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Pap Ndiay, le ministre de l'éducation nationale
Pap Ndiay, le ministre de l'éducation nationale
Photo by Ludovic MARIN / AFP

Mixité scolaire : la Seine-Saint-Denis propose d’intégrer son département dans l’académie de Paris

Décoiffant

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Lors d’une réunion avec Pap Ndiaye sur la mixité sociale et scolaire, le président du département de la Seine-Saint-Denis a proposé de fusionner son territoire avec celui de l'académie de Paris. L'objectif des élus socialistes : favoriser la diversité sociale en rendant leurs établissements attractifs. Irréaliste ?

Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a qualifié la proposition de « décoiffante » mi-mars. Le vice-président socialiste du conseil départemental de Seine-Saint-Denis venait de lui proposer ni plus ni moins que d'intégrer son département dans l'académie de Paris. « Ce serait un signal fort alors que Pap Ndiaye compte annoncer prochainement un plan sur la mixité sociale et scolaire . Une telle proposition pourrait réancrer le gouvernement dans son aile gauche. Je défends l’idée que la mixité c’est bon pour tout le monde » s’enthousiasme Emmanuel Constant à la tête du département le plus pauvre de France.

Après tout, quoi de plus logique : la Seine-Saint-Denis est déjà liée à Paris par certains projets comme le déploiement du futur métro Grand Paris Express et l’organisation des Jeux olympiques de 2024. « Le ministre n’a pas rejeté l’idée même si ce serait sans doute un peu compliqué à organiser mais ce n'est qu'une question de volonté politique », euphémise-t-il. Alarmé par la publication récente des IPS (indices de positionnement social) par la rue de Grenelle, il insiste : Malgré tous les plans successifs sur le sujet, d’Allègre à Blanquer en passant par Vallaud-Belkacem, « rien n’a été efficace : il y a de moins en moins de mixité sociale dans nos établissements ».

Éviter que les plus aisés inscrivent leurs enfants à Paris

Une fusion pourrait « rendre la Seine-Saint-Denis plus attractive pour les familles et les enseignants. Et enrayer la chute démographique de la capitale », note-t-il. Du donnant-donnant en quelque sorte. N’est-il pas illogique de « construire sept à huit collèges en Seine-Saint-Denis comme nous le faisons car nous sommes en pleine expansion démographique alors que ceux de Paris ferment des classes ? De très nombreux collégiens de Seine-Saint-Denis ne sont qu’à 20 ou 30 minutes de Paris en RER ou en métro. Il ne faut compter 25 minutes de La Courneuve au collège Montaigne dans le centre de Paris ou encore 20 minutes entre Noisy-le-Grand et le lycée et collège Voltaire, Place de la Nation. » L'idée est aussi d'éviter les stratégies des familles de Seine-Saint-Denis, notamment les commerçants, cadres ou professions libérales travaillant dans la capitale, qui se tournent vers le privé parisien pour éviter leur enseignement public de proximité qu’ils jugent dégradé.

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Soit. Mais ne craint-il pas de voir ses meilleurs élèves du public partir à Paris ? « Ce que nous proposons ce ne serait pas du open bar, ce serait très fin et très cadré. Notamment pour que le temps de transport entre le domicile et le collège soit réaliste d’un côté comme de l’autre pour les collégiens et leurs parents », dit-il sans apporter beaucoup de précisions sur ce projet. Le temps de transports reste par ailleurs un problème crucial pour de jeunes collégiens auquel il n'apporte pas vraiment de solution : Les familles les plus pauvres préfèrent assez systématiquement conserver leurs enfants à côté de la maison, reconnaît-il.

Comment convaincre, à l'inverse, des Parisiens de venir en Seine-Saint-Denis, eux qui se battent pour inscrire leurs enfants dans les établissements les plus élitistes, jonglant aussi avec le privé très présent à Paris ? Des parents qui n’hésitent pas à faire des recours devant le rectorat lorsque l’enfant chéri n’est admis que dans un établissement de niveau « moyen plus ». « Je ne crois pas du tout à cette proposition. Qui a envie de se prendre de plein fouet, politiquement, le mécontentement des parents, des enseignants, etc. ? Personne. C'est un peu simpliste, par ailleurs, de percevoir Paris comme un pays de cocagne éducatif. Une partie de nos établissements publics sont en réalité très défavorisés », fait observer une inspectrice parisienne

Il suffit « d’organiser l’attractivité » rétorque l’élu socialiste

Pour faire envie, il suffit « d’organiser l’attractivité » rétorque l’élu socialiste. Le lycée international de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) n’a aucune difficulté, lui, à attirer des élèves de toute la région et passe son temps à refuser des dossiers. Pourquoi ne pas implanter des sections linguistiques internationales dans les 40 collèges fuis par les familles de Seine-Saint-Denis par exemple ? Pap Ndiaye a promis qu'il n'en ouvrirait désormais que dans les quartiers déshérités. La Seine-Saint-Denis le prend au mot. On en compte 50 à Paris, seulement 15 dans le département : « C’est complètement déséquilibré ! Il faut en fermer à Paris, et en ouvrir à Créteil » lance Emmanuel Constant. Selon l'élu, fusionner avec l'académie de Paris permettrait aussi d'attirer davantage les professeurs, l’organisation actuelle étant caricaturale : Paris compte une majorité d'enseignants âgés en fin de carrière qui n'en bougent pas quand la Seine-Saint-Denis accueille une majorité de débutants qui n'ont pas franchement choisi cette affectation. Et qui cherchent, souvent, à en partir pour revenir dans leur région d'origine.

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Rue de Grenelle, on se contente de dire, sans grande surprise, que « l’idée ne fait pas consensus ». Pap Ndiaye a reçu les représentants du département avec pour objectif « de créer un élan d’attractivité ainsi qu’un ensemble de leviers pour assurer rapidement plus de mixité dans les établissements de Seine-Saint-Denis ». « Le ministre a mis de nombreuses propositions sur la table », dont la création d’un observatoire de la mixité ou des mesures pour renforcer l’attractivité des collèges de Seine-Saint-Denis, poursuit-on. « Mais à ce stade les conditions ne sont pas encore réunies pour la signature d’une convention. Les discussions vont se poursuivre, car les objectifs sont les mêmes ». En revanche, la proposition d’intégrer les services de l’Éducation nationale de Seine-Saint-Denis à l’académie de Paris « relève d’un processus administratif lourd et lent, qui nécessite un consensus qui n’existe pas à ce stade, et qui ne peut être un préalable à des mesures conséquentes et opérationnelles rapidement ». Une fin de non-recevoir polie mais relativement ferme.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne