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Féministe, écolo, engagée pour la cause animale... Qui était la peintre Rosa Bonheur ?
De son père saint-simonien, partisan de l’égalité entre les sexes, Rosa Bonheur avait reçu une éducation très progressiste.
MARY EVANS/SIPA

Féministe, écolo, engagée pour la cause animale... Qui était la peintre Rosa Bonheur ?

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Très connue de son vivant grâce au succès de ses peintures animalières, l’artiste est tombée dans l’oubli après sa mort. À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux lui dédie une sublime exposition Rosa Bonheur (1822-1899).

Que connaît-on de Marie-Rosalie Bonheur, alias Rosa Bonheur ? Peu de choses, en dehors de son nom, celui d’une rue, d’une école, d’une buvette… Ou peut-être sa statue plantée dans un Jardin public à Bordeaux, sa ville natale. Pourtant, l’artiste fut en son temps plus célèbre que Monet ou Renoir. L’une des peintres les plus vendues, aussi. Une star qui, avant de le devenir, « avait compris les enjeux du marché de l’art, s’entourant des meilleurs marchands qui négocièrent ses toiles à prix d’or », explique Sophie Barthélémy, directrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux qui lui consacre une émouvante exposition en collaboration avec le musée d’Orsay*.

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De sa prolixe production composée de milliers d’œuvres, le musée n’a choisi de présenter que « le meilleur » : soit 200 peintures, dessins, sculptures… L’histoire de Rosa Bonheur, c’est d’abord celle d’une petite-fille de notables qui héritera de ses parents artistes sa passion pour la peinture. C’est aussi l’histoire d’un traumatisme qui changera le cours de son existence : la disparition de sa mère, morte d’épuisement, devenue couturière pour élever ses quatre enfants après avoir été abandonnée par son mari. La petite Rosa n’a que 11 ans. Pour la venger, elle se promet de devenir riche et de ne jamais se marier, pour ne dépendre d’aucun homme.

Mais ce n’est pas l’icône féministe qui s’emploiera à promouvoir sans militer l’émancipation des femmes que l’on retiendra ici. « Féministe, elle le fut par ses choix de vie, qu’elle mena en femme libre, vivant de son art, achetant un château à Thomery (Seine-et-Marne) où elle constituera une sorte de matrimoine, entourée de sa compagne Nathalie Micas, puis d’Anna Klumpke qui deviendra sa légataire universelle », explique Sophie Barthélémy. De son père saint-simonien, partisan de l’égalité entre les sexes, Rosa Bonheur avait reçu une éducation très progressiste.

Engagement pour la cause animale

Ce qui nous émeut ici, c’est cet engagement pour la cause animale qui ponctue chacune de ses toiles. Une passion qui a surgi, bien avant son affiliation à la SPA créée en 1845, dès son enfance dans l’Entre-deux-Mers, sur les rives de la Garonne. Désertant les bancs de l’école, elle préférait déjà courir les champs avec les petits paysans. Mais devant son chevalet, la petite a du talent et il faut l’encourager, estime le père qui lui lance le défi de dépasser Madame Vigée-Lebrun. « Deviendrais-je célèbre en peignant des animaux ? », s’interroge la fillette de 12 ans. Elle fera mieux, redonnant ses lettres de noblesse au genre animalier, considéré comme mineur et réservé jusqu’ici aux hommes.

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À 23 ans, elle décroche sa première médaille au Salon de Paris pour son Labourage. Elle connaissait mieux que personne les différentes races bovines qu’elle avait observées, étudiées, avant de les immortaliser dans des tableaux, devenus de précieuses sources documentaires pour les vétérinaires. « Elle se rendait jusque dans les abattoirs pour témoigner de la souffrance animale », détaille Sophie Barthélémy. Dans Le Labourage nivernais, qui lui vaudra une médaille d’or au Salon de 1848, on aperçoit des attelages de bœufs, exténués, les babines baveuses, le pelage enduit de gouttelettes. Dans Le marché aux chevaux, « son grand chef-d’œuvre », comme elle dit, qui l’imposera sur le marché anglais, ils se rebellent, fougueux. « Elle s’était donné pour mission de leur rendre leur dignité », souligne la commissaire.

Il faut les voir dans ses immenses formats, surgir devant nous, plus réels que jamais. Ici, un cerf majestueux, Roi de la forêt. Là, un couple de lions avec ses lionceaux. Pour elle, ils sont aussi dignes d’intérêt que les hommes et comme eux, ils possèdent une âme qu’il faut révéler. « Refusant toute hiérarchie entre les espèces, elle s’affranchira de l’anthropocentrisme », explique la commissaire. Pas de sentimentalisme sous son pinceau, elle les montre dans leur individualité, leur singularité, attentive à l’expression de leur regard. « L’œil n’est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes ? », se répète-t-elle, tentant de sonder leur psychologie. « Si Rosa Bonheur semble si actuelle, c’est parce que ses réflexions sur le vivant et l’environnement entrent en résonance avec nos préoccupations », reconnaît Sophie Barthélémy. Rosa Bonheur, une écologiste avant l’heure.

Rosa Bonheur (1822-1899), au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, jusqu’au 18 septembre 2022. Puis, du 18 octobre 2022 au 15 janvier 2023, au musée d’Orsay, à Paris.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne