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Patrice Jean, auteur de "Rééducation nationale".
Patrice Jean, auteur de "Rééducation nationale".
JulienSorel1943

"Rééducation Nationale" : l'hilarant roman qui fustige les excès du pédagogisme à l'école

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Patrice Jean, enseignant, dresse dans son très satirique « Rééducation Nationale », un tableau hilarant des idéologies qui s'affrontent en salle des profs.

Chaque année paraissent de multiples essais sur l’école, mais bien peu de romans ont été consacrés au sujet, depuis que James Hilton (Goodbye, Mr Chips, 1934) a épuisé le sujet. Même si l’un des premiers Prix Goncourt fut un récit amplement pédagogique (La Maternelle, de Léon Frapié, 1904). Récemment, il n’y a guère que Samuel Piquet, journaliste à Marianne (Le serment sur la moustache, Éditions de l'Observatoire) qui se soit risqué à construire une pochade sur les aberrations scolaires actuelles.

Patrice Jean joue dans une autre dimension. Rééducation nationale, qui vient de sortir, narre les illusions d’un néoprof de Français, Bruno Giboire, nommé au lycée André Malraux de Nantes. Bardé de convictions pédagogistes sur l’efficacité des classes en « îlots bonifiés » et la sublimité de Matin brun ou de La Mort du roi Tsongor, ces deux monuments insurpassables des profs de Lettres actuels, qui répugnent, dit Patrice Jean, à Proust, Flaubert ou Racine, vieilleries inadaptées aux « apprenants » d’aujourd’hui. Seul un « cryptofasciste » suggère d’étudier « les grands textes de la littérature ». Le même provocateur parodie la tirade de Bazile sur la calomnie dans Le Barbier de Séville pour évoquer les bavardages en classe… Élitisme insupportable !

Entre sérieux papal et sarcasme voilé

Patrice Jean – lui-même nantais, et enseignant de Lettres – nous avait ravis en 2017 avec L’Homme surnuméraire, où il racontait sur le ton de la dystopie comment les éditeurs censurent les classiques. C’était une extension du domaine des sensitivity readers américains, qui ont gagné du terrain dans l’édition française pour éliminer des manuscrits tout ce qui peut effaroucher telle ou telle communauté d’imbéciles. Rééducation nationale use du même ton en équilibre entre sérieux papal et sarcasme voilé. L’usage de vocables empruntés à la vulgate pédago et en même temps de termes sophistiqués ou d’imparfaits du subjonctif proscrits par ces mêmes pédagos produit des effets d’un comique irrésistible – encore qu’il soit très tongue in cheek, comme disent les Anglais. On ne sait jamais quand commence la charge contre les abstracteurs de quintessence pédagogique, et quand le narratif devient discrètement métalinguistique.

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Parfois, bien sûr, la charge est franche et nette. Bruno offre un portrait de Philippe Meirieu (enseignant à l'université Lumière-Lyon 2 et apôtre du pédagogisme) à la pédago en chef, qui l’accroche au-dessus de son lit comme une icône laïque – mais que son mari jette au garage parmi ses vieux Playboys, « de sorte que le sourire de Meirieu, sur la photo, se teinta d’une nuance égrillarde plutôt sympathique, comme si le grand théoricien appréciait, en connaisseur, les paires de fesses et de seins ».

Giboire connaîtra sa rédemption, et par la grâce d’une statue khmer à l’érotisme insoutenable pour les féministes du cru, entrera vraiment en littérature. Peut-être même finira-t-il par écrire sa Rééducation à lui. En attendant, celle-ci fait la nôtre, nous qui sommes férus de transversalité et de bien-pensance pédagogique. Un régal pour amateurs de pamphlets camouflés.

Rééducation nationale Patrice Jean Rue Fromentin, 140 p., 17 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne