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"Trois opérations anti-rodéos par jour" ? Darmanin, roi de la craque-life
Gérald Darmanin : des craques contre les bikes.
PHOTOPQR/LA PROVENCE/MAXPPP

"Trois opérations anti-rodéos par jour" ? Darmanin, roi de la craque-life

Surenchère

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Le ministre de l'Intérieur a annoncé avoir demandé que chacun des 596 commissariats de l'Hexagone mène « au moins trois opérations anti-rodéos » par jour. Pure démagogie ?

Y’en a un peu plus, je vous l’mets quand même ? Une, deux, ou trois opérations anti-rodéos urbains par jour dans chaque commissariat de l’hexagone, que son secteur soit concerné ou non : tant que l’effet d’annonce est là, Gérald Darmanin ne va pas ergoter. Alors que l’attention médiatique se porte sur ces virées constituant à la fois une nuisance pour les riverains et un danger pour les pékins ayant le malheur de vouloir circuler sur la voie publique, le ministre de l’Intérieur claironne son volontarisme sur Twitter ce mardi 16 août : « J’ai donné instruction d’intensifier encore notre action. Dès demain, chaque commissariat mènera au moins 3 opérations anti-rodéos par jour. Je ferai tout pour protéger les honnêtes gens contre ces délinquants. » Pure démagogie ?

Un rapide calcul donne un début de réponse : trois opérations par jour dans les 596 commissariats français (sans les gendarmeries donc), cela revient à 54 000 opérations par mois, et un peu plus de 650 000 par an pour les seuls rodéos urbains, pour un parc de deux roues motorisés comptant 2,9 millions de véhicules en 2019 et un effectif de la police nationale environnant les 150 000 agents, tous services confondus. Autant dire qu'il semble difficile que les policiers, déjà en surrégime, s'acquittent de l'ensemble de ces missions.

Sans nier la réalité du phénomène des rodéos, rappelons que ceux-ci ne représentent « que » 26 000 faits constatés par les forces de l’ordre pour l’année 2021, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur. À titre de comparaison, le dernier bilan de Beauvau (août 2022) recensant les faits constatés sur les trois derniers mois recense 168 857 vols sans violence contre des personnes, 55 890 cambriolages ou encore 34 468 vols de véhicules.

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Christian Mouhana, chercheur au CNRS et au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales, est plus que sceptique concernant les annonces du ministre : « C’est de la politique du chiffre, comme on l’a eu pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. C’est tonitruant, mais ça ne change rien. Il s’agit de réagir pour réagir. » Accusation que tentait de récuser Gérald Darmanin au micro de BFMTV ce mercredi : « Ce n’est pas une politique du chiffre, c’est l’activité des services de police et de gendarmerie. Quand on est présent dans un quartier, dans un moment plus difficile où le règne des voyous essaie de l’emporter sur le règne de la loi républicaine, il faut savoir sortir du commissariat, sortir de la gendarmerie, sortir de son ministère comme je le fais aujourd’hui, et être sur le terrain pour rassurer les Français. »

Le chercheur n’est pas convaincu pour autant : « Un jour c’est la drogue, le lendemain les violences faites aux femmes, le surlendemain les rodéos. On empile des priorités les unes après les autres, en utilisant mal la police pour faire des coups. La preuve de l’inefficacité de cette politique, c’est que le phénomène prend de l’ampleur alors que la répression se renforce. Il ne s’agit pas du tout d’opposer sanction et accompagnement, continue Christian Mouhana. Il faut réprimer, mais aussi proposer des alternatives. On peut faire autant de contrôles qu’on veut, on ne traite pas le problème à la racine. »

Carole

Côté répression, la loi du 3 août 2018 a déjà nettement durci les sanctions à l’encontre des auteurs de rodéos urbains : un an d’emprisonnement et une amende allant de 15 000 euros à 75 000 euros dans le cas de faits commis sous l'emprise de stupéfiants ou en groupe. Reste à trouver une perspective. « Par le passé, nous avons créé le circuit Carole, à Tremblay-en-France, pour les motards qui faisaient des courses sauvages sur les parkings des halles », souligne par exemple Christian Mouhana. Ces « rodéos » avaient fait 18 morts entre 1974 et 1977.

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En septembre 2021, les députés Natalia Pouzyreff (La République en marche) et Robin Reda (à l’époque membre des Républicains) présentaient à l’Assemblée nationale un rapport d’information consacré à l’évaluation des effets de la loi de 2018. « Les rodéos motorisés ne constituent pas un délit comme un autre : ils sont un fait social qui nécessite, outre une politique pénale adaptée, la mobilisation de moyens de prévention efficaces et le développement de solutions novatrices pour mieux prévenir ces pratiques ou, lorsqu’elles ont lieu, pour en réduire l’ampleur », écrivaient les élus.

Lesquels citaient en exemple la commune de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, dont un dispositif subventionné par la collectivité et l’État « a permis à une soixantaine de jeunes de profiter d’une session d’une heure et demie de pratique du deux-roues dans un cadre sécurisé ». « Madame Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, a d’ores et déjà observé que certains jeunes habitués des rodéos n’en commettent plus sur le territoire de la commune », soulignait le rapport.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne