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"Racisme de volume" : s'agacer du bruit dans les transports en commun, est-ce raciste ?
Hans Lucas via AFP

"Racisme de volume" : s'agacer du bruit dans les transports en commun, est-ce raciste ?

Décibels

Par Nora Bussigny

Publié le

Alerte, sujet casse-gueule ! Demander aux personnes bruyantes, dans le bus, le tram ou le métro, de la mettre en sourdine, cela semble normal. Simple question d'éducation, pourrait-on penser. Pas pour certaines associations communautaires et antiracistes qui défendent l'idée d'un racisme lié au niveau de décibels.

« Vous parlez trop fort. » « Vos mariages sont trop bruyants. » « Quand vous discutez on dirait une dispute. » Ou encore : « Vos rassemblements font trop de boucan. » Ces petites crispations recensées par le collectif antiraciste NEOIFRI que peut ressentir n’importe quel individu dès lors qu’il se trouve en société auraient un nouveau nom : « le racisme de volume ».

On s'en souvient, après une recrudescence de nombreux mariages bruyants et même dangereux, des municipalités en Seine-Saint-Denis, en Alsace ou encore dans le Vaucluse et dans les Bouches-du-Rhône, ont entrepris d’instaurer des règles strictes pour garantir la quiétude de leurs concitoyens face aux coups de klaxons intempestifs et leur sécurité face aux rodéos urbains .

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En 2012, Christian Estrosi annonçait que les noces à l'hôtel de ville de Nice devraient désormais se dérouler sans cris, ni sifflets, ni « drapeaux notamment étrangers », ni groupe de musique « folklorique » non autorisé, sous peine de voir la cérémonie repoussée de 24 heures. Au grand dam de son opposition de gauche pour qui il s'agissait d'une « stigmatisation des personnes originaires des pays du Maghreb », le maire LR estimait, lui, que ces comportements étaient « de nature à troubler (...) la tranquillité [des riverains] et la solennité de l'instant ».

Mais quid alors des remontrances adressées à un voisin de bus, de tramway ou de file d'attente à la Poste parce que le volume de sa conversation téléphonique rivalise avec celui d'un commentateur de matchs de foot officiant pour une chaîne de télé sud-américaine ? Et si un contrôleur a l'idée de coller une amende de 45 euros à un péquin pour avoir conversé bruyamment au téléphone, est-ce une discrimination qui ne dit pas son nom... ou la simple application d'un décret de 1942 qui interdit l’usage de tout appareil sonore à bord du train ou sur les quais ?

« On dérange parce qu’on est là »

« Volume racism », c’est ainsi que l’appelle le militant antiraciste américano-palestinien Sbeih, suivi par près d’un million d’abonnés, tous réseaux confondus. Dans une vidéo largement reprise, le jeune homme y aborde les discriminations que subiraient les personnes « noires ou arabes » lorsqu’il leur arrive de parler fort et dans quelle mesure cela reposerait sur du racisme des personnes blanches qui les jugent. Sur TikTok et Instagram, les témoignages vécus qui corroborent cette thèse vont bon train. « Ce concept est génial et hyperpertinent, par exemple quand vous êtes dans un restaurant et qu’il y a des Blancs qui vont voir la table de personnes racisées pour leur dire qu’ils font trop de bruit », reprend par exemple la militante féministe intersectionnelle Zazem, créatrice d'une web-émission « antiraciste et postcoloniale ».

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Appelé aussi « discrimination de décibels » par le collectif NEOIFRI, ce concept brumeux peut être résumé par l’une des personnes qu’elle interroge justement sur le sujet. « On dérange, juste parce qu’on est là, qu’on est trop là » lui confie-t-il tristement. Le parallèle est inévitablement fait par les internautes avec la fameuse phrase prononcée lors d’un discours le 19 juin 1991 par le président Jacques Chirac, « le bruit et l’odeur » peu après une visite du quartier de la Goutte d’Or à Paris.

Exposition au son

Mais se voir reprocher son niveau sonore n’est pas seulement l’apanage des « personnes racisées », selon les termes utilisés dans la sphère militante. « Pourquoi les Espagnols parlent si fort ? » titrait dans un reportage le magazine franco-espagnol Equinox en 2017. La même année, les Échos s’interrogeaient eux aussi : « Pourquoi les Américains parlent-ils si fort ? » Quelques années auparavant, le New York Times avait révélé l’intensité des décibels auxquels étaient confrontés les New-Yorkais dans des lieux publics, ce qui expliquerait un timbre de voix supérieur. Même chose en Espagne où, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), près de dix millions d’Espagnols étaient confrontés à un seuil critique de décibels dans leur vie quotidienne, jusqu’à souffrir pour la plupart d’une « pollution acoustique », selon Equinox.

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L’historienne Virginie Girod, spécialiste de l’Antiquité, s’insurge. « Historiquement, parler fort est une fonction sociale, il faut parler fort dans l’espace public pour se faire entendre. À Rome, les discours se font en extérieur et doivent être entendus, ils sont même relayés par des hérauts qui permettent aux personnes plus loin d’entendre, comme des amplificateurs vocaux. Parler fort est une fonction citoyenne » rappelle-t-elle. Pour l’historienne, les personnes vivant dans des pays méditerranéens parlent plus fort car elles vivent davantage dans des espaces extérieurs où le son est encaissé différemment. « Au nord de l’Europe, dans la bourgeoisie française, parler plutôt doucement est synonyme de bonne éducation, soutient Virginie Girod. Mais dire que ce serait l’apanage des personnes racisées est une manipulation intellectuelle. Les Latins parlent fort et ce sont des Caucasiens. Ce sont des codes culturels qui varient dans l’espace et le temps. »

Alors, il faudrait être aveugle (ou sourd?) pour ne pas constater dans certains quartiers populaires un brouhaha largement documenté. Et on peut le dire avec moins de précautions que notre historienne. Reste que le plus ennuyeux avec ce genre de sujet à haute valeur inflammable, c'est que deux camps ne manqueront pas de se former autour de la barricade. D'un côté, nos nouveaux antiracistes qui, en bons professionnels de l'indignation, veulent voir des discriminations de la part des Blancs partout, même quand il n'y en a pas. Sans quoi, il est vrai, nos militants ne sauraient pas comment faire prospérer leur boutique... Et de l'autre, tout aussi obsédés par la « race », ceux qui vous diront que « Quand même, ils sont comme ça, y a rien à faire, ils font rien qu'à gueuler ces Arabes / ces Noirs / ces Ritals / ces Espingouins, etc. » De l'essentialisation et de l'ethnique partout. Et si le vrai problème dont souffre notre pays au quotidien, c'était tout bêtement le manque d'éducation et de savoir-vivre ? « Reviens » Nadine de Rothschild*, pour redresser ce pays; ou l'on va virer fous !

* On tient à vous préciser que Nadine n'est pas « partie », elle a aujourd'hui 90 ans.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne