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"Emmerder les non-vaccinés" : un président peut donc désormais dire ça…
On serait tenté d’ironiser, de se dire qu’Emmanuel Macron retombe dans ses vieux travers, après nous avoir fait au mois de décembre, dans un entretien façon « Une ambition intime », son ènième mea culpa à propos de ces phrases péremptoires qui avaient pu « blesser », ce qu’il comprenait désormais…
Hannah Assouline

"Emmerder les non-vaccinés" : un président peut donc désormais dire ça…

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Voilà ce qu’aura fait de nous cette épidémie. Le président de la République peut affirmer que sa politique a pour objet d’« emmerder » une partie de la population. Mais ne nous y trompons pas. Si Emmanuel Macron, à trois mois de l’élection présidentielle, fait ce genre de déclaration, c’est parce qu’il sait que ce sera payant.

On en est donc là. Un président de la République peut expliquer crânement que « les non vaccinés, [il a] très envie de les emmerder » et qu’il compte continuer de « le faire jusqu’au bout ». Oh, bien sûr, c’est pour la bonne cause. C’est parce qu’ils encombrent l’hôpital et qu’à cause d’eux, des malades du cancer voient leurs opérations reportées. Il y a donc bien une catégorie de Français qui sont responsables des maux des autres et qu’on va réduire à coups de mise au ban.

On serait tenté d’ironiser, de se dire qu’Emmanuel Macron retombe dans ses vieux travers, après nous avoir fait au mois de décembre, dans un entretien façon « Une ambition intime », son ènième mea culpa à propos de ces phrases péremptoires qui avaient pu « blesser », ce qu’il comprenait désormais… Ne nous y trompons pas. Si Emmanuel Macron, à trois mois de l’élection présidentielle, fait ce genre de déclaration, c’est parce qu’il sait que ce sera payant. Que son électorat – et, plus largement, une majorité de Français – adhère à cette idée que tout irait mieux si les quelques cinglés persuadés que Big Pharma veut nous empoisonner pouvaient rentrer dans le rang, et si les esprits chagrins qui s’inquiètent de la réduction des libertés oubliaient ces vieilles lunes.

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Voilà ce qu’aura fait de nous cette épidémie. Le président de la République peut affirmer que sa politique a pour objet d’« emmerder » une partie de la population. Parce que si l’on décide qu’il est autorisé de manger assis mais pas debout dans les bistrots, ou qu’il faut porter un masque dans une rue solitaire, c’est de leur faute. Parce que la circulation de l’épidémie vient de ces gens qui devaient, pour entrer dans les lieux publics, faire un test prouvant qu’ils n’étaient pas contaminés et pas de ceux qui, vaccinés, n’ont pas besoin de faire de test et peuvent donc être porteurs sans le savoir.

Conséquences à long terme

La question est essentielle : pourquoi ceux qui sont à juste titre horrifiés par le spectacle du sectarisme et de la haine de la part de ces antivax manifestant devant le Parlement et crachant à des journalistes leurs insultes et leur bêtise ne sont-ils pas ébranlés de voir des gens comme il faut se demander doctement sur les plateaux de télévision s’il ne serait pas légitime de faire payer leurs soins à ces non-vaccinés qui, après tout, n’ont qu’à « assumer » ? Mieux, il s’agirait pour les plus hardis de considérer, allons-y carrément, qu’on pourrait commencer à trier les malades au moment de les soigner, en fonction de ce seul critère. L’universalisme de la Sécurité sociale, adopté depuis trois quarts de siècle ? Aux orties ! Le serment d’Hippocrate, deux mille quatre cents ans ? Aux oubliettes !

Rien n’est simple dans cette crise. Il n’y a pas de réponse évidente, pas de certitude qui tienne. Nul ne peut prétendre qu’il aurait forcément mieux fait que ceux qui sont actuellement aux manettes. Mais le rôle du politique est justement de prendre en compte cette incertitude nouvelle et de permettre à la collectivité de traverser ces turbulences en ayant pour cap quelques principes fondamentaux. Les grands bouleversements de l’histoire sont de cet ordre. Ils fracturent, ils fragilisent, ils réveillent les haines. Et les grands hommes sont ceux qui, par-delà les tragédies, par-delà les souffrances individuelles, entraînent leurs concitoyens vers le chemin qui sauvegardera leur dignité, c’est-à-dire leur fidélité à une certaine idée de la liberté, de la responsabilité et du respect d’autrui.

« Une fois encore, la question de ce qui nous rassemble, de notre destin commun et des conditions de notre liberté ne sera pas posée. Mais on aura "emmerdé" les méchants, débusqué les tièdes ou les indulgents et communié dans la certitude que tout cela se fait au nom du bien. »

De même qu’au moment de la crise des « gilets jaunes », la violence des manifestants trouvait en face d’elle un mépris de classe et une hargne qui ne s’expliquait que par la peur d’avoir vu le système trembler, de même, les délires d’un noyau d’antivax sert de catalyseur dans une société qui n’admet pas qu’il faille désormais compter avec l’incertitude, le risque et la peur de la mort. Et non, il ne suffit pas de s’arroger le monopole de la raison face à des abrutis irrationnels. Car un minimum de recul nous oblige à constater que le traitement de cette épidémie a, depuis le début, réveillé toutes les formes d’irrationalité et de dogmatisme. Les médias en offrent chaque jour le spectacle, avec pour principal moteur le conformisme, puisqu’il s’agit avant tout de donner des gages à ses pairs de son appartenance au cercle de la raison et du progrès.

On ne sait plus sur quel ton le dire : tout cela laissera des traces. Nous voyons sous nos yeux la communauté politique se déchirer, nous voyons un nombre croissant de gens considérer qu’un État tutélaire les déchargeant de toute forme de participation à la décision est finalement plus rassurant, nous en voyons d’autres faire sécession avec toujours plus de violence. Ce sont les conditions même de la démocratie qui sont en train de s’effacer. Et pendant ce temps, des commentateurs déplorent que la campagne présidentielle soit phagocytée par cette épidémie, tout en la dramatisant à souhait à coups de chiffres de contaminations spectaculaires et d’hyperboles choisies – vague, tsunami, déferlante… Une fois encore, la question de ce qui nous rassemble, de notre destin commun et des conditions de notre liberté ne sera pas posée. Mais on aura « emmerdé » les méchants, débusqué les tièdes ou les indulgents et communié dans la certitude que tout cela se fait au nom du bien.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne