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Le cinéaste et acteur canadien Xavier Dolan lors de la cérémonie de l'an dernier (2022).
Le cinéaste et acteur canadien Xavier Dolan lors de la cérémonie de l'an dernier (2022).
AFP

Pas de femme nommée dans la catégorie "meilleure réalisation" aux César : où est le scandale ?

Une polémique par semaine

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Depuis 2018 fleurissent discours d’intentions et engagements en faveur d’une meilleure visibilité des femmes au cinéma – et notamment dans les cérémonies de remises de prix comme les César. Sauf que dans les faits…

C'est la polémique des derniers jours (une de plus) à propos des César, dont la 48e cérémonie se tiendra le 24 février : l’absence de femmes parmi les nominés dans la catégorie « meilleure réalisation ». Le choix final s’opérera entre les réalisateurs Albert Serra (Pacifiction – Tourment sur les îles), Cédric Klapisch (En corps), Louis Garrel (L’innocent) et Dominique Moll (La Nuit du 12). Des hommes et rien que des hommes. Mazette !

Le collectif 50/50, créé en 2018, et à l’initiative d’une charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma, a immédiatement publié un communiqué de protestation. Et d’expliquer que les femmes représentaient 14 % des nominés dans cette même catégorie de la « meilleure réalisation » en 2021, et 43 % des nominés en 2022. Traduction : pour le collectif, les membres de l’Académie des César auraient dû prendre en compte cette réalité statistique et faire en sorte de poursuivre, en 2023, la courbe ascendante de cette belle « inclusion » constatée les années passées. Un vœu pieux… à moins de contraindre les votes ?

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Il semble essentiel de le rappeler : aujourd’hui, les 4 705 membres de l’Académie des César – des professionnels des métiers du cinéma, hommes et femmes – qui choisissent les finalistes pour chaque prix expriment leur choix personnel par le truchement d’un vote à bulletin secret sous contrôle d’huissier. Ils et elles font donc ce qu’ils et elles veulent. En conscience. Et après avoir visionné un très grand nombre de films, généralement sans se poser la question de savoir si c’est un homme ou une femme qui le réalisait. Le seul sujet étant : est-ce que ce film mérite de figurer dans la liste des « cinq meilleures réalisations de l’année ? »

Nouveaux impératifs moraux

Les modalités de ce vote sont donc semblables à celles qui ont cours aux Oscars, lesquels essuient actuellement une polémique comparable. La 95e édition aura lieu à Los Angeles lundi 13 mars, et la liste des nommés a été révélée la semaine dernière. Or, là aussi, pas une seule femme dans la sélection, qui compte Martin McDonagh pour Les Banshees d’Inisherin, Daniel Kwan et Daniel Scheinert pour Everything everywhere all at once, Todd Field pour Tár, Ruben Östlund pour Sans filtre et Steven Spielberg pour The Fabelmans. Outre-Atlantique, le mécontentement suscité par cette annonce a pris la forme d’un hashtag #OscarSoMale [« Oscar si masculins »] – lequel fait écho au #OscarSoWhite [« Oscar si blancs »] qui avait inondé le réseau social Twitter en 2016. Rappelons que les nominations pour les Oscars résultent du vote de près de 8 500 professionnels du cinéma américain.

Dans le même temps, les festivals de films (petits comme grands) sont de plus en plus nombreux à communiquer et à s’engager sur la question de l’égalité femmes-hommes, prônant toujours plus de parité. Mais patatras : lorsque vient le moment du vote dans une cérémonie de remises de prix, les bonnes intentions s’écrasent contre le mur du réel, et des votes de jurys qui n’entendent pas se faire dicter leurs choix. Ce qui a pour conséquence, comme ces derniers jours avec les César et les Oscars, de souligner ironiquement l’écart entre les nouveaux impératifs moraux et la liberté d’appréciation de celles et ceux qui ont à formuler un vote pour une cérémonie. Un casse-tête insoluble ?

Prix non genrés

La direction de la Berlinale, le festival du film de Berlin, a quant à elle fait le choix, depuis 2021, de décerner des prix d’interprétation non-genrés, afin de « ne plus séparer les prix en fonction du sexe des acteurs […], un signal pour une prise de conscience plus équitable des genres dans l’industrie du cinéma » … Mais difficile d’y voir autre chose qu’une fausse bonne idée, dans la mesure où, de fait, cette non-binarité affichée permet de nommer autant d’hommes (ou de femmes) que l’on veut… Un même tournant « à vocation paritaire » avait été pris par la Mostra de Venise où, dès 2018, une lettre ouverte signée par de nombreuses associations européennes et internationales avait dénoncé l’absence de visibilité des réalisatrices de longs métrages. Cette année-là, sur 21 films sélectionnés, un seul avait été réalisé par une femme : Nightingale, de l’Australienne Jennifer Kent.

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Deux ans plus tard, en 2020, la Mostra faisait figure de « bon élève » de la parité, avec 44 % de réalisatrices sur les films présentés en compétition. Pure opération de « féminisme washing » ? Dès l’année suivante, seulement six films sur 21 étaient réalisés par des femmes – puis en 2022, seulement 6 sur 23… Finalement, c’est bien une femme, Laura Poitras, qui a reçu le Lion d’Or 2022, Alice Diop recevant le Lion d’Argent-Grand Prix du Jury tandis que le Lion d’Argent du meilleur réalisateur était attribué à Luca Guadagnino. Deux femmes et un homme : comme s’il fallait faire pencher la balance, cette fois en faveur des femmes ?

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Ni le scrupuleux décompte des femmes ni l’hypocrite effacement des genres ne concourront à établir des palmarès plus paritaires dans l’industrie du cinéma… sinon aux dépens de la qualité des sélections. Ce à quoi ces dispositifs quelque peu hasardeux pourraient en revanche très bien œuvrer, si l’on n’y est pas un minimum attentif, c’est à une guerre des sexes généralisée qui, pour le coup, n’aura rien de bon pour personne.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne