Accueil

Société Agriculture et ruralité
"Le Ceta est bon pour l'agriculture" : on a démonté les arguments simplistes du gouvernement
Après le refus du Sénat de ratifier le CETA, Emmanuel Macron continue à défendre cet accord commercial.
2024 Anadolu

"Le Ceta est bon pour l'agriculture" : on a démonté les arguments simplistes du gouvernement

Décryptage

Par

Publié le

Selon Emmanuel Macron, le Ceta, traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne (UE), serait un « très bon accord » pour l'agriculture française parce que les exportations de vins et de fromages vers le Canada ont augmenté depuis 2017. Or, rien ne dit que ce sera toujours le cas à l'avenir. Et cela passe sous silence des pressions exercées par Ottawa sur des décisions démocratiques françaises et européennes.

« Le Ceta est un bon accord pour les agriculteurs ». Voilà ce que répètent, en cœur, les macronistes pour défendre mordicus le traité de libre-échange, passé entre l'Union européenne (UE) et le Canada. Celui-ci est entré en vigueur de manière provisoire en 2017 et « les chiffres démontrent son succès considérable », confirme la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le succès serait tel qu'Emmanuel Macron et le gouvernement seraient prêts à snober le Parlement français si l'Assemblée venait à rejeter le texte, comme l'a déjà fait le Sénat.

A LIRE AUSSI : CETA : pourquoi un refus du Sénat ne suffira pas à bloquer l'application de l'accord

Mais qu'en est-il vraiment ? À première vue, les résultats semblent effectivement positifs pour certaines filières. « En matière agricole, on observe une augmentation du commerce plus forte du côté de l'Union européenne que du Canada. Les principaux bénéficiaires sont les secteurs des vins, des spiritueux, des produits laitiers et des fromages », explique Charlotte Emlinger, économiste au CEPII (Centre de prospectives et d'informations internationales), interrogée par Marianne.

De bons chiffres pour le vin et le fromage

Dans une note publiée au début du mois, la Direction générale du Trésor relève en effet que les exportations du secteur agroalimentaire français ont augmenté de 30 % depuis le début de l'application provisoire du Ceta. En ce qui concerne les vins et spiritueux, premiers produits envoyés au Canada, l'augmentation a été de 24 % et de 60 % pour les fromages. Il faut noter ici que le Canada s'est engagé à reconnaître certaines indications géographiques protégées (IGP), ce qui a pu aider l'export de certains fromages français.

A LIRE AUSSI : Traité CETA : les sénateurs votent contre, sans garantie que l'examen du texte aille jusqu'au bout

Pour autant, il ne faudrait pas surestimer l'importance du Canada et de ses 40 millions d'habitants pour l'agriculture française. Le pays à la feuille d'érable reste un « petit marché ». Ainsi, il ne représente qu'environ 3 % du total des exportations du secteur des vins et des spiritueux français, lequel n'est d'ailleurs pas le plus mal loti du secteur agroalimentaire hexagonal.

Inquiétudes sur le bœuf

De plus, le relatif succès de l'export du vin et du fromage était assez prévisible. En matière agricole, la logique du Ceta pouvait en effet se résumer par « vins et lait français contre viande rouge canadienne ». En 2017, au moment de l'entrée en vigueur provisoire, les inquiétudes se concentraient autour des producteurs de viande, en particulier de bœuf, l'un des secteurs les plus en difficulté de «la ferme France».

A LIRE AUSSI : "Le Ceta pourrait être appliqué" malgré le rejet du Sénat : quand Valérie Hayer snobe ouvertement le Parlement

En 2019, le CEPII redoutait pour cette filière une « perte de valeur ajoutée significative (-4,8 %) », pouvant entraîner « une baisse modérée de la rémunération du foncier agricole ainsi que du travail ». En clair, l'augmentation des importations de bœuf canadien pouvait faire baisser le salaire des éleveurs français. Pour limiter les risques, le Ceta prévoyait donc des quotas maximums d'importation.

Difficile de prédire l'avenir

À ce jour, le pire ne s'est pas produit. « Pour le moment, le Canada n'utilise que 3 % de ses quotas pour la viande bovine », explique Charlotte Emlinger. « L'Union européenne interdit le bœuf aux hormones [qui constitue le gros de la production canadienne]. Leurs producteurs n'ont pour l'instant pas jugé utile de développer une filière sans hormones pour exporter vers l'Europe », poursuit l'économiste. En clair, il est plus rentable aujourd'hui pour les Canadiens d'exporter leur bœuf aux hormones vers les États-Unis ou l'Asie que de s'adapter au marché européen.

A LIRE AUSSI : Au service des multinationales : ce "tribunal" anti-démocratique qu'instaurerait la ratification du CETA

Mais attention, rien ne dit que cela ne changera pas demain. Si leurs marchés à l'export venaient à se tarir en Asie ou aux États-Unis, les Canadiens pourraient regarder l'Europe avec un autre œil. Les équilibres peuvent changer. Une filière gagnante aujourd'hui peut être perdante demain. Les accords de libre-échange risquent d'ouvrir les vannes sans pouvoir les refermer ensuite.

Pressions discrètes

Et ce n'est pas tout. Le Ceta a aussi des incidences plus subtiles. « Le Canada fait pression sur l'UE afin de contrer le renforcement des réglementations dans le domaine agricole », relève ainsi l'institut Veblen, critique de ce type d'accords, dans un rapport publié en janvier dernier. L'institut cite notamment des pressions exercées devant l'OMC (Organisation mondiale du commerce) par le Canada contre « l’interdiction d’importer des produits agricoles contenant des traces de deux néonicotinoïdes dont l’usage est prohibé dans l’UE ».

A LIRE AUSSI : Votre député a-t-il voté pour le Ceta ?

Il s'agit pour le Canada de défendre ses intérêts commerciaux en faisant discrètement pression sur les décisions démocratiques adoptées en Europe. « Le Canada cherche à dissuader l’UE de durcir sa réglementation concernant les pesticides et le glyphosate en particulier. À la demande de Monsanto, les autorités européennes avaient même accepté en 2012 de multiplier par cent la limite maximale de résidus pour le glyphosate dans les lentilles pour faciliter les importations nord-américaines en Europe », poursuit l'institut Veblen.

A LIRE AUSSI : Ceta : celui qui a osé dire non !

Au fond, la concurrence induite par la libéralisation des échanges fait donc pression sur la démocratie tout en entretenant une menace sur le revenu des agriculteurs. Et, comme nous l'avons vu lors des manifestations en début d'année, cette crainte de la concurrence déloyale peut conduire à freiner la transition écologique. Le débat est donc bien plus large que ce que laisse entendre le gouvernement.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne