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Lana Del Rey lors d'un concert dans le New Jersey, en 2018.
Lana Del Rey lors d'un concert dans le New Jersey, en 2018.
Getty Images via AFP / Theo Wargo

Lana Del Rey sort un nouvel album : mais y a-t-il une vraie personne derrière cette musique "parfaite" ?

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Ses adeptes reçoivent ses albums réguliers (neuf disques en treize années) comme des offrandes célestes, tout en reconnaissant que le renouvellement esthétique n'est pas le fort de l'idole. Les autres, plus circonspects, aimeraient adhérer à la cause, mais entendent surtout une musique qui flirte avec la redite et l'auto-citation.

Parfois, on ne sait pas. On hésite, on fluctue. Alors on écoute, on réécoute, et au bout d’un moment, on met de côté, on laisse reposer, on y reviendra plus tard… Entre la musique de Lana Del Rey et l’hésitante paire d’oreilles dont est propriétaire l’auteur de ces lignes incertaines, voilà déjà treize ans que se danse ce ballet mal fichu, un pas en avant, deux pas en arrière. Pour dire les choses simplement : on aimerait beaucoup aimer Lana Del Rey, l’aimer autant que certains amis proches qui la tiennent en la plus haute estime. Mais non, quelque chose coince – et on n’y arrive pas.

Bien sûr, on entend, sur chacun de ses neuf albums en studio (belle profusion, du reste), des chansons qui nous parlent, des refrains émouvants. Deux ou trois par album. Et parfois même un peu plus – ainsi sur sa collection 2019, Norman Fucking Rockwell !. Depuis les débuts de cette artiste qui a élevé la mélancolie au rang des beaux-arts, personne ne le conteste, sa musique dégage un charme certain. Tout y est de bon goût, découpé dans la soie, raffiné, intelligent sans doute. Mais est-ce que ça nous touche, une fois passée la brève caresse auditive ? Non, pas vraiment.

Une quasi-clone d'elle-même

Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd est donc le neuvième album (déjà) d’Elizabeth Woolridge Grant, aka Lana Del Rey. Le disque est long – 1 heure et 17 minutes – et assurément riche : en idées et tentatives nouvelles, en insertions de bribes (d’électro ludique et de post hip-hop pour trentenaires bien sages). Riche aussi en voix féminines qui fleurissent un peu partout, le travail sur les chœurs étant particulièrement impressionnant – et somptueusement enregistré. Et pourtant, malgré ces contrepoints bienvenus et ces efforts de façade pour étendre le spectre sonore et éviter la répétition, la couleur dominante reste ici la même que celle dont Lana Del Rey recouvre tous les murs depuis sa percée médiatique. Un genre de rouge grenat reposant pour les yeux. Tempos alanguis, grilles d’accords simplissimes, piano rassurant et voix de jeune femme à deux doigts de se noyer dans le vague à l’âme. Encore une fois, ça n’a rien de désagréable, loin de là. Et surtout quand on écoute au casque. Mais… mais… mais… est-ce assez ? (silence circonspect, à deux doigts de l'ennui).

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À titre d’exemple, The Grants – encore une chanson impossible à détester tant elle met tout en œuvre pour être aimée – ouvre le disque sur l’éternelle modulation majeur/mineur, cette astuce pour musiciens soucieux de capter TOUTE votre attention. Puis la ballade qui donne son titre à l’album, de même que la suivante, Sweet, tirent à peu près sur la même ficelle : une recherche d’émotion immédiate. Facile en vérité. Lana Del Rey fait ce que Lana Del Rey sait faire de mieux. En quasi-clone d’elle-même. Parfum capiteux et épais rideaux de velours. Si elle a pu déplorer, quelque temps après ses débuts, qu’on lui parle sans cesse de l’univers des films de David Lynch (ou des mélodies d’Angelo Badalamenti et des disques en clair-obscur du beau groupe Mazzy Star), clairement, ces références-là ne lui posent plus aucun problème : elle se roule dedans avec délectation.

Il fut un temps où l’on entendait beaucoup, dans le milieu de la musique, cette expression délicieuse : « Il (ou elle) pourrait chanter le bottin, ça serait bien quand même ». On disait ça par exemple de Scott Walker, l’homme à la voix d’or. Donnez-lui à chanter la notice d’entretien d’une tondeuse Husqvarna, et il vous en fera quelque chose d’élégant. On n’est pas loin de penser que la même critique (douce, au fond) s’accorde assez bien au cas Lana Del Rey, dont certaines des lignes de chant pourraient par ailleurs avoir été conçues par une intelligence artificielle… (critique moins douce, c'est vrai – mais quelqu’un a pensé à vérifier ?)

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Les plus ardents défenseurs de la ligne esthétique de Lana répondront que la suite du disque raconte autre chose. Notamment à travers plusieurs interludes mélangeant les codes du spoken word, du prêche religieux et du cinéma documentaire – sons d’ambiances au lointain, rires épais un peu flippants, toute une mise en scène sonore dont le sens profond reste pourtant mystérieux. D’ailleurs, à ce sujet aussi, on s’interroge. Et pire : on reste de marbre. Tout comme lorsque la musicienne, sans doute soucieuse de se donner une petite épaisseur de bad girl potentielle, balance ici et là des mots crus, des mots de la rue – bitch, slut, fucking, etc –, comme des marqueurs symboliques qui ne font pas de mal à un chat (ou une chatte). Qu’on se le dise : Elisabeth n’est pas qu’une chanteuse de berceuses, elle connaît des gros mots, et on va voir ce qu’on va voir, t’ar ta gueule à la récré

Sans grande surprise, deux chansons tout de même nous rentrent agréablement dans le canal auditif, et dès les premières écoutes : Let the light in, duo de belle facture avec le grand Father John Misty (dont on croit deviner qu'il exerce sur Del Rey une forme de fascination mêlée de rivalité potentiellement explosive) ; et un peu plus tôt, la jolie valse Fingertips, une douceur dont n’aurait pas à rougir la délicate Agnes Obel . Vous voyez qu’on n’est pas si mauvais esprit, finalement ?

Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd en CD, double vinyle et sur les plateformes, Polydor/Universal.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne