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Marine Le Pen : les secrets de sa danse avec Emmanuel Macron
Marine Le Pen et ses troupes parachèvent la "dédiabolisation" du RN.
Jacques Witt / Sipa

Marine Le Pen : les secrets de sa danse avec Emmanuel Macron

Duel ?

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Rendez-vous, coups de fil, attitude de bonne élève… L’ex-candidate RN joue la coopération avec Emmanuel Macron et ses troupes. Mais, loin de s’acoquiner, comme le dénonce la gauche, Marine Le Pen veut surtout apparaître comme la seule issue possible. Peut-être même avant 2027.

Thierry Solère est un homme utile. En tout cas à l’Élysée, où l’ancien député Les Républicains met la main (et même les deux) aux manœuvres politiques en tout genre. Il joue depuis longtemps le rôle d’agent recruteur auprès de ses anciens petits camarades de droite titillés par la tentation de rejoindre Emmanuel Macron. Mais, on le sait moins, l’affable Solère est aussi le canal privilégié du président pour discuter avec Marine Le Pen.

Ces dernières semaines, l’ex-candidate du Rassemblement national l’a souvent appelé, de préférence par le truchement d’applications de messagerie cryptée. Il fallait d’abord organiser un rendez-vous à l’Élysée après le second tour des législatives, quand Macron a consulté l’ensemble des forces politiques. Ce qui a donné quelques sueurs froides au secrétariat du chef de l’État, qui a dû se procurer en catastrophe le numéro de portable de Le Pen : celle-ci n’a quasi plus de collaborateurs pour tenir son agenda, puisque la plupart ont été élus députés ! Quelques jours plus tard, Marine Le Pen a répondu à l’invitation d’Élisabeth Borne – qu’elle a trouvée parfaitement insignifiante lors de leur entrevue à Matignon.

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Mais le moment où elle est restée le plus pendue à son téléphone, ce fut lors de ces journées de tractations pour obtenir des postes clés à l’Assemblée nationale. Marine Le Pen en attendait beaucoup : des places stratégiques et respectables, signe que son parti n’est définitivement plus au ban de la République. Même si le résultat n’a pas satisfait toutes ses espérances.

Le déroulé des manœuvres raconte concrètement ses efforts pour parachever la « dédiabolisation ». Mardi 28 juin, lors de l’élection du président de l’Assemblée, le candidat RN se retire dès le deuxième tour pour faciliter l’élection de la macroniste Yaël Braun-Pivet, un geste remarqué. Mercredi matin, la conférence des présidents de l’Assemblée, qui rassemble tous les groupes, se réunit pour trouver un accord sur la répartition des postes. Marine Le Pen, flanquée de son collaborateur Renaud Labaye, un ancien saint-cyrien chargé de gérer le nouveau groupe RN, renonce à briguer un poste de questeur, auquel ses troupes pouvaient prétendre. Elle préfère réclamer deux vice-présidences, fonctions moins luxueuses mais plus visibles sur la scène parlementaire. Les écologistes dénoncent l’accord à la dernière minute, mais, lors du scrutin, les députés macronistes jouent le jeu en votant pour deux vice-présidents RN, dont Sébastien Chenu, principal interlocuteur de la Macronie dans les couloirs du Palais-Bourbon.

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Grisé par cette preuve de reconnaissance, le RN espérait avoir suffisamment montré patte blanche pour compléter sa pêche le lendemain, en décrochant la présidence de la prestigieuse commission des Finances, qui doit revenir à un député d’opposition. Mais, cette fois, c’est la douche froide. Le coup de main espéré des LR ne viendra jamais, la majorité s’abstient, conformément à l’usage, et c’est l’Insoumis Éric Coquerel qui l’emporte en bénéficiant de l’union de la gauche. Jean-Philippe Tanguy, candidat RN malheureux au poste, en garde un souvenir amer : « Certains ont crié à l’accord entre nous et les Marcheurs, ça me fait rigoler… On a eu deux pauvres vice-présidences, aucun poste de secrétaire, et pas de commission des Finances. »

Cela n’a pas empêché les députés lepénistes de continuer à surjouer la sobriété. Pendant le discours de politique générale d’Élisabeth Borne, pas un cri n’a émané de leurs rangs. Ils étaient comme sous Lexomil, alors que, sur les bancs d’en face, certains de leurs collègues insoumis ne se faisaient pas prier pour vociférer. Et leur attitude dans les discussions s’annonce à l’avenant. Marine Le Pen a ainsi souhaité que le projet de loi du gouvernement sur le pouvoir d’achat soit voté. Les ­macronistes, eux, ont vite vu le piège. « LFI sera plus fatigante au quotidien, mais, sur le long terme, l’attitude du RN va nous poser plus de difficulté, reconnaît une cadre du groupe Renaissance. Leur objectif est de pouvoir dire que, si les textes passent, c’est grâce à eux. C’est d’une grande habileté politique. »

Pièges en cours

D’autant que la Macronie est divisée sur la ligne à tenir face au RN. L’aile gauche, terrorisée à l’idée de se compromettre, s’accroche au « cordon sanitaire ». « Il faut qu’on évite d’avoir une majorité grâce à eux » s’alarme un ministre venu du PS. Mais l’aile droite, renforcée sous ce second quinquennat, tient une position plus pragmatique. « Il faut normer un corpus clair face au RN plaide un conseiller d’Emmanuel Macron. On entend depuis quarante ans qu’ils ne sont pas républicains, alors qu’ils jouent le jeu des institutions et font près de 42 % au second tour de la présidentielle. Ça n’a aucun sens de recevoir Marine Le Pen à l’Élysée tout en disant qu’elle n’est pas républicaine. En revanche, on peut dire que ce n’est pas un parti de gouvernement. » C’est d’ailleurs la formulation reprise par le président, qui a exclu à la fois le RN et LFI des négociations à venir sur les textes. « Macron refuse de discuter, mais il est en train de se coincer tout seul. C’est nous qui avons la main » rétorque un proche de Marine Le Pen qui détaille les pièges en cours de confection : « Concrètement, si nous proposons un amendement sur le pouvoir d’achat, soit ils le votent, et c’est nous qui en tirerons le bénéfice, soit ils le refusent, et ils en porteront la responsabilité… »

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Tout cela n’est qu’un jeu de rôle. Marine Le Pen ne cherche évidemment pas à amadouer Emmanuel Macron mais à imprimer un message : la seule solution de substitution crédible, c’est elle. Histoire de préparer le coup d’après, en espérant même ne pas attendre la présidentielle de 2027. « L’attitude du RN rend la situation plus commode pour faire passer des textes observe un ministre, mais on voit très bien qu’ils se préparent à une situation dans laquelle les Français revoteraient bientôt. » Le Pen s’attend, tôt ou tard, à une dissolution de l’Assemblée. Une conclusion qu’elle a tirée notamment de son entretien avec Emmanuel Macron, juste après les législatives. « Il a décidé de ne rien changer » a-t-elle lâché à son entourage en sortant de l’Élysée. L’un de ses conseillers prévient : « On va mettre tout notre appareil en campagne permanente. Il y aura une dissolution, parce que Macron est un psychorigide. Si c’était Edgar Faure en face, on aurait pu négocier. Mais ils n’ont rien compris à ce qui s’est passé. On a changé de régime, mais eux n’ont pas changé de logiciel. » Le bouleversement ferait presque oublier à quel point Marine Le Pen revient de loin. Auprès de ses interlocuteurs, quelques jours avant les législatives, elle pariait prudemment sur l’élection de 25 députés. C’était il y a très longtemps.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne