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Chiites, sunnites, islamistes : comment éviter les confusions après l'agression de Salman Rushdie
Quelles sont les différences fondamentales entre le sunnisme et le chiisme ?
Hussein Malla/AP/SIPA

Chiites, sunnites, islamistes : comment éviter les confusions après l'agression de Salman Rushdie

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Le principal suspect dans l'attaque perpétrée contre l'écrivain Salman Rushdie est un sympathisant de l'extrémisme chiite. Quelles différences entre chiisme et sunnisme, quelle répartition dans le monde et quels liens entre les extrémistes des deux branches et le terrorisme ? On vous éclaire.

Sa réaction a fait réagir. Ce week-end sur Twitter, la députée insoumise Clémentine Autain a subi une volée de critiques au motif qu'elle n'a pas utilisé le terme « islamiste » mais « intégriste chiite » pour qualifier l'agresseur de Salman Rushdie, attaqué au couteau ce vendredi.

Après avoir dénoncé « mauvaise foi et procès », elle a finalement reconnu avoir « commis une erreur que l'on comprend pourtant si on la relit : je parlais évidemment des intégristes chiites, je n'assimile pas chiites et islamistes ». Cette mini-polémique dont Twitter a le secret est l'occasion de poser une question : qu'est-ce qu'un chiite exactement ?

Pourquoi deux grandes branches en islam ?

Voyageons dans le temps. À la mort de Mahomet en 632 se pose le dilemme de sa succession. Une partie des croyants va prendre fait et cause pour Ali, cousin et gendre du prophète désigné comme son héritier. Ils privilégient ainsi les liens du sang et deviendront les chiites. Le terme est dérivé du mot « shi’a », désignant un groupe de partisan.

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La majorité des contemporains de Mahomet va cependant choisir Abou Bakr, l'un des plus fidèles du prophète, privilégiant la tradition et le respect de la parole sacrée plus qu'une dimension dynastique. Ceux-ci sont connus sous le nom de sunnites. En arabe, le terme signifie justement « tradition » ou « conduite de vie ». Il fait aussi référence à la « Sunna », qui dans les hadiths – préceptes oraux de Mahomet rapportés par certains de ses témoins contemporains – recense toutes les paroles, actions, jugements du prophète.

Quelles différences concrètes ?

Chiites et sunnites ont les mêmes croyances fondamentales quant à l'unicité d'Allah, mais diffèrent par leurs pratiques religieuses. Pour les premiers, l'Imam est directement mandaté par Dieu pour les guider. Il est parfait et infaillible. Dans cette branche, la hiérarchie des autorités religieuse est très codifiée. En Iran, ou les chiites sont majoritaires, les ayatollahs (titre réservé aux membres les plus hauts dans le clergé chiite) sont indépendants de l'exécutif. En outre, il y a dans la tradition chiite, une composante messianique primordiale avec l'attente du « mahdi ». Ce dernier, Muhammad al-Mahdi disparu en 939, serait le douzième imam caché. Sa venue rédemptrice est attendue par les chiites.

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À l'inverse, les sunnites considèrent que le pouvoir religieux n'est pas une question de privilège héréditaire mais doit être accordé par les croyants notamment en fonction du savoir ou de qualités intrinsèques de la personne qui sera considérée comme le successeur du prophète, c’est-à-dire le calife. Ce qui ne manquera pas de créer, dans les années suivant la disparition de Mahomet, des tensions au sein même de la oumma naissante (la communauté des croyants). Et 50 ans après la mort du prophète, quatre écoles juridiques divergentes naîtront de cette tradition. En dépit des interprétations différentes des hadiths et du Coran, aboutissant à des impasses en matière de jurisprudence, ces écoles restent unanimes quant aux fondements de la croyance à savoir le Coran et la Sunna.

Quelle répartition dans le monde ?

Majoritaires à la mort du prophète, les sunnites le sont encore aujourd’hui. Environ 85 % des musulmans du monde s'en revendiquent. D'un point de vue géographique, l'immense majorité des pays musulmans sont sunnites à l'instar du Maroc, de la Turquie, de l'Arabie saoudite ou encore de la Malaisie, du Pakistan et de l'Indonésie, plus grand pays musulman au monde.

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Durant des siècles, les chiites n'avaient qu'une importance modérée sur l'échiquier mondial. Le rapport de force évolue le 1er avril 1979 lorsque l'Iran, l'un des rares pays à majorité chiite avec l'Irak, l'Azerbaïdjan et Bahreïn, devient une République islamique. Depuis, le pays s'est fait le porte-voix des minorités chiites à l'étranger – en particulier au Liban – ce qui suscite des tensions et des rivalités avec les leaders sunnites comme l'Arabie saoudite.

Et les islamistes dans tout ça ?

Le terme islamiste désigne les courants politiques souhaitant faire de la loi islamique, telle qu'édictée par Mahomet, la règle ultime pour le fonctionnement de la société. En ce sens, on peut dire que l'Iran comme l'Arabie saoudite, en s'inspirant de ce texte pour leurs lois et leur droit, sont littéralement des pays islamistes. Mais l'appartenance au chiisme ou au sunnisme ne signifie pas, pour le fidèle, que la charia est l'alpha et l'oméga de sa vie.

En ce qui concerne les courants les plus fondamentalistes – salafisme comme wahhabisme qui prônent un retour aux pratiques et valeurs à l'origine de l'islam – ils sont tous deux issus du sunnisme, tous comme les mouvements terroristes, Al-Qaida et Daech en tête. Étant donné que le sunnisme est fondé sur la légitimité accordée par les fidèles, il favorise de fait l'émergence de nouveaux groupes ayant pour objectif d'instaurer un califat comme le souhaite l'État islamique. Ce que ne sont ni l'Arabie saoudite ni l'Iran.

Faut-il en déduire que le chiisme est exempt de radicaux en son sein ? Bien que cette branche ne laisse pas autant de latitude que son frère ennemi sunnite aux pratiques terroristes, le fait est que lors de la guerre civile au Liban, des chiites ont perpétré des attentats qui ne sont pas sans rappeler ceux commis par Daech et Al-Qaida ces dernières années. Ainsi le 23 octobre 1983, l'Organisation du Jihad islamique affilié au Hezbollah, a revendiqué le double attentat suicide qui frappa l'aéroport de Beyrouth et l'ambassade américaine faisant un total de 305 morts. Mais, à la différence des groupes djihadistes, le Hezbollah et ses affiliés ont fait allégeance à l'Iran qui les arme et les finance directement.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne