, grands décideurs économiques et éminents acteurs culturels, « Marianne » lance sa première édition des Trophées du même nom. Douze catégories, du prix « Y a-t-il un ministre dans l'avion ? » à la palme « Pontifex de la bien-pensance » pour célébrer le meilleur de 2022. Prix du jour : « la médaille Jean Moulu de la résistance aux extrêmes », et c'est à vous de voter (à la fin de l'article).

Jean-René Cazeneuve, député Renaissance du Gers, rapporteur général du budget et grand pourvoyeur de « stats en bois »

Il pensait tenir la preuve mathématique du rapprochement des « extrêmes ». Le 31 octobre, Jean-René Cazeneuve publiait sur Twitter des résultats de votes compilés, façon « statistiques Opta » à la mi-temps d’un match de foot, pour répondre à une question simple : « Qui vote avec le RN ? » Conclusion triomphale du député : « Sans surprise, les populistes se rejoignent : la Nupes est l'ensemble politique qui vote le plus comme le Rassemblement national. Source : les 400 premiers scrutins publics de la XVIe législature. » Cela signifierait que les oppositions votent contre les textes du gouvernement et de la majorité ? Pas possible !

Le député semble oublier qu’on peut être contre un texte pour plus d’une raison. Qui plus est, l’examen détaillé de ces votes communs enterre définitivement l’idée d’une connivence coupable de la gauche et du Rassemblement national. Le plus souvent, il s’agit de faire obstacle aux macronistes sur des dossiers socio-économiques, comme la loi de programmation des finances ou celle relative au fonctionnement du marché du travail. Lorsque Nupes et RN votent de concert, c’est pour la taxation des superdividendes ou l’encadrement des loyers en zone rurale. Enfin, aucune des voix communes ne se rejoignent sur un texte relevant d’une idéologie d’extrême droite.

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Benjamin Lucas, député écologiste membre de Génération.s, pour cette tempête sous un crâne

Cette belle âme se sera certainement oubliée en faisant étalage de sa noblesse sur Twitter. Le 24 octobre, alors que Marine Le Pen prend la Nupes par surprise en annonçant que les députés de son groupe voteront la motion de censure déposée par la gauche, l’écologiste Benjamin Lucas clame son malaise quant à ce vote « problématique ». « Par rejet absolu de toute forme de compromission avec l’extrême droite, j’ai été saisi d’un vertige, d’une hésitation », écrit-il. Tout en précisant, une fois sa pince à linge républicaine brandie aux yeux de tous : « Je vote tout de même notre motion de censure. »

C’est gratuit, ça lui fait plaisir : l’élu des Yvelines, pour qui « la lutte contre l’extrême droite est consubstantielle à [s]on engagement », nous offre même une version longue des Souffrances du jeune Lucas. Solennel, il déclare ainsi : « Nous combattons le gouvernement, certes, mais sans doute pas pour préparer une alternance similaire. Rien ne nous rassemble. Rien ne nous rassemblera jamais. Rien. Jamais. » Notons cette ponctuation définitive, signe d’une inébranlable conviction ! Entre ici, Benjamin !

Amélie de Montchalin, ministre candidate aux législatives dans l’Essonne, pour l’invention du « ni-ni neuneu »

Invitée de CNews le 13 juin, la future ex-ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, en ballottage défavorable au lendemain du 1er tour des élections législatives, livrait cette brillante analyse : « Ce que j’observe, c’est que Jean-Luc Mélenchon a beau jeu d’expliquer qu’il est évidemment opposé à l’extrême droite, mais son programme la rejoint. Moi je combats l’extrême droite, je combats le fait qu’on pourrait laisser croire aux Français qu’on va désobéir à l’Europe ou en sortir. Je combats l’idée selon laquelle il faudrait qu’on trouve en permanence des coupables. Moi je crois à la République. »

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Imparable syllogisme : tout ce qui n’est pas d’accord avec Ensemble est extrême, tout ce qui est extrême est mauvais, donc tout ce qui n’est pas d’accord avec Ensemble est mauvais. Traduction en consigne de vote : « Pas de voix pour La France insoumise, pas de voix pour les extrêmes, pour l’extrême droite non plus. Nous sommes dans une situation aujourd’hui où Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont au fond une vision jumelle de la politique, le désordre, le chaos, l’anarchie, l’affaiblissement de la France, la soumission. » Hélas, cela ne suffira pas à Amélie de Montchalin pour être élue.

Nathalie Loiseau, députée européenne Renew, pour ce vol en haute altitude

Aucune tarte à la crème n’est assez grosse pour Nathalie Loiseau. Au lendemain du vote infructueux d’une motion de censure par la Nupes et le RN, la députée européenne, invitée de France Inter, nous chantait l’air bien connu, si populaire au sein de la Macronie, des « extrêmes qui se rejoignent ». « C'est à la fois peu surprenant et consternant : le Rassemblement national et la Nupes décident d'être ensemble », tranchait l’ancienne ministre des Affaires européennes. Et d’ajouter, avec une pointe de mauvaise foi : « C'est un coup de Marine Le Pen, mais je vois les dirigeants de La France insoumise qui s'en réjouissent, qui disent que ça passait à cinquante voix près. Qu'est-ce qu'il faut en déduire ? Qu'il n'y a pas encore assez de députés Rassemblement national ? »

De son regard perçant, Loiseau mettait au jour la véritable nature des oppositions : « Ils font semblant d'être en désaccord. En réalité, ils n'ont aucun problème à se mettre ensemble pour essayer de ralentir le pays, de déstabiliser le pays. (...) Je dois dire que quand on est au Parlement européen on n'est pas surpris : extrême droite et extrême gauche ont souvent des votes très similaires. Les extrêmes se rejoignent, ce n'est pas bon pour la démocratie. Je ne suis pas sûr qu'ils aiment beaucoup la démocratie. » Que dire alors d’une politique n’aimant pas beaucoup que les oppositions ne pensent pas comme elle ?

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne