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Tentes de migrants lacérées à Calais : Darmanin se défausse sur une "société privée"
EyePress via AFP

Tentes de migrants lacérées à Calais : Darmanin se défausse sur une "société privée"

C'est pas ma faute à moi

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« Ce ne sont pas les policiers et les gendarmes qui prennent des cutters et qui lacèrent les tentes, ce qui est devenu, sur les réseaux sociaux, la critique des policiers et des gendarmes », a expliqué le ministre de l'Intérieur ce lundi 29 novembre sur BFMTV, rejetant la responsabilité sur une « société privée embauchée par l’État ».

Ouf, l’honneur est sauf. Ce lundi 29 novembre, sur BFMTV, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a donné quitus aux forces de l’ordre concernant la lacération des tentes de migrants à Calais : « Ce n’est pas les policiers et les gendarmes » qui procèdent à la destruction de ces abris de fortune, mais une « société privée ». Tout va bien alors ! Du moment que le blason des forces de l’ordre n’est pas terni, les migrants peuvent bien dormir dehors.

« Une société privée a été embauchée par l’État une fois que les évacuations ont été faites par les policiers et les gendarmes, pour récupérer les tentes et pour les jeter. Et ils les lacéraient, en effet. Il n’y avait pas de commande de l’État, c’est la société qui le faisait, parce qu’elle prenait les tentes, et elle les mettait ensuite à la benne », explique le ministre.

Il ne faudrait pas faire de mauvais procès aux policiers, s’alarme Gérald Darmanin. « Nous avons demandé d’arrêter cela. On s’en est aperçu notamment parce que des journalistes nous l’ont montré. Mais ce ne sont pas les policiers et les gendarmes qui prennent des cutters et qui lacèrent les tentes, ce qui est devenu, sur les réseaux sociaux, la critique des policiers et des gendarmes », affirme-t-il. C’est vrai : policiers et gendarmes ne font que sécuriser les lieux pendant que le prestataire privé se charge de la sale besogne – et aurait lacéré les tentes de sa propre initiative, à en croire le ministre. Il n’est pas interdit de penser que ce dernier joue sur les mots.

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Et Gérald Darmanin de conclure par ce vibrant hommage : « Je veux dire qu’aujourd’hui, les policiers et les gendarmes à Calais, ils sauvent des vies. Tous les jours, ils se jettent à l’eau, littéralement, dans la Manche, au mois de novembre, pour sauver des bébés, des femmes enceintes, des vieillards qui tombent à l’eau. Donc au lieu de critiquer les policiers et les gendarmes, on ferait mieux de leur rendre honneur tous les jours. » Rappelons tout de même au ministre le mot de Beaumarchais : « Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur. »

Grand air

Fort heureusement, Marlène Schiappa est là pour couper court aux caricatures injustes et faire de la « pédagogie » sur l’action de l’État dans la crise migratoire. Le 24 novembre, alors que 31 migrants venaient de périr en mer en tentant la traversée de la Manche, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté déclarait, également sur BFMTV : « Que font les forces de l’ordre ? Elles empêchent une nouvelle jungle de s’installer à Calais, y compris pour protéger ces personnes exilées face à la situation sanitaire. On ne peut pas les laisser vivre dans des tentes avec la pandémie de Covid. » C’est bien connu : le grand air, c’est vivifiant !

Curieusement, on ne se bouscule pas au portillon pour endosser la responsabilité de la destruction de ces abris de fortune. Lors de l’évacuation d’un camp de migrants dans le bois du Puythouck, à Grande-Synthe, en décembre dernier, l’entreprise Ramery Propreté expliquait à nos confrères de Libération  : « L'utilisation du couteau ou du cutter sert à détacher les liens des abris, parfois fixés aux arbres. Mais de toute façon, ces tentes n'ont pas vocation à être restituées ou récupérées. (…) Nos équipes exécutent simplement les consignes. »

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Consignes qui, à croire le garde des Sceaux, n’ont pourtant jamais existé. « Je veux vous dire que le gouvernement, naturellement, n’a aucune posture hostile, en ce sens que l’on permettrait impunément – Vous vous rendez compte de ce que l’on suggère ? – de lacérer des tentes, et même qu’on l’encouragerait et qu’on ne distribuerait pas de vivres à ces migrants... (…) Je ne veux pas qu’il y ait un seul téléspectateur qui puisse penser une chose pareille », clamait Éric Dupond-Moretti dans C l’Hebdo ce samedi.

Le ministre de la Justice reconnaissait du bout des lèvres « un certain nombre de dysfonctionnements ». L’un de ces « dysfonctionnements », documenté sur place par le photojournaliste Louis Witter, aurait encore eu lieu mardi dernier près de Calais. En guise de légende d’un cliché montrant un agent de « nettoyage » couteau à la main, le reporter interpelle ainsi le ministre : « Et ça Éric Dupond-Moretti, c’est une flûte à bec ou un ouvre-boîtes ? »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne