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"Tout finit par revenir en boucle: la faute des juifs, la haine des juifs..."
"Tout finit par revenir en boucle: la faute des juifs, la haine des juifs..."
FADEL SENNA / AFP

Pierre Lellouche : "Face à la guerre à Gaza, l'Europe a montré son insignifiance et son incohérence"

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Depuis le 7 octobre et le début du conflit entre le Hamas et l'État hébreu, l'Europe se montre peu convaincante, peu cohérente, et étale d’incessantes querelles d’egos ou de territoires bureaucratiques, argumente, dans une tribune, l'ancien secrétaire d'État au Commerce extérieur, Pierre Lellouche.

Brutalement confrontée au choc de la guerre à Gaza, l’Europe, une nouvelle fois, vient de confirmer non seulement son insignifiance géopolitique, mais plus inquiétant encore, la perte de ses repères moraux, ainsi que la vacuité de ses fameuses « valeurs ». L'insignifiance d’abord. Le Traité de Lisbonne, on s’en souvient, avait cherché à partir de 2009 à répondre à la fameuse question pleine d’ironie d'Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Cela, en créant un cadre institutionnel nouveau : un président permanent du Conseil européen, représentant les États (aujourd’hui, Charles Michel), et un Service d’action extérieure, placé sous la direction d’un vice-président de la Commission censé s’imposer comme le « ministre des Affaires étrangères » de l’Europe, Josep Borrell. Ces deux personnages cohabitent avec la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen. Le moins qu’on puisse dire est que ce triumvirat s’avère peu convaincant, émaillé de détestations personnelles, d’incessantes querelles d’egos ou de territoires bureaucratiques, offrant, en pleine guerre, l’image déplorable de chicayas permanentes.

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Ainsi, Ursula von der Leyen, qui, dès le 22 février 2022 s’était autoproclamée chef de guerre en Ukraine sans disposer pourtant de la moindre prérogative dans ce domaine, s’est, dès le lendemain de l’attaque du 7 octobre, propulsée à Jérusalem , sans prévenir ni consulter quiconque, pour apporter son soutien total à Israël et proclamer « son droit de se défendre ». Sauf que la présidente de la Commission n’avait pas non plus compétence pour s’exprimer au nom des Vingt-Sept, et, aggravant son cas, n’a pas eu un mot pour les Palestiniens bombardés... Ce qui lui a été immédiatement reproché à Bruxelles, comme dans plusieurs capitales européennes.

Confusion partout, pertinence nulle part

Pour ajouter à la confusion, le Commissaire en charge de l’élargissement et de la politique de voisinage, Olivér Várhelyi, s'est permis, là encore sans consulter quiconque, d’annoncer le gel immédiat de l’aide européenne aux Palestiniens (300 millions d’euros par an), avant d’être désavoué, lui aussi, par ses petits camarades. L’annulation s'est transformée en suspension, puis en réexamen, puis en annonces d’une aide humanitaire d’urgence... Aux circonvolutions bureaucratiques bruxelloises, se sont rapidement ajoutées les différences d’intérêt apparues entre les principales capitales européennes à mesure de l’évolution du conflit et de la riposte israélienne.

Entre le défilé des chefs de gouvernements qui ont voulu se rendre immédiatement à Tel-Aviv – sans coordination aucune, bien sûr – (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne...), ceux qui préférèrent rester chez eux, sans oublier la visite plus tardive d’Emmanuel Macron. Ce dernier en a profité, là encore sans consulter personne (à commencer par le Quai d’Orsay !), pour proposer l’élargissement de la coalition internationale anti-Daesh à la lutte contre le Hamas... (une proposition qui a été poliment ignorée en Europe, aux États-Unis et dans le monde arabe), avant de récidiver avec une proposition de « couloir humanitaire maritime » à partir de Chypre...

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On a retrouvé naturellement ces différences lors du sommet des Vingt-Sept de la semaine dernière consacrée à Gaza, au cours de laquelle aucune position commune n'a pu être adoptée, et le lendemain vendredi à New York, lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale sur la « trêve humanitaire », dont le texte ne mentionnait ni le mot « Hamas », ni le mot « otage ». Raison pour laquelle le Royaume-Uni comme l’Allemagne ont refusé de s’y associer, tandis que la France, elle, décidait de la voter, cherchant d’abord à éviter une importation du conflit en France même.

Importation inévitable

« L’importation » justement est le second révélateur de cette guerre. Car « la rue arabe » est désormais aussi une rue européenne, mobilisée en défense des Palestiniens. Au-delà des très nombreuses manifestations partout en Europe, parfois massives comme à Londres, de leur interdiction imposée ici ou là, comme à Paris ou à Berlin, la guerre provoque des clivages politiques nouveaux, à gauche surtout, où la cause palestinienne et la dénonciation de « l’État colonial israélien » deviennent désormais un marqueur politique clé... non dénué bien entendu de calculs électoralistes.

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Dans ce débat passionné, voire passionnel, des élus musulmans démissionnent du Parti travailliste en Angleterre, dénonçant une nouvelle direction (celle de Keir Starmer) comme pro-sioniste, par opposition à la précédente, celle de Jeremy Corbyn, ouvertement antisémite , tandis que Jean-Luc Mélenchon et ses acolytes de La France insoumise (LFI) s’illustrent en France par leurs attaques contre Israël et ses soutiens en France, à commencer par la présidente de l’Assemblée nationale...

De surcroît, la religion se substitue- à la politique (d’où les « Allahu Akbar » scandés place de la République à Paris ), tandis que le pogrom de masse du 7 octobre, la décapitation de bébés ou de vieillards, sont considérés comme des actes de « résistance » parfaitement légitimes. Ainsi la haine antisémite du Hamas, inscrite dans sa propre charte, son terrorisme islamiste revendiqué tout comme son objectif de détruire Israël pour le remplacer par un Émirat islamique du « fleuve à la mer », sont non seulement acceptés chez nous, mais soutenus ! De cette confusion ressurgit bien entendu un antisémitisme massifié par les réseaux sociaux, et qui ne se cache même plus sous le paravent de l’antisionisme. Tout finit par revenir en boucle : la faute des juifs, la haine des juifs... Un résultat tragique, pour la cause palestinienne elle-même, bien sûr, mais d’abord pour l’Europe qui s’est construite précisément pour enterrer définitivement ce passé-là...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne