Accueil

Monde Europe
Attaque au couteau en Allemagne : pourquoi médias et politiques préfèrent rester prudents
On en sait un peu plus sur l’homme de 24 ans qui a tué trois femmes de 39, 52 et 73 ans et blessé cinq autres personnes.
© dpa Picture-Alliance via AFP

Attaque au couteau en Allemagne : pourquoi médias et politiques préfèrent rester prudents

Mobile flou

Par Gwenaëlle Deboutte , à Berlin

Publié le

Quatre jours après l’attaque de Wurtzbourg qui a fait trois morts et cinq blessés, le choc est encore vif en Allemagne. Malgré la violence du drame, il n'est pas certain qu'il pèse sur la campagne électorale qui a lieu actuellement, avant le scrutin législatif de septembre.

Comme après chaque attentat, les mêmes questions reviennent : quelles étaient les motivations de l’assaillant ? Était-ce un mobile islamiste ? L’attaque au couteau qui s’est déroulée vendredi 25 juin vers 17 heures dans un grand magasin de Wurtzbourg, en Bavière, ne fait pas exception. Alors que l’enquête est toujours en cours, on en sait un peu plus sur l’homme de 24 ans qui a tué trois femmes de 39, 52 et 73 ans et blessé cinq autres personnes.

Selon un témoignage rapporté par le ministre bavarois de l'Intérieur, Joachim Herrmann, l'agresseur, qui vivait dans un centre d'hébergement pour sans domicile fixe, a crié « Allah Akbar » en perpétrant l'attaque. Ce mardi 29 juin, les autorités publiques semblent privilégier la piste djihadiste. « L'Office central bavarois pour l'extrémisme et le terrorisme a pris en charge l'enquête car un motif islamiste est probable », ont déclaré dans un communiqué conjoint le parquet du Land de Bavière et le service régional de police criminelle.

A LIRE AUSSI : Attaque au couteau en Allemagne : "une possible radicalisation vers l'islamisme"

Arrivé de Mogadiscio en Somalie en 2015, au moment où près d’un million de réfugiés étaient accueillis en Allemagne, l’assaillant, qui dispose d'un titre de séjour, a eu à deux reprises des démêlés avec la justice qui avait ordonné son internement provisoire en hôpital psychiatrique. Lors du dernier incident en juin, il était sorti de l'établissement au bout de 24 heures, comme le précise Wolfgang Gründler, procureur de Bamberg.

Le terrorisme, une préoccupation secondaire

Une information qui n’a pas manqué de faire réagir le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui a cherché à instrumentaliser l’événement pour gagner des électeurs. « Combien de victimes supplémentaires la politique d'asile actuelle devrait-elle coûter ? Combien de souffrances les Allemands veulent-ils endurer ? Je dis : assez ! », a rapidement tweeté Alice Weidel, la présidente du groupe parlementaire AfD au Bundestag. L’AfD a également vu dans cette attaque « une nouvelle preuve de l’échec de la politique migratoire d’(Angela) Merkel ».

Le possible successeur d’Angela Merkel à la chancellerie, le nouveau chef de la CDU Armin Laschet a quant à lui, fait part de son « grand respect » à l’égard « des courageux citoyens qui sont rapidement intervenus » pour stopper l’agresseur. La candidate des Verts, Annalena Baerbock, a également envoyé « un grand merci » aux équipes de secours qui se sont interposés.

A LIRE AUSSI : Attentat en Autriche : « Le sentiment anti-musulman risque de se renforcer parmi la population »

Il est cependant peu probable qu’à deux mois des élections législatives de septembre, l’événement puisse changer le cours de la campagne électorale. Ainsi, selon un sondage publié le 25 juin par l’Institut Forschungsgruppe Wahlen pour le compte de la chaîne de télévision ZDF, la gestion de la crise du coronavirus arrive en tête des préoccupations pour 45 % des interrogés, suivie par les questions sociales et environnementales (34 %), toutes deux loin devant la politique migratoire et la sécurité (10 %).

« Bien sûr, il y a toujours un moment de choc après ces attaques mais les partis tentent de rester rationnels, souligne Frank Baasner, directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Il ne faut pas non plus oublier que dans l’imaginaire collectif en Allemagne, le terrorisme n’est pas automatiquement associé à l’islamisme. La nature de la menace est beaucoup plus hétérogène. »

Augmentation des attentats

Reste que ces cinq dernières années, le pays a été secoué par de nombreux attentats, dont le plus meurtrier aura été celui du marché de Noël de Berlin le décembre 2016, qui a fait 12 morts et 62 blessés. Tout dernièrement, en octobre 2020, un Syrien de 20 ans s’en est également pris à un couple d’homosexuels, tuant l’un d’eux d’un coup de couteau. Depuis 2009, les autorités allemandes ont également déjoué plus de 17 tentatives d’attentats islamistes, dont la majorité depuis l’attaque de 2016, selon le ministère de l’Intérieur.

D'autres attaques meurtrières perpétrées ces dernières années ont également été le fait de la sphère néonazie, comme lors de l’attaque de la synagogue de Halle opérée par un extrémiste de droite qui avait tué deux personnes au cours d’une attaque antisémite en octobre 2019 ou l’attaque raciste de Hanau en février 2020 lors de laquelle un tireur a abattu neuf personnes d’origine étrangère dans deux bars à chicha. « De fait, sans tomber dans les généralités, la focalisation et la sensibilité des Allemands pour les attaques islamiques restent donc différentes de celle d’autres pays, comme en France », poursuit Frank Baasner.

Cologne, le tournant

Une tendance que l'on retrouve dans la presse. Si certains tabloïds comme Bild, le journal le plus lu d’Allemagne, ne manquent pas de tomber dans le sensationnalisme, la plupart des médias restent factuels sinon discrets. Pendant longtemps, il n’était pas d’usage par exemple de donner les précisions sur le nom ou l'origine ethnique de l'assaillant.

« Le tournant sur cette question a été les événements de la Saint-Sylvestre de Cologne 2015-2016, pendant laquelle une vague d'agressions sexuelles collectives et de vols a été commise et qui ont ravivé la discussion sur la désignation de l'origine, soulignent Tobias Singelnstein et Christian Walburg dans une étude publiée par le centre d’analyse des médias Integration. Dans certains cas, les médias ont même été accusés de cacher ou de minimiser délibérément les crimes commis par les immigrés et les réfugiés, pour les protéger… »

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne