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Gérald Darmanin a écrit aux policiers après l'éviction du directeur de la police judiciaire de Marseille, Éric Arella.
Gérald Darmanin a écrit aux policiers après l'éviction du directeur de la police judiciaire de Marseille, Éric Arella.
PHILIPPE DESMAZES / AFP

Réforme de la police judiciaire : régression ou gain d'efficacité ?

Entretien croisé

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Que penser de la réforme des services de police, voulue par Gérald Darmanin et fortement contestée en interne ? L'ancien « PJiste » Jean-Michel Fauvergue et le porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police Matthieu Valet en débattent dans « Marianne ».

Tempête à la PJ. L'éviction brutale vendredi 7 septembre du directeur de la police judiciaire de Marseille, Éric Arella, a provoqué la grogne des syndicats et associations de police, déjà sur les dents depuis plusieurs mois. Ce limogeage s'inscrit dans un contexte contestataire alors que Beauvau souhaite réorganiser les services de police départementaux – renseignement, sécurité publique, police aux frontières et police judiciaire – et les placer sous l'autorité d’un unique directeur départemental de la police national (Ddpn). Dans les colonnes de Marianne, l’ancien policier judiciaire et ex-député LREM Jean-Michel Fauvergue et le porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police Matthieu Valet expriment leur point de vue opposé sur cette refonte à travers un entretien croisé.

Marianne : Pourquoi une telle fronde des forces de l'ordre face à un projet annoncé dès 2020 ?

Matthieu Valet : Le problème tient au calendrier. L’idée était de changer toute l’organisation de la police dès janvier 2023, même si, dans sa lettre aux policiers [dont certains extraits ont été publiés dans Le Parisien le 9 octobre, N.D.L.R.], Gérald Darmanin dit maintenant que ce projet sera finalisé au deuxième semestre 2023. Il nous faut du temps : ce projet nécessite de changer 100 000 arrêtés, les structures et l’organisation des effectifs. Ce qui implique aussi de changer, par exemple, les policiers de lieu de travail. Le tout en continuant d’assurer le service public.

La genèse de ce projet remonte à l’époque du Livre blanc de la sécurité intérieure , voulu par Castaner [en 2019], sauf que ça a été fait à la hussarde en six mois et, en plus, il y a eu un changement de ministère de tutelle entre-temps. C’est le Beauvau de la sécurité qui l’a remis sur le tapis. Il a alors été décidé que ce projet serait testé dans les Outre-mer, où la police ne fait pas face aux mêmes délinquances qu’en métropole. En Guyane, par exemple, les premiers problèmes sont l’immigration irrégulière et le trafic de drogue.

« Il n’y a pas de passage en force de la part du gouvernement mais il y a la volonté d’aller vite, trop vite. »

Il n’y a pas assez de discussions suffisamment longues entre le ministère et les syndicats. Il nous faut prendre le temps du dialogue social, améliorer et amender le projet afin qu’il corresponde aux réalités du terrain et conserve ce qui fonctionne bien. Il n’y a pas de passage en force de la part du gouvernement mais il y a la volonté d’aller vite, trop vite. C’est pourquoi nous, les organisations syndicales, demandons un moratoire. On peut toujours s’améliorer mais il nous faut un calendrier tenable.

Jean-Michel Fauvergue : Je ne comprends pas qu’on puisse dire que le gouvernement n’a pas, ou pas assez, consulté. Il y a eu un Livre blanc de la sécurité qui a été rendu avant le Covid, a été élaboré pendant 6 mois. Il y a eu un Beauvau de la sécurité qui a duré un an. Il y a eu des consultations – ça fait maintenant presque deux ans qu’on consulte sur cette affaire-là. Pourquoi déclenche-t-on la réforme maintenant ? Mais parce qu’elle a été annoncée, parce qu’elle a été expérimentée dans un certain nombre de départements notamment en Outre-mer, ou dans les Pyrénées-Orientales. Elle semble donner de bons résultats.

Cette réforme est déclenchée maintenant car dans la loi d’orientation, qui va annoncer 15 milliards d’euros supplémentaires pour la police ces cinq prochaines années, il y a tout un nombre de réformes qui vont être faites, en particulier de réformes de structures pour mettre la police à niveau. C’est la contrepartie de l’argent public touché, qui doit avoir un impact sur la sécurité des Français.

La critique la plus virulente porte sur la « départementalisation » de la police judiciaire, la « baisse de compétences » ou la crainte d’un « nivellement par le bas » de la police judiciaire. Comment peut-on espérer lutter contre une criminalité aujourd’hui de plus en plus souvent transnationale avec une police judiciaire organisée à l’échelon départemental ?

Matthieu Valet : Au début, beaucoup de policiers ne pensaient pas que ce projet bouleverserait toute l’organisation et le fonctionnement qu’ils connaissaient. Au fur et à mesure, quand on nous a décliné le projet, on a compris qu’il y aurait départementalisation de la PJ, ce qui a suscité beaucoup de questionnements, notamment sur la géographie choisie.

Cette échelle départementale n’est pas du tout adaptée à la criminalité des voyous d’aujourd’hui qui font fi des frontières administratives. Pour prendre l’exemple de Marseille, les criminels liés aux règlements de compte dans la ville sont souvent interpellés par la PJ dans le Vaucluse, le Var ou d’autres départements. Choisir le département pour traiter des trafics de stupéfiants, d’armes ou de la traite humaine serait comme revenir 20 ans en arrière. Ce n’est pas un choix cohérent pour la criminalité d’aujourd’hui. Ce projet est un Big Bang de l’institution judiciaire.

Certes, dire qu’il faut mieux se coordonner et fluidifier nos échanges, c’est une bonne idée en soi. Sauf que, tel que le projet est composé, il y a beaucoup d’interrogations sur lesquelles on n'a pas de réponses, comme les critères géographiques mais aussi sur la façon dont sera organisée la direction sur chaque spécialité. Quand on aura une enquête de police, qui sera le chef ? Qui va diriger les services ? De quelle manière la répartition du travail va se faire ?

Jean-Michel Fauvergue : L’idée de la départementalisation, c'est d'avoir un même chef par département, un policier, et qui coordonne l’action et les énergies des services. Aujourd'hui, si un meurtre est commis par le voisin de palier, un meurtre de proximité, ce meurtre sera confié à la sécurité publique. Dans un commissariat qui a des dizaines de dossiers déjà. Il va être traité de la manière la plus rapide possible… là où les erreurs de procédure ne pardonnent pas. Il faut rappeler qu'un meurtre, c’est un meurtre, par un voisin de palier ou un truand du grand banditisme. Et rappeler que la police judiciaire a des moyens et des effectifs pour aller plus loin dans l’enquête.

Vous avez eu plusieurs expérimentations de cette réorganisation, notamment dans l’Oise, où le chef de la police judiciaire a récupéré sous son aile tous les effectifs que la sécurité publique déployait sur la police judiciaire. Pour autant, sur les grands crimes, les grands délits et les grosses enquêtes, la police judiciaire va garder ses offices centraux, ses brigades criminelles, ses brigades pour les mineurs… C’est déloyal de dire que tout ça va disparaître, ce n’est pas la vérité.

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Quant aux craintes de nivellement par le bas, ou de « baisse de compétence », c’est une vision de magistrat qui est très partielle… Je trouve que les magistrats enquêteurs et instructeurs sont assez gonflés quand on voit les résultats de leur enquête. Les magistrats instructeurs sont saisis pour 8 % des affaires judiciaires, ils n’ont à rendre compte que de 8 % des affaires. Leur critique est emblématique de ceux qui ne connaissent pas le travail sur les petites enquêtes, soit des milliers d’affaires.

D’autres s'inquiètent pour l’indépendance de la police, puisque le directeur départemental de la police judiciaire sera placé sous l’autorité du préfet…

Jean-Michel Fauvergue : Vous entendez beaucoup cet argument parce que les chefs de la police judiciaire et les effectifs font feu de tout bois. Ils s’allient aujourd’hui avec des magistrats pour essayer de contrer cette réforme. Mais à chaque fois qu’on a parlé de rattacher la police judiciaire au ministère de la Justice, la police judiciaire est montée au créneau.

« Il n’y a aucun moment où le pouvoir administratif nous donne des instructions sur le judiciaire. »

La fidélité de la police judiciaire doit aller à la police nationale, c’est elle qui lui donne les moyens et le temps d’enquêter et c’est surtout les collègues qui sont en commissariat qui les nourrissent de renseignement et d’un certain nombre d’affaires intéressantes pour eux.

Mais sur le fond : les enquêtes judiciaires qu’elles soient faites par la police judiciaire, la sécurité publique, la police aux frontières, par les gendarmes, par les douaniers, par la DGSI sur le terrorisme, elles sont faites toujours sous l’autorité d’un procureur ou d’un juge d’instruction. Il n’y a aucun moment et je peux le garantir de mon expérience à la police judiciaire, il n’y a aucun moment où le pouvoir administratif nous donne des instructions sur le judiciaire.

Matthieu Valet : Ce projet veut monter les policiers les uns contre les autres en faisant croire qu’il y a des premiers de cordée, des privilégiés. Bien sûr, les enquêteurs de la PJ prennent plus de temps dans leurs investigations puisque le but est de démanteler des gros réseaux. Si on ne traite pas la tête du trafic et seulement les petites mains, ça équivaut à donner des coups d’épée dans l’eau.

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C’est pourquoi la PJ a des peurs et des craintes, mais l’indépendance de la justice n’est pas un sujet. Aujourd’hui, les magistrats ont le choix de prendre le service de police qu’ils veulent pour enquêter. Ils ont un large éventail de choix. Ce n’est pas un luxe mais un moyen de traiter l’affaire en fonction de son degré d’intensité. Si on parle de cambriolages en série, ce n’est pas la même chose que de traiter de meurtres en série. Demain, avec cette refonte de l’organisation, le choix sera toutefois plus restreint.

Que penser de la déclaration du directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux – fervent partisan de la réforme –, qui assure dans Le Parisien que « la PJ ne va pas disparaître » ?

Jean-Michel Fauvergue : C'est l’évidence ! Frédéric Veaux était sous directeur de la police judiciaire, il sait de quoi il parle. Le mouvement d’humeur de certains de la PJ les pousse à lui ôter ses compétences, acquises au cours de sa carrière, c’est-à-dire d’une vie dans la Police judiciaire. Je trouve ça déloyal.

Matthieu Valet : Dans l’état actuel des choses, tel que projet nous est présenté, nous ne croyons pas ce qu’on nous dit mais ce que nous voyons. Le gouvernement doit nous donner toutes les garanties que la PJ ne sera pas supprimée.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne