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Mort d'une ancienne Gilet jaune : Brigitte Macron (encore) dans le viseur des conspirationnistes
En décembre, une théorie fumeuse selon laquelle Brigitte Macron serait un homme circulait sur le net.
Ludovic MARIN / POOL / AFP

Mort d'une ancienne Gilet jaune : Brigitte Macron (encore) dans le viseur des conspirationnistes

La haine

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Le 6 mars, le corps d'Isabelle Ferreira était retrouvé à proximité de Saint-Malo. Alors que les enquêteurs privilégient la thèse d'une noyade, une frange d'adeptes de théories occultes affirme que la femme de 56 ans s’apprêtait à sortir des informations compromettantes sur Brigitte Macron. Pourquoi cette obsession ?

Isabelle Ferreira avait 56 ans lorsqu'elle a été retrouvée noyée au barrage de la Rance, à proximité de Saint-Malo, le 6 mars. Selon des proches, cités par France bleu, cette femme, proche de la mouvance Gilets jaunes, souffrait d'une « tendance paranoïaque, souffrant de troubles bipolaires ». Pourtant, la version officielle est largement remise en question par des adeptes des théories occultes qui rencontrent un certain écho sur internet. Ceux-ci affirment que la défunte s'apprêtait à faire des révélations sur Brigitte Macron.

Passeport australien et médicaments

La noyade ne fait aucun doute : c'est ce qu'indique Christine Le Crom, procureure de Saint-Malo, à Ouest France. Isabelle Ferreira avait en effet de l'eau dans ses poumons. Preuve qu'elle était encore en vie au moment où elle est tombée dans l'océan. « Son corps ne présente aucune lésion laissant supposer l’intervention d’un tiers », précise encore le parquet.

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Cette Parisienne s'est rendue en Bretagne la veille de son décès, comme l'atteste un billet de train retrouvé dans sa chambre d'hôtel. Dans cette pièce, les enquêteurs ont également mis la main sur un téléphone portable et des tubes vides de Donormyl, un somnifère. Le jour de la découverte du corps, les policiers de Saint-Malo avaient reçu l'appel d'un hôtelier indiquant qu'une cliente était partie seule, sans emporter ses affaires.

Toujours dans Ouest-France, Christine Le Crom affirme ne disposer « d’aucun élément expliquant la raison de son séjour ». Les images de vidéosurveillance confirment qu'Isabelle Ferreira est arrivée seule. Le 5 mars, elle est allée acheter des médicaments à la pharmacie, avant de retourner dans sa chambre à 18 h 47 qu'elle quitte à 19 h 05. « C’est ici que nous perdons sa trace », explique le parquet.

Haro sur Brigitte Macron

Sur le web, la mort d'Isabelle Ferreira agite la sphère conspirationniste. Le site Apar.TV a ouvert les hostilités le 23 mars, insinuant que la défunte avait en réalité été assassinée afin d'empêcher la divulgation d'informations compromettantes sur Brigitte Macron, l'épouse du chef de l'État. Si Marianne racontait en décembre comment la Première dame était la cible d'une théorie fumeuse l'accusant d'être un homme, c'est sur un tout autre sujet qu'Isabelle Ferreira aurait enquêté, selon l'article.

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Citant une publication Facebook d'un proche d'Isabelle Ferreira, un certain Lucas de Paris, le site indique que la quinquagénaire travaillait « sur l’"atteinte sexuelle" de l’enseignante Brigitte Trogneux envers l’élève mineur Emmanuel Macron ».

L'article comporte également une capture d'écran d'un SMS, présenté comme « le dernier envoyé par Isabelle Ferreira à l'un de ses amis ». « Je viens de trouver un truc énorme !, aurait écrit la défunte. Les délais de prescription ont changé avec la loi Schiappa de 2018 [relative aux violences sexuelles sur mineurs, N.D.L.R.] et elle [Brigitte Macron] peut maintenant être accusée jusqu'à ce que Macron ait… 48 ans ! (Il en a 44 depuis le 21 décembre). »

Une vidéo, captée durant une manifestation de Gilets jaunes, mentionne également cette « enquête » menée par Isabelle Ferreira. L'un des participants accuse : « Une personne qui donne rendez-vous pour pouvoir donner des vérités à des journalistes, c'est déjà suspect quand on la retrouve à 400 kilomètres de chez elle alors qu'elle a rendez-vous pour une interview […] et qu'on la retrouve, noyée avec son téléphone à l'hôtel. » Sur Twitter, des publications vont parfois jusqu'à qualifier explicitement l'« assassinat » d'Isabelle Ferreira.

Ladite loi qu'aurait mentionnée la défunte a permis, entre autres, d'allonger les délais de prescription concernant les crimes de nature sexuelle sur mineurs jusqu'à « trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers » et d'introduire la notion d'« abus de vulnérabilité » (loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes). Or, un arrêté de la Cour de cassation, pris le 17 mars 2021, a semé le doute quant au caractère rétroactif du texte.

« Par arrêt de ce jour, et pour la première fois, la Cour de cassation juge que ces nouvelles dispositions présentent un caractère interprétatif et s’appliquent donc immédiatement, même à des faits antérieurs à leur entrée en vigueur », stipule le communiqué de presse lié à cette décision, prise dans le cadre de l'affaire Julie, jeune fille qui affirme avoir été violée par des pompiers entre ses 13 et 15 ans.

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Toutefois, cette rétroactivité ne concerne qu'une petite partie de la loi de 2018, comme l'explique à Marianne Maître Florence Bourg, avocate en droit pénal : « Cet arrêt porte uniquement sur un élément de la loi, qui concerne la notion d’abus de vulnérabilité. L’arrêt en question ne traite absolument pas de nouveaux délais de prescriptions. » L'interprétation du texte par cette sphère conspi' est donc erronnée.

Jean-Michel Trogneux, le retour

Sur les réseaux sociaux, l'affaire Jean-Michel Trogneux refait aussi surface. Pour rappel, dans une série d'articles publiés en septembre dans une revue d'extrême droite, Faits et Documents, spécialisée dans les portraits sensationnalistes de personnalités publiques, une journaliste indépendante se targuant de se tenir hors du sérail des « journalistes officiels » expliquait avoir réuni plusieurs documents et parlé à « de nombreux experts », attestant de la véritable identité de la première dame, née « Jean-Michel Trogneux ». Derrière ce patronyme se trouve en réalité l'un des frères de Brigitte Macron, que l'auteure assure introuvable.

Sur Twitter, un compte assène ainsi : « Les seules questions qui vaillent sont : "Où est Jean-Michel Trogneux ?" [et] "Où sont les photos de Brigitte jeune fille ?". Si les complotistes avaient tort, les photos seraient sorties depuis longtemps. »

Pour le journaliste Thomas Huchon, spécialisé dans les théories du complot et la circulation de l'information sur Internet, l'affaire Ferreira et Jean-Michel Trogneux relèvent du même imaginaire d'extrême droite, inspiré par les sphères QAnon aux États-Unis et aujourd'hui répercuté par « l'extrême droite franco-européenne » : « Il y a une volonté de nuire et de s’attirer le succès pour les gens qui racontent ce genre d’histoires. Derrière tout cela se trouve une idée terrifiante : la vraie identité de Brigitte Macron est celle d’un homme, ce qui serait la preuve de la protection par le gouvernement des élites pédophiles et satanistes. Lesquelles "tiendraient" Emmanuel Macron, dont il a lui-même été victime », explique-t-il à Marianne.

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Quant à savoir si ce genre de réflexe « viriliste, homophobe et misogyne » s'explique particulièrement au sein du mouvement Gilet jaune, Thomas Huchon tempère : « Avec le mouvement Gilet jaune, on voit que la critique vis-à-vis de Macron s'exprime sous une forme de détestation poussant à colporter ce genre d'histoire. Le phénomène n'est pas tant une porosité idéologique ou intellectuelle entre ces courants qu'une communauté de haine. Pour le dire autrement : "les ennemis de mes ennemis sont mes amis". »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne