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"Putain putain"... Le chanteur belge Arno est mort à l’âge de 72 ans
Atteint d’un cancer du pancréas depuis 2019, le chanteur belge Arnold Charles Ernest Hintjens, dit Arno, s’est éteint à l’âge de 72 ans.
Belga via AFP

"Putain putain"... Le chanteur belge Arno est mort à l’âge de 72 ans

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À 72 ans, le chanteur belge Arno s’est éteint après un long combat contre le cancer. Encore en tournée il y a quelques semaines pour « rester en vie », il avait dû annuler sa dernière date prévue à Bruxelles pour raison de santé.

Ostende n’a plus de voix. Atteint d’un cancer du pancréas depuis 2019, le chanteur belge Arnold Charles Ernest Hintjens, dit Arno, s’est éteint à l’âge de 72 ans. C'est son manager qui a annoncé la nouvelle dans un communiqué, repris par la presse belge. Une tournée était prévue tout le mois de février en Belgique, « pour continuer à vivre » disait-il. « Vivre », c'était d'ailleurs le titre de son dernier album, sorti en 2021 et enregistré avec le pianiste Sofiane Pamart. Arno a pourtant été contraint d'annuler son ultime concert, prévu le mardi 15 mars à Bruxelles. « Les gens qui savent que j'ai un cancer se demandent pourquoi je suis sur scène, mais il faut savoir que c'est la scène qui me donne le plus d'énergie », se justifiait-il avant le lancement de cette série de concerts. Une énergie qui n’aura pas suffi.

Succès d’initiés

Né le 21 mai 1949 à Ostende, au nord-ouest de la Belgique, Arno s’était récemment permis de reprendre les mots de Léo Ferré pour chanter les charmes de sa ville et de ses racines. Toujours avec une mélancolie pleine de lumière et de rebonds potentiels, armé de sa voix brisée reconnaissable entre mille : « Oui ça pleuvait. Comme à Ostende et comme partout, quand sur la ville tombe la pluie et qu'on se demande si c'est utile. Et puis surtout si ça vaut le coup, si ça vaut le coup de vivre sa vie ».

Sa vie valait-elle le coup ? Musicalement, en tout cas, elle fut indéniablement riche pour celui que l’on désignait souvent comme une sorte de Jacques Higelin flamand. D’abord membre du groupe TC Matic (ex-TC Band) de 1977 à 1986, référence rock au Benelux, Arno se lance en solo dès la séparation. Il lui faudra cependant attendre le début des années 1990 pour se faire véritablement connaître du public français par sa participation, en collaboration avec le compositeur Philip Glass, à la bande originale du film Merci la vie de Bertrand Blier. Initié au blues par son professeur de néerlandais, Hubert De Cleer, Arno restera toujours fidèle à ses maîtres : Lightnin’Hopkins ou Sonny Boy Williamson II.

En solo, Arno aura publié treize albums originaux entre 1986 et 2019. Si les ventes restent limitées, l'artiste rencontre un petit succès critique auprès d'initiés du genre. Restent des titres superbes plus dégueulés que chantés – en bon écorché qu’il était – mais toujours vécus intensément. Avec insolence et une touche de naïveté enfantine. « L'amour je trouve ça toujours dans les yeux de ma mère », crache-t-il dans ce titre issu de l’album « À la française » sorti en 1995. « Irma a je ne sais quoi que les autres n'ont pas, mais celle-là est DJ au cinéma d'un autre que moi », désespère-t-il dans Lola etc... : drame d’amours déçus, ratés, inexplorés.

Un grand frère

Formidable interprète, Arno s’est aussi largement distingué par ses reprises de classiques de la chanson francophone. Que ce soit en duo (Les paradis perdus, avec Christophe), ou en solo (Les filles du bord de mer de Salvatore Adamo, Voir un ami pleurer de Jacques Brel, ou Elisa de Serge Gainsbourg). Mais aussi de titres en anglais, reprenant notamment sur scène à sa façon des tubes d’Abba ou des Rolling Stones.

Largement disponible et bienveillant envers la nouvelle génération d’artistes francophones, Arno a également enchaîné les collaborations d’un jour pour faire profiter les plus jeunes de sa visibilité. En 2008, par exemple, il s’associe à un Julien Doré débutant, dans le titre De mots (publié dans le premier album du chanteur français, Ersatz) pour chanter « pour les moches, les généreux, les frustrés, les blessés, les coiffeurs, les vierges, les dieux, et les travestis du monde entier ». Trois ans plus tard, en 2011, c’est un de ses compatriotes qui bénéficie de sa bénédiction en la personne de Stromae, qu’il voyait comme un représentant du « surréalisme belge », reprenant ensemble sur scène un des plus fameux titres d’Arno, Putain putain.

Interrogé par Le Parisien en décembre 2021 sur ses rêves de prochaines collaborations, c'est pourtant une icône de la chanson française que le chanteur belge citait, et non une jeune pousse : « Mireille Mathieu ! À cause du putain de Corona, on ne l’a pas encore fait, mais je suis vraiment fan de cette femme. Pour moi, la France, c’est la tour Eiffel et Mireille Mathieu ». Un duo insolite qui n’aura jamais vu le jour.

Le « roi du monde »

Aussi turbulent dans la vie que tourmenté dans ses chansons, Arno se jouait de l’approche de la mort. Dans le même entretien, réalisé quelques mois avant sa disparition, il se montrait espiègle : « Les fleurs sont trop chères, je me suis dit que j’allais attendre pour crever. Je vis au jour le jour. Hier est mort, demain n’existe pas ».

Une vie qu’Arno voyait « jolie » comme une « partouze », comme conté dans l’un de ses titres sorti en 2004 (La vie est une partouze, issue de l'album « French Bazaar »). Ode la plus parfaite à sa façon d’appréhender les événements, entre hédonisme et je-m’en-foutisme : « J'suis bien avec rien, mais mieux avec peu. Tout le monde a le droit d’être con, j’suis le roi du monde. Je bois quand je veux, je paye quand je peux. J'accepte l'hiver, j'aime bien l'été. J’suis le roi du monde ».

Un détachement qui va le suivre jusqu’au bout, en particulier dans sa lutte contre le cancer, comme il l’expliquait dans cette même interview accordée au Parisien : « J’ai eu une vie formidable, je n’ai aucun regret. J’ai eu de la chance, j’ai vu le monde entier, joué partout, au Japon, au Viêtnam, aux États-Unis, dans toute l’Europe. J’ai eu le cul dans le beurre. J’ai des bons copains et copines, des enfants, deux avec une Française, que je vois souvent, un qui vit dans le Sud avec sa copine, que des garçons ».

Insaisissable

Indéfinissable, indomptable, insaisissable… Comment résumer Arno ? Peut-être par sa complexité et son authenticité, et ces paroles, celles de Tatouage du passé, titre sorti en 1999 dans l’album « Le European-Cowboy » : « Il est jeune, il est vieux, son odeur amère et sucrée, son corps doux et musclé, sa langue empoisonnée, il est ni droite, ni gauche, il est ni noir, ni rouge, il n’est ni fort, ni beau. Il est lui-même ».

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Un conteur, un porteur de mots, capable d’enchanter ses pires noirceurs, de les changer en un relativisme provocateur. C’est son message : tout est risible, tout est jeux, rien n’est grave. Pas même la mort.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne