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Politiquement incorreX : la domination masculine, un fantasme à l'épreuve de MeToo
La soumission féminine, un fantasme à oublier ?
AFP

Politiquement incorreX : la domination masculine, un fantasme à l'épreuve de MeToo

Série d'été

Par Soisic Belin

Publié le

Politiquement incorreX, épisode 1. Cette semaine, « Marianne » explore les fantasmes et les pratiques sexuelles taboues, face aux préoccupations féministes mais aussi… face aux préjugés toujours en cours. Premier volet : dominateurs et soumises, un registre passé de mode ?

Soumise et fière de l’être. « Enmarchenoire » n’est pas un parti politique créé par des dissidents macronistes anarchistes, mais le nom du compte Instagram d’un trio de jeunes décomplexés Hélène, Canan et Quentin qui comptabilise 106 000 abonnés. « Notre idée n’est pas de militer pour une sexualité plus perverse, mais de donner à voir un autre modèle et de permettre à celles qui souhaitent tenter l’expérience de décomplexer et de se lancer sans honte. »

Sur les photos publiées par ce compte, les deux femmes Hélène et Canan, vingtenaires, alternent entre selfies dénudés, poses aguicheuses, mimiques boudeuses. Mais surtout elles véhiculent sciemment une image : celle de femmes soumises. Dans le rôle du dominateur, du maître, Quentin apparaît tout-puissant. Canan et Hélène sont ses esclaves sexuelles qui lui doivent obéissance et jouissent de cette relation hiérarchique faite d’abnégation, de frustration et d’humiliation.

Autant dire que ce type de relation paraît à l’opposé des combats féministes en cours, qui luttent notamment contre l’image de la femme objet. Le trio serait-il réactionnaire ? « À ceux qui disent que nous ne sommes pas féministes, j’aimerais leur répondre que l’on s’en fout, répondent-ils. La liberté de la femme réside dans le droit de faire ses propres choix. Si celui-ci consiste à être soumis, alors cela fait d’elle une femme qui s’assume, une féministe. ».

« Domination sexiste masculine »

Des propos que pourrait valider sans peine, l’animatrice radio, éditrice et ancienne actrice de film X, Brigitte Lahaie, qui a longtemps observé le milieu BDSM : « Chez toute femme, il y a un désir de soumission. Un des fantasmes les plus récurrents chez les femmes est le fantasme du viol. » Un propos qui peut choquer mais qui s’appuie sur des observations, elles-mêmes déjà analysées par diverses chroniqueuses féministes comme Maïa Mazaurette. Celle-ci avait écrit un article à ce sujet sur le site Madmoizelle en 2011 : « Ce qui se passe dans notre tête nous appartient. Si vous vous masturbez en pensant à des petits chats morts, tant que vous ne passez pas à l’acte, personne ne peut vous le reprocher, ça fait partie de votre absolue liberté de penser. Il n’y a pas de crime sans victime. Alors ensuite, évidemment, on peut avoir l’impression de trahir les femmes vraiment violées, de trahir les femmes en général. Sauf que je le répète, vous ne faites de mal à personne, donc vous priver d’une richesse fantasmatique revient juste à vous tirer une balle dans le pied. »

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En 2018, dans un billet de blog, la journaliste Mira Pons, sans juger des fantasmes des uns et des autres, considérait cependant qu’il s’agissait là du « symptôme que les femmes, ou certaines femmes, ont hélas intégré très profondément – jusque dans leurs fantasmes, leur intériorité, leur intimité, leur sexualité – la domination sexiste masculine ». Et trois ans plus tôt, en 2015, des associations féministes avaient appelé à boycotter l’adaptation ciné du best-seller 50 nuances de Grey, jugeant qu’il promouvait des méthodes « d'abus, de violence (préparant) une jeune femme à des rapports sexuels sadiques ».

À ce stade, rappeler la distinction entre la soumission passive de la femme vis-à-vis de son époux et cette autre soumission propre à une excitation sexuelle, donc consentie, va sans dire… mais ça va mieux en le disant.

Pratique modernisée

Pratique en vogue dans le milieu BDSM (bondage, domination, soumission et sadomasochisme), l’attrait pour la soumission serait en progression chez les plus jeunes. Un sondage mené par la boutique Démonia Paris, spécialisée dans la vente de produits fétiches en mars 2021, assure que les 18-34 ans représentent aujourd’hui 47 % des acheteurs du site Démonia contre 42 % en 2017. Il faut dire que l’esthétisme lié à la pratique se propage sur les réseaux sociaux, chez des influenceuses qui ne pratiquent d’ailleurs pas forcément le BDSM, mais qui donnent à voir certains codes vestimentaires (cuir, latex, talons aiguilles, dentelles…) et certaines postures.

Made with Flourish

Sacha Bel-Ami, maître dominant, est témoin de cette évolution : « Ce n’est pas l’image du BDSM qui évolue, mais la manière de le pratiquer. Il y a deux formes de domination dans le milieu aujourd’hui : l’une que je qualifierais à l’ancienne et l’autre, moderne. Dans la première catégorie, des dominants pensent encore que leur légitimité provient de leur genre masculin et cela crée une certaine confusion entre la domination ludique sexuelle et la domination systémique et sociale. Le mouvement MeToo a permis de visibiliser cette distinction et cela est d’autant plus important que les pratiques BDSM attirent de nouveaux adeptes. »

Aurore Malet-Karas, sexologue et neuroscientifique, reste prudente sur l’essor de la pratique mais livre quelques pistes : « Est-ce que l’attirance des plus jeunes pour le BDSM est liée à une recrudescence d’un puritanisme sociétal ? Peut-être. Est-ce une réponse viscérale à une société qui va de plus en plus vers un contrôle de l’individu, comme une échappatoire ? On peut l’envisager. » Une chose est sûre : la pratique est finalement plus politique qu’elle n’y paraît.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne