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Joseph Macé-Scaron.
Joseph Macé-Scaron.
PHOTOPQR/LE PARISIEN

"La Reine jaune", de Joseph Macé-Scaron : une lecture tout en chausse-trappes… et plaisir

Le polar du jeudi

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« Marianne » change mais le polar reste. Avec chaque jeudi, les choix tranchés de notre spécialiste Alain Léauthier, mais aussi des informations sur ce milieu et ses acteurs. Cette semaine, « La Reine jaune » publié par Joseph Macé-Scaron, ex-directeur de la rédaction de « Marianne » (jusqu'en 2016).

Dans l’hypothèse pas totalement farfelue où vous ignoreriez ce qu’est un andouiller, le volume 6 des Archives du Muséum d’Histoire Naturelle en donne une description assez précise datant de 1847. On résume : il s’agit de la ramification, en forme de corne, qui pousse sur le bois du cerf. Le journaliste et essayiste Joseph Macé-Scaron – par ailleurs ex-directeur de la rédaction de Marianne – n’étant pas encore répertorié comme naturaliste mais plutôt nouvel auteur en vue du polar hexagonal, c’est bien pour des raisons littéraires qu’il a fait figurer ce fameux andouiller sur la couverture de La Reine Jaune, sa deuxième incursion dans le genre.

Jaune la couverture (et noire aussi, la collection se nomme Terres sombres…) On suppose alors que l’andouiller et le jaune – ce jaune désormais « associé à la trahison, à la dissimulation, couleur des tricheurs, des félons, de la robe de Juda, de l’infidélité » – revêtent une certaine importance dans le récit et la signification qui s’en dégage au fil de la lecture. Et, eurêka, c’est le cas. Mais patience…

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Sachant à quel point le marché de la littérature de genre est encombré, Joseph Macé-Scaron s’est dit que quelques règles d’originalité l’aideraient peut-être à se détacher du lot. Celle-ci par exemple : à l’heure du polar mondialisé et de l’exotisme de pacotille, rien de tel qu’un bon ancrage dans le terroir, nourri d’une solide connaissance de l’histoire locale, de sa part d’ombre et de traumas collectifs.

Pour son galop d’essai, réussi, La falaise aux suicidés, Macé-Scaron avait ainsi planté sa plume à Étretat, la « perle » de la côte d’Albâtre et, pour l’occasion, inventé un binôme d’enquêteurs point trop banal : un gendarme plutôt bien de sa personne, doté de « la dureté et la souplesse d’une lame de sabre », le capitaine Guillaume Lassire (...) et son amie d’enfance, la chartiste spécialiste des textes anciens Paule Nirsen.

Où l'on reparle de Xavier Dupont de Ligonnès…

En indélicatesse avec sa hiérarchie, suite à la résolution peu orthodoxe de l’affaire d’Étretat, le pandore a été muté à Roquebrune-sur-Argens, commune varoise devenue un bronze-cul estival et une réserve de bienheureux retraités qui « à force de regarder Netflix, vivaient dans l’idée qu’ils s’étaient installés non pas au pied du massif des Maures mais dans la banlieue de Los Angeles ».

Sauf que pour qui veut bien regarder et écouter, il y a un Roquebrune-sur-Argens vibrant de mystères enfouis dans des temps très anciens… ou plus récents, puisque c’est là qu’un certain Xavier Dupont de Ligonnès a été aperçu pour la dernière fois.

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Est-ce lui qui s’est introduit à la bibliothèque municipale pour annoter et corriger une biographie lui étant consacrée, Toi l’ami de passage ? Brisant sa torpeur, Guillaume Lassire est saisi de ce qui ressemble fort a priori à une farce mais n’en réclame pas moins l’aide de sa vieille complice pour expertiser le manuscrit. À partir de là, tout va se dérégler. Quatre jeunes résidentes de la bourgade viennent lui raconter un remake de la « dame blanche », en l’occurrence la disparition soudaine dans leur véhicule d’une auto-stoppeuse prise à bord.

Dans la foulée, on retrouve sur les bords d’une rivière le cadavre d’une femme portant sur la tête une sorte de couronne en forme de bois de cerf. Laquelle couronne réapparaît en d’autres circonstances. Il y aura aussi d’autres morts, dus peut-être à une canicule sans pitié ou à l’agenda criminel de tueurs n’hésitant pas à crucifier un homme avec de la colle.

« Puisque ces mystères me dépassent, disait Cocteau, feignons d’en être l’organisateur. » Joseph Macé-Scaron, lui, a choisi de s’en amuser. Ou plutôt, facétieux en diable, de jouer avec, alignant, de sa belle écriture classique, une série de cartes, comme celles du Tarot, qui sont autant de pièges et de chausse-trappes excitant la lecture et agaçant la raison.

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Dominant toute la région, le rocher de Roquebrune-sur-Argens, aux allures de forteresse de Massada, abrite ainsi les ruines rarement visitées d’un village mérovingien et autant de légendes portant sur d’anciens cultes maléfiques et sectaires. Peut-être la clé des énigmes bouleversant la vie des petits hommes d’en bas…

Divertir, montrer que l’érudition ne rime pas forcément avec l’ennui ou la cuistrerie n’empêche pas Macé-Scaron de rappeler que la violence et l’intolérance religieuse sont inscrites, profondément, dans la terre de Provence, entre autres endroits où « plus l’ennemi était semblable, plus il fallait l’anéantir. » Sans rien divulgâcher, on dira que les secrets de cette Reine Jaune sont ceux de l’identité.

« Vous allez me dire que tout ceci est de l’histoire bien ancienne, dit un des protagonistes, mais cette histoire, ou devrais-je dire ces légendes, c’est le petit bois grâce auquel on allume aujourd’hui le grand feu identitaire. » Ne reste qu’à vous laisser consumer de plaisir.

La Reine jaune, de Joseph Macé-Scaron. Collection Terres sombres, Presses de la Cité. 320 pages. 21 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne