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Cette campagne a été vilipendée par certains comme trop « bisounours », voire accusée de manquer sa cible en parlant d’égalité et de vivre ensemble plutôt que de laïcité.
Cette campagne a été vilipendée par certains comme trop « bisounours », voire accusée de manquer sa cible en parlant d’égalité et de vivre ensemble plutôt que de laïcité.
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En France, comme en Belgique, la laïcité est-elle "gnangnan" ?

L'œil de Marianneke

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Pour Nadia Geerts, notre chroniqueuse bruxelloise, la récente campagne de promotion de la laïcité du ministère de l’Éducation nationale en France montre que même le gnangnan échoue à faire consensus. Difficile de faire aimer la laïcité dans un monde de surenchère identitaire, où la citoyenneté est peu à peu débordée de toutes parts par les exigences d’un narcissisme qui ne supporte plus la moindre limitation.

Claude Javeau vient de mourir. Cet éminent sociologue belge publiait en 1999 un roboratif opuscule intitulé Dieu est-il gnangnan ?, dans lequel il définissait la culture gnangnan comme « une culture d’édulcoration », qui « privilégie le lisse, le correct ».

Et comme en écho me parvient d’Outre-Quiévrain la question « La laïcité est-elle gnangnan ? », soulevée par la récente campagne de promotion de la laïcité émanant du ministère de l’Éducation Nationale, précisément vilipendée par certains comme trop « bisounours », voire accusée de manquer sa cible en parlant d’égalité et de vivre-ensemble plutôt que de laïcité.

Passons sur le fait qu’elle se voit également reprocher par d’autres de pratiquer l’assignation identitaire, voire de véhiculer un discours raciste ou néocolonialiste, en mettant en scène des enfants d’origines différentes, dont les prénoms indiqueraient – coupable amalgame ! - une confession particulière. Étrange accusation dès lors que rien n’indique, sur ces affiches, qui porte quel prénom ni quelle est la confession éventuelle de Neissa, Simon, Tidiane ou Kellijah, et que l’accusation d’assignation identitaire peut donc être facilement retournée envers ceux qui croient la déceler.

Passons également sur le fait que vu de Belgique, il est déjà magnifique, pour une laïque, de voir huit affiches dont pas une ne met en scène, sous prétexte d’ouverture à la diversité, une fille voilée. De toute évidence, même le gnangnan échoue à faire consensus, et cette campagne l’illustre bien involontairement : oui, il est difficile de faire aimer la laïcité dans un monde de surenchère identitaire, où la citoyenneté est peu à peu débordée de toutes parts par les exigences d’un narcissisme qui ne supporte plus la moindre limitation.

Indifférence à la différence

D’où sans doute cette tentative de mettre en avant les aspects positifs de la laïcité, sans nommer ce contre quoi elle s’érige : car le gnangnan interdit d’être « contre », jamais. Il faut être respectueux des identités sanctifiées comme autant de richesses auxquelles s’ouvrir avec toute la tolérance requise. Comment dès lors assumer le cri de Gambetta « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » ?

« Ce cocktail de narcissisme victimaire fait des dégâts considérables partout, y compris auprès d’une jeunesse majoritairement indifférente au religieux, mais hypersensible à ce que chacun soit reconnu dans sa différence. »

Et osons la question : l’ennemi le plus dangereux aujourd’hui n’est-il pas, bien plus que le cléricalisme, le gnangnan ? Ce serait tellement plus simple s’il n’y avait à combattre aujourd’hui que le cléricalisme ! Mais celui-ci est aujourd’hui dépassé sur sa gauche, depuis qu’il a compris l’intérêt d’avancer masqué, drapé dans les oripeaux de la liberté individuelle et des identités meurtries. Et ce cocktail de narcissisme victimaire fait des dégâts considérables partout, y compris auprès d’une jeunesse majoritairement indifférente au religieux, mais hypersensible à ce que chacun soit reconnu dans sa différence. Gnangnan.

Or, ce qu’offre la laïcité, c’est précisément une forme d’indifférence à la différence qui permet l’émancipation individuelle. Non pas la négation ni le rejet des différences, mais l’indifférence à toutes ces identités collectives qui peuvent, si l’on n’y prend garde, tout à la fois fragmenter le corps social et restreindre les libertés de chacun, sous couvert d’injonction à la fidélité communautaire.

Et c’est cela, précisément, que permet une école – républicaine et laïque, forcément –, où les enfants – petits et grands – ne sont que cela : des enfants, qui vivent leur vie d’enfants à l’abri de tous ces diktats religieux qui, sans cela, les empêcheraient d’être ensemble, de rire des mêmes histoires, de porter les mêmes couleurs, de penser par eux-mêmes. Et qu’on ne s’y trompe pas : cette ambition n’a en réalité rien de modeste, ni de gnangnan.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne