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Ce dimanche 2 avril à Paris, disons "stop" aux trottinettes électriques mais surtout à leurs utilisateurs.
Ce dimanche 2 avril à Paris, disons "stop" aux trottinettes électriques mais surtout à leurs utilisateurs.
Arnaud Paillard / Hans Lucas / via AFP

Ce dimanche, boutons les trottinettes électriques (et ceux qui s'en servent) hors de Paris

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La mairie de la capitale organise ce 2 avril un référendum local pour proposer aux habitants d'interdire les trottinettes en libre-service. L'occasion parfaite d'affirmer son civisme en expulsant les marchands de la Ville Lumière, mais surtout d'infliger un revers à l'insupportable clientèle de ces engins.

En France, on n'aime pas les référendums. Comme les Gaulois réfractaires ont pris pour habitude de contrarier leurs desseins (1969 , 2005 ), les élites politiques ne prennent plus le risque de leur demander leur avis sur des sujets trop importants : il est probable qu'Emmanuel Macron considère l'idée de soumettre sa réforme des retraites au vote populaire comme une dangereuse absurdité populiste. Mais ce dimanche 2 avril, à Paris, se tient un référendum . Alors oui, l'enjeu est pour le moins limité : les habitants de la capitale ne se prononceront pas sur l'avenir du système social français ou les institutions à donner au pays, mais choisiront d'interdire ou non les trottinettes électriques en libre-service dans la Ville Lumière. Et comme les occasions de donner son avis sont si rares, je m'en saisirai en me rendant aux urnes. Pas de secret de l'isoloir ici : je voterai pour bannir de Paris ces engins diaboliques.

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Je ne me livrerai pas ici à une fastidieuse énumération des arguments contre ces patinettes pour adultes ubérisés. Elles émettent six fois plus de CO2 par km que le métro , la sacro-sainte cause climatique n'est donc ici pas pertinente. Leurs teintes bariolées encombrent et enlaidissent les rues de Paris. Elles causent de nombreux accidents (plus de 400 l'année dernière), dont les conducteurs sont responsables trois fois sur quatre. Tout cela est juste et bon, mais je n'aurai pas le cynisme de prétendre que ces facteurs rationnels sont à l'origine de ma mobilisation. La vérité est que je ne voterai pas ce dimanche contre les trottinettes électriques, mais contre ceux qui s'en servent. Disons-le tout net : je souhaite par mon suffrage exprimer mon hostilité la plus nette à une frange bien particulière de la population.

Les Parisiens, et plus globalement les urbains, savent instinctivement de qui je parle. Jeune cadre dynamique propret, AirPod aux oreilles, sortant tout juste d'un conf call organisé par sa start-up de marketing écoresponsable, en route vers le café franchisé le plus proche pour y déguster un macchiato au lait de soja. Le mélange pitoyable du capitalisme néolibéral le plus décomplexé et du pseudo-progressisme urbain le plus mièvre. L'opulence sans l'élégance. La modernité sans la civilisation. Bref, l'horreur. Ils ne sont pas Paris, et Paris n'est pas à eux.

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Pour sauvegarder leur business, les opérateurs de trottinettes électriques (Lime, Dott, Tier) ont mis les grands moyens : ils paient des « influenceurs » pour réaliser des vidéos de propagande , et multiplient les e-mails pour mobiliser leur clientèle. L'on pourrait, ce dimanche 2 avril, assister aux urnes à la rencontre improbable entre la clientèle d'homo festivus bêlants qui utilisent les machines – les jouisseurs – et la foule de néo-esclaves précarisés qui travaille chaque jour à les maintenir en bon état de marche – les juicers .

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Leurs buts sont divers (continuer à faire du profit, éviter de prendre le métro avec les gueux, conserver leur gagne-pain), le résultat sera le même s'ils l'emportent : nouvelle victoire du libéralisme triomphant, et poursuite du phénomène d'uniformisation des grandes villes, toutes flanquées des mêmes commerces, des mêmes bâtiments… des mêmes trottinettes ? Je propose aux Parisiens de prendre les seigneurs de l'individualisme à leur propre jeu : la marque Lime a offert dix minutes de ride gratuites aux utilisateurs prouvant leur inscription sur les listes électorales de la ville, afin qu'ils participent au référendum par pur utilitarisme. Profitons donc de l'offre, et rendons-nous une dernière fois aux urnes en trottinette, pour les bouter hors de la capitale !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne